Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XVII. LETTRES – VOLUME VII

 

 

 

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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

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Lettres de saint François de Sales - Année 1615. 15

MLXXXVI. A Madame de la Fléchère. Le Saint n'agrée pas que ses amis se déchargent sur lui d'une responsabilité qui leur incombe. — Un précepteur difficile à trouver même chez les rois. — Qu'on s'abstienne d'accabler de devoirs les élèves. — Défense d'un professeur. — Que faire quand le corps et l'esprit sont languissants. 15

MLXXXVII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Une absolution que l'Evêque de Genève attend de la courtoisie de son destinataire. — Remerciements pour communication de manuscrits. 16

MLXXXVIII. A la Mère de Chantal, a Lyon. L'anniversaire d'une vocation. — Une race spirituelle que le Saint demande à Dieu de multiplier. — Actions de grâces à la divine Trinité. 18

MLXXXIX. A Madame de Peyzieu. Ce qu'il faut éviter et réprimer dans les curiosités d'outre-tombe, à propos de nos parents défunts. — Pourquoi les chrétiens doivent modérer leurs regrets. 18

MXC. A Madame de la Fléchère. La lassitude du corps et les passions de l'âme. — Dans quel cas s'asseoir au temps de la prière. — Les distractions et l'oraison. — La vie en dehors de Dieu est une mort. — C'est au Saint-Esprit de pousser les âmes comme il lui plaît. 19

MXCI. A Madame de Ruans. Les visites du Saint-Esprit parmi les tribulations. — Exhortation à l'amour de la Croix. 21

MXCII. A Madame de la Croix d'Autherin. Dans la correction des défauts, ne pas séparer la pratique de l'humilité de la fidélité envers Dieu. — En quel cas le Bienheureux ne juge pas mauvais qu'on soit un peu privé de la sainte Communion. — Utilité des confessions fréquentes. — Annonce d'un voyage à Lyon et en Chablais. — La lecture spirituelle. 22

MXCIII. A la même. Vengeances et réparations. — Quelle doit être l'attitude d'une personne honorable en face des diffamations, et le meilleur moyen de répondre aux chansonneurs. — Dieu protège l'honneur des gens de bien   23

MXCIV. Au Cardinal Denis-Simon de Marquemont Archevêque de Lyon (Fragment). L'intention de saint François de Sales en fondant un nouvel Ordre de Religieuses. — Quelle doit être leur unique prétention. 24

MXCV. A la Mère de Chantal, a Lyon. Le gouverneur de Lyon, commensal et ami du Saint. — L'union des âmes les rend présentes l'une à l'autre. — Annonce d'un sermon d'amour. 24

MXCVI. A la même, a Lyon (Billet inédit). Mémoire et visite pour une affaire. 25

MXCVII. A la même, a Lyon. Annonce d'un départ et d'une visite. 25

MXCVIII. Au Supérieur d'une Communauté. Charité compatissante du Saint en faveur d'un Religieux expulsé de son Ordre. 26

MXCIX. A la Mère de Chantal, a Lyon. Le retour de l'Evêque de Genève à Annecy ; la présidente Le Blanc l'accompagne à Saint-Priest. — Mme de Travernay à l'article de la mort ; une petite histoire villageoise. 27

MC. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). L'importunité des grandes villes. — La paix après la guerre : courage militaire des princes de Savoie et de la noblesse savoyarde ; force veuves et orphelins. 28

MCI. A M. Antoine des Hayes. Pourquoi le jeune des Hayes a fini par se ranger à la discipline. — Ce qu'il faudra faire s'il ne persevère pas. — Tendresse et sollicitudes du Saint pour le fils de son ami. — Eloge du prince de Piémont. 28

MCII. A Madame de Travernay (Inédite). Paternel intérêt pour une jeune veuve malade, nièce de la destinataire. 30

MCIII. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). Les suites de la guerre pour les deux partis. — « La terre des tranchees » et « celle des tombeaux. ». 31

MCIV. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex. Recommandation en faveur d'un catholique. — Les mariages que l'Evêque de Genève ne voulait pas autoriser. 32

MCV. A la Mère de Chantal, a Lyon (Inédite). Des Tiercelines de Toulouse en quête d'une direction ; difficulté pour la Visitation de l'accepter. — Expédient proposé pour contenter les dames de Billom. — Il vaut mieux refuser que d'entreprendre témérairement. 33

MCVI. A la même, a Lyon. Affaires variées. — Une mortification pour Mme de Charmoisy. — Salutations particulières du Saint à ses chères Filles. —Souvenir de sa première rencontre avec Marie-Aimée de Blonay. 34

MCVII. A la sœur de Bréchard Assistante de la Visitation d'Annecy (Inédite). Une affaire très heureusement engagée par le Saint. — Dieu fait son bon plaisir malgré les petitesses et l'amour-propre des hommes. — Deux aspirantes à la Visitation. 35

MCVIII. A la même. Liberté de conscience laissée aux Religieuses de la Visitation. — D'où dépend véritablement la ferveur. 36

MCIX. A Madame de Peyzieu. Charitable sollicitude pour la santé de la destinataire. — Conseils appropriés aux besoins de son âme. 37

MCX. Au Prince de Piémont Victor-Amédée (Minute). On peut attendre de grands fruits de l'établissement des PP. Barnabites à Thonon et de la restauration du culte qui sera faite par eux dans l'église de Saint-Augustin. — L'Evéque recommande au prince les affaires de la religion catholique. 38

MCXI. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère (Inédite). Instructions particulières pour assurer la régularité d'un concours. — La science seule ne suffit pas à l'exercice du ministère pastoral. — Nouvelles de la peste. — Le Saint accepte de séjourner aux portes d'Annecy à son retour du Chablais. — Salutations et messages. 39

MCXII. A MM. les Examinateurs pour les Concours (Inédite). Rappel d'une décision prise pour assurer un revenu au pénitencier de la cathédrale. — Recommandation en faveur d'un concurrent. 41

MCXIII. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère. Regrets du Saint sur la mort de son vicaire général, Jean Favre. — Jean-François de Sales désigné pour lui succéder ; motif de ce choix. — La contagion à Genève. 41

MCXIV. A la Mère Claudine de Blonay abbesse de Sainte-Claire d'Évian. Trois moyens de perfection pour une Communauté religieuse. — Le mien et le tien : deux mots qui ruinent la charité. — Danger de la liberté de propriété et avantage de la liberté des communications spirituelles. 42

MCXV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Recommandation en faveur d'un converti qui se destine à l'état ecclésiastique. — Eloge de sa piété et de sa constance dans la foi 45

MCXVI. A Madame de la Fléchère. Nouvelles diverses. — Une fille spirituelle du Saint qui donne espérance de bien servir Dieu. — Maladie de la Sœur de Bréchard. 45

MCXVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'introduction de « l'art de la soye » avantageuse aux intérêts spirituels et temporels du peuple. — Requête pour obtenir à cette industrie la protection du prince. 47

MCXVIII. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Évêque de Montpellier. « Sans guerre, sans nouvelles. » — Fureur de la peste à Genève. — Souhait apostolique du saint Evêque. 47

MCXIX. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Dieu porte avec nous les charges imposées par l'obéissance. Assurance paternelle de prières. 48

MCXX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Actions de grâces pour la guérison de Charles de la Fléchère. — Prochain retour de la Mère de Chantal et quelques nouvelles. — Une question théologique. 49

MCXXI. A la Mère de Chantal, a Lyon. Convalescence de la Sœur de Bréchard. — Le Général des Feuillants en visite chez le Saint. — Appréhensions au sujet d'une personne dont les voies semblaient extraordinaires. 50

MCXXII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Affectueuse sollicitude du Saint pour le cœur de sa chère Fille. — Les choses vont d'autant mieux qu'elles sont plus au goût de Dieu et moins à notre gré. — Ce qu'il faut faire parmi les difficultés. — Messages paternels. 51

MCXXIII. A M. Claude de Blonay (Inédite). Pourquoi les Pères Barnabites ne peuvent pas encore s'installer à Thonon. Affaire du prieuré de Contamine. 51

MCXXIV. A Madame de la Fléchère. Les dîmes et la volonté de Dieu. — Mort d'un religieux Feuillant. — Arrivée très prochaine de la Mère de Chantal et de Mme de Charmoisy. 52

MCXXV. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). Recommandation en faveur d'un futur étudiant en médecine. — Bruits de guerre en France. 53

MCXXVI. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Charité attentive du Saint pour la Mère de Chantal 53

MCXXVII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Béatitude du dépouillement intérieur. — Le courage des filles du monde et celui des filles de Dieu. — Promesse d'union et de prières. — Il ne faut point permettre « aux apprehensions d'apprehender » notre cœur. — Recours aux saints Anges. — Sœur Marie-Renée ; souvenir consolant de sa confession générale. 54

MCXXVIII. A Madame de la Fléchère. La comtesse de Tournon malade ; son mari « un petit fasché » contre le Saint. — Gracieuse humilité de François de Sales qui s'entend peu aux compliments et marche « a la bonne foy ». — Nouvelles et messages. 55

MCXXIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'Evêque de Genève s'excuse de n'avoir pu conférer un bénéfice à un candidat recommandé par Son Altesse. 56

MCXXX. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). Saint François de Sales se porte garant du repentir d'un coupable. — Souvenirs du séjour de Mgr de Marquemont à Annecy, — Genève décimée par la peste   56

MCXXXI. A Madame de Peyzieu (Inédite). Protestations de respectueuse affection pour la destinataire et ses enfants  57

MCXXXII. Au Marquis Sigismond de Lans. Justification loyale et ferme du Saint au sujet des soupçons éveillés par la visite de l'Archevêque de Lyon. — Il proteste de son attachement inviolable à son légitime souverain. 59

MCXXXIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Le Saint promet à la Mère de Chantal d'aller le lendemain recevoir sa confession annuelle. 61

MCXXXIV. A la même (Inédite). Question d'argent à traiter avec le cousin de la Sœur de Monthoux. 61

MCXXXV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Tristesse témoignée par la Mère Favre à une amie ; encouragements paternels. — La « grande Fille » particulièrement chérie des deux Fondateurs. 61

MCXXXVI. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Le Saint empêché d'écrire une lettre par un appointement et un souper  63

MCXXXVII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Témoignages de très affectueuse amitié au destinataire à son retour de Lorette. 63

MCXXXVIII. A Madame de la Fléchère. Affaires épineuses que François de Sales voudrait arranger à la consolation de Mme de Bressieu. — Une tempête prévue au sujet de l'entrée de deux postulantes à la Visitation. — Haine mortelle du Saint pour le monde ennemi de l'esprit de Dieu. — Les projets de M. de Rességuier. 63

MCXXXIX. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Aimable entente pour l'échange des lettres. — La Visitation féconde dès sa naissance. — Les lis entre les épines et les roses auprès des aulx. — Conduite à tenir dans une tentation. — Pour agréer à Notre-Seigneur, le soin doit être humble, doux et tranquille. — Dévotion généreuse que le Fondateur désire de ses Filles. — Affectueux messages. — Renouvellement des vœux le jour de la Présentation. 65

MCXL. A la Sœur de Blonay Maitresse des novices a la Visitation de Lyon. Céleste nourriture des enfants de Dieu. — Agir par obéissance, gage du secours d'En-haut. — Quel labeur il ne faut jamais fuir. 67

MCXLI. Au Marquis Sigismond de Lans (Inédite). Discours de capitaines et discours de Pasteurs de l'Eglise. — Quelle « affaire d'Estat » s'est traitée entre Mgr de Marquemont et l'Evêque de Genève. 68

MCXLII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Sur l'ordre de son prince, François de Sales explique le sujet du voyage en Savoie de l'Archevêque de Lyon. — Eloge de ce Prélat. — Appel respectueux à la justice de Charles-Emmanuel 69

MCXLIII. A M. Claude-Amedee Vibod. Envoi d'une lettre pour le duc Charles-Emmanuel. 70

MCXLIV. A Madame de la Fléchère. Vigilance du saint Evêque pour le maintien de la justice et de la charité. — Encore l'affaire de Mme de Bressieu, — Tapage mondain autour de deux vocations. 70

MCXLV. A Dom Sens de Sainte-Catherine général des Feuillants (Fragment). Consolation donnée au Saint par la sage conduite de la Mère Favre. 71

MCXLVI. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Couronnes des épouses et soucis des mères. — La Visitation est « une fontaine sacree. » — Souhaits du Fondateur à ses Filles. 71

MCXLVII. A Madame de Vignod Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. De grandes fêtes qui, d'elles-mêmes, parlent divinement. — Le silence de Jésus et de sa Mère ; qu'il dit au Saint de grandes choses ! — Contemplation. — La crèche et l'autel. — Saint Bernard et la Nativité. 72

MCXLVIII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Artifice du démon dans une tentation de joie. — Les Anges venant chercher le Ciel dans « la petite spelonque de Bethlehem. » — S'humilier profondément pour voir de plus près le Sauveur « abismé dans le fin fond de l'humilité. ». 73

MCXLIX. A M. Jean-François du Martherey. Une affaire qui s'achèvera à la satisfaction du destinataire. — Jeunesse et oisiveté : deux mauvaises compagnes. — Puissance de la « hantise ». — Réponse au sujet d'un mariage. 73

MCL. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Un pacte d'amitié. 74

MCLI. A Monseigneur Hildebrand Jost, Évêque de Sion. Un désir de l'Evêque de Sion difficile à satisfaire. — Quel prédicateur il faut aux Valaisans. — Persévérance d'un converti. — La peste à Saint-Maurice. — Envoi d'un aspersoir et de lettres testimoniales. 75

MCLII. A la Mère de Chantal (Inédite). Compte-rendu d'un entretien avec un prétendant de Mlle de Chantal 76

MCLIII. A la Sœur de Chastel Religieuse de la Visitation a Lyon. Constance des saintes affections. — Parmi les sécheresses, attendre en paix la rosée céleste. — « Rien au monde pour nostre cœur que Dieu, ni pour Dieu que nostre cœur ». 77

MCLIV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Le rang de la Mère Favre dans le cœur du Saint et dans l'Institut. 78

Année 1616. 79

MCLV. A la Mère de Chantal. Souhaits de nouvel an pour la destinataire et la Congrégation. — Effusions d'amour à Jésus-Christ Notre-Seigneur. — Le chercher uniquement et tout faire pour lui 79

MCLVI. Au duc de Bellegarde. Vicissitude des années et permanence des affections formées par Dieu. — Les enfants pensent souvent à leurs pères ; les pères pensent toujours à leurs enfants. — L'alcyon sur les ondes. 80

MCLVII. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). Efforts du Saint pour amener une réconciliation. — La peste, messagère de la miséricorde divine. 81

MCLVIII. A Madame de la Fléchère (Inédite). En route pour Samoëns ; une semaine d'hiver. 81

MCLIX. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Ce que Dieu fera pour la Visitation, et ce qu'il fera pour la Mère Favre. — Souffrir en Dieu rend la souffrance heureuse. — Manifestations extérieures du zèle   83

MCLX. A Madame de la Fléchère. Un voyage arrêté par les neiges. — Mme de Charmoisy hors de danger. — Pourquoi le Saint ne trouvait pas facilement un prédicateur pour Rumilly. 83

MCLXI. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier. Une amitié toujours heureuse de s'exprimer. — Malades qui refusent les ordonnances du médecin. 84

MCLXII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Une réponse à ce que Mgr de Marquemont allègue contre la Visitation. — Pourquoi le Fondateur eût préféré le titre de simple Congrégation ; raisons de sa condescendance à faire de l'Institut naissant un Ordre religieux. — « Suavité nompareille » en son acquiescement. — Ses réserves. — Une fondation est désirée à Chambéry. 84

MCLXIII. A Madame de la Fléchère. Promesse d'une visite au retour de Mioncas. — François de Sales va dire la sainte Messe à la Visitation pour M. de la Fléchère malade. 86

MCLXIV. A M. Philippe de Quoex (Fragment). Veuvage de Mme de la Fléchère. — Eloge de cette « parfaite brebis » d'un bercail affligé. 87

MCLXV. A Madame de la Fléchère. Affaires de tutelle. — Prudence et sainte indépendance en face du monde. — Les prétentions et les plaintes de M. Guidebois. — Un prédicateur de Carême. — Prochains arrangements à la cure de Rumilly. 88

MCLXVI. A Madame de Mieudry. Etre ce que Dieu veut : faibles de corps, mais siens de cœur. — Nouvelles difficultés dans le service paroissial de Rumilly. — L'Evêque se justifie humblement, sans blâmer ses détracteurs. — Les « caprices des hommes. » — Soyons « vaysseaux bien profons » pour recevoir les grâces de Dieu. 89

MCLXVII. A M. Jacques de Cerisier (Billet inédit). Dispenses pour le Carême en faveur d'un malade. 90

MCLXVIII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragments). Humbles réponses qu'il faudra faire à l'Archevêque de Lyon. — « L'esprit parfait et apostolique, » propre esprit de la Visitation. — Quel amour peut vivre sans anxiété. 91

MCLXIX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Où croissent les lis agréables à l'Epoux céleste. — L'ouvrage le plus doux, l'ouvrage le meilleur. — Députer Charles de la Fléchère vers le gouverneur de Savoie. 92

MCLXX. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Un prétendant au sacerdoce qui a besoin d'étudier davantage. 93

MCLXXI. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Reconnaissance de la province envers Son Altesse pour l'établissement des Barnabites à Annecy. — Celui qui a planté un arbre le doit arroser. — Deux prieurés en ruine spirituelle et matérielle. — Le collège d'Annecy antagoniste de celui de Genève. 93

MCLXXII. Au Cardinal Fréderic Borromée Archêveque de Milan. Remerciements pour un envoi de reliques de saint Charles. — Le culte du glorieux Cardinal s'accroît en France et en Savoie. 94

MCLXXIII. A la Sœur de Chevron-Villette novice de la Visitation de Lyon. Des racines qu'on ne peut arracher, mais qui ne doivent pas produire de fruits. — Combattre sur terre, se reposer au Ciel. — N'être ni « pleureuse ni plaignante ». — Remède à la colère. 96

MCLXXIV. A une personne inconnue (Fragment). Moissons et moissonneuses. 97

MCLXXV. A Madame de la Fléchère. La succession de M. de la Fléchère. — Au milieu des ennuis, s'attacher, esclave d'amour, au pied de la Croix. 97

MCLXXVI. A une dame. La meilleure saison pour la culture du cœur. — Gardons nos résolutions en cette vie mortelle, et elles nous conserveront en l'éternelle. — Conseils pratiques sur la fréquentation des Sacrements et les exercices de piété. — Faire l'aumône de sa propre main. — Conduite à tenir avec « ceux du logis. ». 99

MCLXXVII. A Madame de la Fléchère. Divers conseils pour l'administration des biens laissés par M. de la Fléchère — Paternels avis pour la vente de ses chevaux. 100

MCLXXVIII. A Don Juste Guérin, Barnabite. Nouvelles démarches auprès de la cour de Savoie pour l'établissement des PP. Barnabites à Thonon. 102

MCLXXIX. Au Prince Cardinal Maurice de Savoie. Souhaits de l'Evêque de Genève pour la canonisation du bienheureux Amédée. — Confiance des peuples en l'intercession de ce glorieux Prince. — Les Barnabites à Thonon, moyen de donner un nouvel essor à la piété populaire. 102

MCLXXX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Double droit de Son Altesse sur Thonon. — Difficultés pour la remise du prieuré de Contamine aux PP. Barnabites. 104

MCLXXXI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Encore Contamine et les PP. Barnabites de Thonon. 104

MCLXXXII. A Madame de la Fléchère. Solution d'un cas de conscience. 105

MCLXXXIII. Au duc de Nemours, Henri de Savoie (Inédite). Hommage d'obéissance et souhaits de prospérité à l'occasion des fêtes pascales. 105

MCLXXXIV. A Don Juste Guérin, Barnabite (Inédite). Des lettres pour les Princes et une mission auprès du comte de Verrua confiées au destinataire. 105

MCLXXXV. Au Père Dominique de Chambery, Capucin. Démarches pour l'établissement des PP. Capucins à La Roche. 107

MCLXXXVI. A la Sœur de Blonay assistante et maitresse des Novices a Lyon (Fragment). La Visitation d'Annecy « racine petite, basse et profonde. ». 108

MCLXXXVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Remerciements au souverain, bienfaiteur de son peuple   108

MCLXXXVIII. A M. Claude-Amédée Vibod. Le Duc autorise François de Sales à prêchera Grenoble. — Nouvelles explications au sujet des visites de prélats français à Annecy. 108

MCLXXXIX. Au duc de Nemours, Henri de Savoie. Demande d'une faveur pour un gentilhomme. 109

MCXC. A Madame de Bressieu (Inédite). Une affaire sur le point de se terminer. — Céder aux conseils des amis. 111

MCXCI. A la Mère de Chantal (Fragment). Quelles amitiés sont indépendantes des distances et des séparations  112

MCXCII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Retour d'un voyage en Chablais. — Mort du comte de Tournon. — Deux sortes de bons désirs : ceux qui sanctifient l'âme et ceux qui remplissent l'enfer ; comment les distinguer. — Méthode très simple pour la méditation des mystères de la Vie de Notre-Seigneur. — Salutations affectueuses. 112

MCXCIII. A Madame de la Fléchère. Affaires et nouvelles diverses. — Réclamations de créanciers ; comment les supporter. — Quel ordre suivre dans le paiement des dettes. — Projet de séjour à Annecy pour Mme de la Fléchère   114

MCXCIV. A la même. Etre douce et civile envers les solliciteurs. — M. Guidebois et ses Bulles. 114

MCXCV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Requête contre Scaglia, le prétendant de Contamine   115

MCXCVI. A un gentilhomme (Minute inédite). Un Mémoire dont on doit ignorer l'auteur. — La vie toute sainte et édifiante des Religieuses de la Visitation. — Pourquoi François de Sales n'a pas publié les Indulgences déjà obtenues en leur faveur ; celles qu'il désire. — La pension de M. Desplans. — Réveil de la contagion à Genève. 116

MCXCVII. A la Sœur de Blonay maitresse des Novices a la Visitation de Lyon. Parallèle entre la vie selon l'esprit et la vie selon le sens humain. 119

MCXCVIII. A M. Michel Favre. L' auteur du Traitté de l'Amour de Dieu réclame humblement l'examen de son ouvrage. 120

MCXCIX. A la Mère de Chantal. Un malade qui suivra les ordonnances de la Mère de Chantal 120

MCC. A Madame de la Fléchère. Un paiement à obtenir. — Comment aider une âme tentée contre sa vocation   122

MCCI. A la Mère de Chantal (Inédite). Le saint Evêque rassure sa fille spirituelle au sujet de sa santé   122

MCCII. A la même (Fragment). L'amour vrai, indépendant de toutes circonstances et manifestations extérieures. — Regarder et aimer le prochain dans la poitrine du Sauveur. 123

MCCIII. A la même. Dépouillement intérieur auquel le Saint exhorte la Mère de Chantal. — Admirables renoncements  124

MCCIV. A la même. Bonheur de la possession de Jésus seul par le dénuement total du créé. 125

MCCV. A la même. Vouloir les vertus selon que Dieu les veut de nous. — Se reposer en Notre-Seigneur ; en lui, oublier toutes choses. — L'intime du cœur du saint Evêque. 125

MCCVI. A la même. Les enfants portés entre les bras de Dieu. — Souverain degré de la pureté de l'amour  127

MCCVII. A Madame Louise de Ballon Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. Pourquoi Dieu nous fait attendre la délivrance de nos imperfections. — Petit exposé doctrinal sur l'Eucharistie. — Les Anges et le Saint-Sacrement. 128

MCCVIII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Tendre au même but, sans vouloir « faire tout ce que les autres font. » — Se conduire selon la Règle, la grâce, l'obéissance. 128

MCCIX. A Madame de la Fléchère. Multiples démarches du Saint pour les affaires de sa fille spirituelle. — Encore Mme du Châtelard et sa vocation. — Paternelles excuses. 130

MCCX. A la même. L'esprit humain en face da la tentation. — Danger de retarder l'exécution des bons désirs. — Compassion affectueuse de François de Sales pour un courage défaillant ; ses espérances. 131

MCCXI. A Madame Colin (Inédite). Remerciements pour un beau présent. 131

MCCXII. A Madame de la Fléchère (Inédite). Une rencontre qui ne serait pas à propos. — Différentes nouvelles  132

MCCXIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Envoi de la Préface et de l'Oraison dédicatoire du Traitté de l'Amour de Dieu. 132

MCCXIV. A la même. Un aumônier qui sera « bravement » remplacé par « un pauvre Evesque ». 133

MCCXV. A Madame de la Fléchère. Affaires et nouvelles. — Une prétendante pour le monde et une prétendante pour le cloître. 134

MCCXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Le « petit empressement il de Mme de la Fléchère. — Une visiteuse qu'il faudra bien accueillir. 135

MCCXVII. A la Sœur Coton, Novice de la Visitation de Lyon. Désirer l'amour infiniment désirable. — La contrition doit toujours être accompagnée de confiance. 136

MCCXVIII. A M. Michel Favre (Inédite). Les retards d'un voiturin. — Deux fautes notables à corriger au Traittè de l'Amour de Dieu. — Pourquoi le Saint redoute les excès de courtoisie de M. Rigaud. — Messages et commissions. — Envoyer un exemplaire de l'ouvrage à l'Archevêque de Vienne. 137

MCCXIX. Au Cardinal Robert Bellarmin (Minute). Eloge des deux premières Communautés de la Visitation. — Un mot de saint Grégoire. — Chant doux et grave des Sœurs. — L'avis de l'Archevêque de Lyon ; condescendance du Fondateur. — Trois particularités qu'il faudrait faire approuver par le Saint-Siège. — Raisons de ces demandes. 139

Autre minute de la lettre précédente (Fragment inédit). 143

MCCXX. A M. Melchior de Cornillon, son Beau-Frère. « La plus favorable condition » que nous puissions attendre de la mort. — Remercier Dieu quand il nous laisse ceux que nous aimons ; acquiescer à sa volonté lorsqu'il nous les ôte. 146

MCCXXI. A M. Claude Feydeau Doyen de Notre-Dame de Moulins. Remerciements à un protecteur du futur monastère de la Visitation de Moulins, auteur de « belles oraysons. ». 147

MCCXXII. Au même (Fragment). Le Saint recommande ses Filles au délégué de l'Archevêque de Lyon   147

MCCXXIII. A la Mère de Bréchard Supérieure de la Visitation de Moulins. Un service apostolique. — Quand est bonne la défiance de soi ; quand redoutable. — Dieu ne laisse jamais succomber ceux qui se confient en lui. — Accord de l'humilité, de l'obéissance et de la simplicité. — Avantages des infirmités corporelles. — Quelle est la plus rare vertu. — Sur quoi doit se fonder la charité envers le prochain. — Bénédiction paternelle. 148

MCCXXIV. A la Soeur Bailly, Religieuse de la Visitation (Inédite). Bonheur, qualités et vertus d'une fondatrice d'une Maison religieuse. 150

MCCXXV. A la Soeur Humbert, Religieuse de la Visitation. Assurance et remède contre les tentations. — Ne pas s'affliger de ce qui ne peut séparer de Notre-Seigneur. — Souhaits et bénédictions. 151

MCCXXVI. A la Soeur de la Croix, Religieuse de la Visitation. Pourquoi la destinataire a été choisie pour une fondation, malgré sajeunesse. 152

MCCXXVII. Au Chanoine Roland Viot Prévot de l'hospice du Grand-Saint-Bernard. Un accommodement dont le Saint espère bientôt la conclusion. 152

MCCXXVIII. A Madame de la Fléchère. Troubles à Annecy. — Arrivée de Bonfils. — Nouvelles de la Visitation   153

MCCXXIX. A la même. Le prince héritier de la couronne de Savoie. — Deux visiteuses attendues au monastère d'Annecy. — Une heureuse novice. — Arrestation de Bonfils ; souhaits du Saint pour le prisonnier. 153

MCCXXX. A la Mère de Chantal. Oraison du Saint la veille de l'Assomption. — Marie, morte d'amour, nous fasse vivre en l'amour ! — Glorieuse date de la naissance de François de Sales. — Le rameau de la colombe au milieu du déluge   155

MCCXXXI. Au duc Roger de Bellegarde. L'amour parfait exclut les défiances. — La « coustume des peres. » — Un livre qui suppléera à la rareté des lettres. — Eloge du prince de Piémont. 156

MCCXXXII. Au Prince de Piémont Victor-Amédée. Un dessein sur Genève. 157

MCCXXXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'avis du Saint sur un projet au sujet de Genève. — Témoignage en faveur de son auteur. 158

MCCXXXIV. Au même. François de Sales offre à son prince le Traitté de l'Amour de Dieu. 158

MCCXXXV. A la Mère de Chantal (Fragment). Une des joies du Saint dans le Ciel. — Fleurs à jeter sur le berceau de Marie. 159

MCCXXXVI. A la Mère de Bréchard Supérieure de la Visitation de Moulins. Les débuts de la fondation du monastère de Moulins. — Quels sont les signes de la bonté d'une œuvre. — La tentation des « anges terrestres. » — Encouragements à la générosité et à la confiance. 159

MCCXXXVII. A Madame des Gouffiers, a Moulins. L'union, condition de la force. — Les renardeaux dans les vignes. — Se garder de la prudence humaine. 161

MCCXXXVIII. A Sœur Françoise de Cerisier, Clarisse d’Annecy. Charitable intervention du Saint dans une affaire. 162

MCCXXXIX. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Démarche du Fondateur auprès des syndics pour garantir les matériaux de l'église de la Visitation. 163

MCCXL. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). La fidélité d'un porteur de lettrés qui ne doit pas être suspectée. — Nouvelles de guerre. 164

MCCXLI. A Madame de la Fléchère. Départ du prince de Piémont, — Condition pour obtenir un bénéfice. — Nouvelles différées. 164

MCCXLII. A Madame des Gouffiers. Difficultés et épreuves de la Visitation de Moulins. — La présence de la Mère de Chantal indispensable à Annecy. — Que Mme des Gouffiers supporte courageusement le fardeau que sa bonne volonté lui a fait désirer. — Pourquoi le Fondateur ne veut pas multiplier les Maisons de sa Congrégation   166

MCCXLIII. A la Mère de Bréchard Supérieure de la Visitation de Moulins. La « plus excellente leçon de la doctrine des Saintz. » — Souhaits de François de Sales à une fille de son cœur. 166

MCCXLIV. A M. Claude de Blonay (Inédite). Résolution prise dans une assemblée présidée par le prince de Piémont. — La communiquer au Conseil de la Sainte-Maison de Thonon. 168

MCCXLV. A M. Laurent Scotto (Inédite). Pouvoirs spirituels donnés au destinataire. 169

MCCXLVI. A M. Claude-Amédée Vibod. Le Saint réclame une lettre écrite par Charles-Emmanuel au Vice-légat d'Avignon au sujet des étudiants au collège de Savoie. 170

MCCXLVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Contribution payée à Son Altesse par le clergé du diocèse de Genève. 170

MCCXLVIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Un fermier qui promet ce qui n'est pas à lui. — Supplique des Religieux de Talloires. 171

MCCXLIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Requête en faveur des étudiants savoyards au collège d'Avignon   171

MCCL. A M. Claude-Amédée Vibod. L'affaire du collège de Savoie à Avignon portée en Cour de Rome. — Message pour M. Boschi 172

MCCLI. A un gentilhomme. L'Evêque de Genève expose ses motifs d'accéder aux volontés de Son Altesse au sujet de l'impôt sur le clergé. 173

MCCLII. A Madame de la Fléchère. Aimable invitation de François de Sales à la destinataire. 173

MCCLIII. A M. Barthélémy Flocard. Préliminaires de la paix. — Prochain départ du Saint pour Grenoble. 175

MCCLIV. A Madame Guillet de Monthoux. Remplir son devoir de bon cœur, par amour, mais sans empressement. — Grand prix de la paix dans une famille. — Faire ce que l'on peut, et laisser le reste à Dieu. 175

MCCLV. A Madame de la Fléchère. Une lettre écrite à l'improviste. — Comment la Mère de Chantal désignait Mme de la Fléchère. — « Tout pour Dieu : l'amour et le cœur qui ayme. ». 176

MCCLVI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Entremise de l'Evêque de Genève en faveur d'un ami. 177

MCCLVII. A M. Annibal Boschi. Aumônes du prince de Piémont aux Clarisses et aux Cordeliers d'Annecy. Un galérien qui doit payer sa grâce par des œuvres pies. 178

MCCLVIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. La reconnaissance du Saint s'unit à celle des Pères Barnabites. 178

MCCLIX. A Madame de la Fléchère. Une quittance à retrouver. — Visite de Mme de Blonay. 179

MCCLX. A M. Jean Massen (Inédite). Recommandation en faveur d'un étudiant en théologie. 179

MCCLXI. A M. René Gros de Saint-Joyre. Remerciements et félicitations pour la communication d'un ouvrage. — La « tare » que la modestie du Saint y découvre. 180

MCCLXII. A la Mère de Chantal. Comment procéder pour l'achat de maisons nécessaires à l'agrandissement du monastère de la Visitation. 180

MCCLXIII. A la même (Inédite). Débuts de l'Avent à Grenoble. — Messages d'un père pour ses filles  181

MCCLXIV. A la même (Inédite). Une lettre faite entre deux sermons. — Les fruits spirituels qui se préparent pour le prochain Carême. — Salutations et souhaits affectueux. 181

MCCLXV. A Monseigneur Fenouillet, Évêque de Montpellier (Inédite). Le duc de Montmorency gagné par Mgr Fenouillet à l'estime de l'Evêque de Genève. — Témoignages qu'il en donne. — Déplaisir du Saint de n'avoir pu, à son gré, le payer de retour. — Lesdiguières en route pour le Piémont. 182

MCCLXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Que doit faire une âme continuellement attirée par Dieu à se reposer dans le sein de sa Providence. — Le fondement de la joie paisible et dévote. 183

MCCLXVII. A la même (Fragment inédit). 183

Année 1617. 184

MCCLXVIII. A la Mère de Chantal. Le premier acte d'une journée fait selon l'inclination du Saint. 184

MCCLXIX. Au Chanoine Denis de Granier (Inédite). Le destinataire est prié de vouloir bien résigner sa place de chanoine en faveur d'un digne ecclésiastique. 185

MCCLXX. A la Mère de Chantal. Affaires à régler entre les deux Fondateurs de la Visitation. 186

MCCLXXI. Au duc de Nemours, Henri de Savoie (Inédite). Regrets de l'Evêque de Genève d'avoir quitté Annecy avant l'arrivée du prince. — Le duc de Nemours, futur fondateur de l'église des Barnabites. — Dieu « donne sejour dans son temple æternel a ceux qui luy en font icy bas des temporelz. » — Reconnaissance des Religieux et du peuple   187

MCCLXXII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. L'imprudence d'un jeune homme. — Avis du Saint sur cette affaire. 188

MCCLXXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Des sujets fidèles méritent les faveurs de leur Prince   189

MCCLXXIV. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Changement de confesseur au monastère de Lyon. — Trois retraitantes en celui d'Annecy. — Rapide passage en ce monde d'une petite nièce du Saint. 189

MCCLXXV. A la Mère de Chantal. Un souhait de Job et celui de François de Sales, à propos d'un anniversaire   190

MCCLXXVI. A la Mère Claudine de Blonay abbesse de Sainte-Claire d'Évian (Inédite). Le saint Evêque s'excuse aimablement de son retard à écrire. — Il promet de s'employer auprès du prince de Piémont pour les Clarisses. — Raisons divines des maladies et des guérisons. — Salutations affectueuses. 190

MCCLXXVII. A une religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. En échange d'un bouquet. — Une prière que le Saint ne ferait pas. — Le choix de sainte Catherine de Sienne. — Chant du rossignol dans son buisson. — Envoi du Traitté de l'Amour de Dieu. — Sentir des répugnances à la vertu n'est pas manquer d'amour. 192

MCCLXXVIII. Aux Chanoines de la Collégiale de Saint-Jacques de Sallanches. L'Evêque promet aux Chanoines de tenir leur doyen en son devoir. 193

MCCLXXIX. A la Mère de Chantal. On parle à Grenoble de l'établissement d'un monastère de la Visitation. — François de Sales a commencé « heureusement » ses prédications. — Les désirs de son cœur. — Messages paternels  193

MCCLXXX. A Madame des Gouffiers (Inédite). Les vertus qui doivent accompagner le zèle. — Fermeté et délicatesse du saint Directeur. — Raisons de sa persistance à ne pas multiplier les Maisons de sa Congrégation. 194

MCCLXXXI. A la Mère de Bréchard Supérieure de la Visitation de Moulins. Le vrai chemin du Ciel 194

MCCLXXXII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'Evêque de Genève demande à son prince l'autorisation de revenir prêcher le Carême suivant à Grenoble. 195

MCCLXXXIII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Prétendantes grenobloises pour la Visitation. — Le saint Fondateur attend les nouvelles de Rome avant de leur donner une réponse. — Mme Le Blanc et sa famille   195

MCCLXXXIV. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère (Inédite). Affaires ecclésiastiques du diocèse de Genève. — Au sujet d'une excommunication. — Les armes du duc de Savoie victorieuses. 196

MCCLXXXV. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. L'Evêque de Genève sollicite la confirmation de M. de Charmoisy dans une charge. 198

MCCLXXXVI. Au même. Le sieur Gillette en Piémont. — Prière au prince de lui accorder sa protection   199

MCCLXXXVII. Au même. Un ecclésiastique qui porte les armes et extorque des lettres de faveur au duc de Savoie. — Comment faire cesser un pareil abus. 199

MCCLXXXVIII. A la Mère de Chantal. Eloge du peuple de Grenoble. — La part que les hommes laissent aux femmes. — Projet d'établissement d'une Maison de la Visitation : sentiment du Saint à cet égard. 200

MCCLXXXIX. A Madame de Grandmaison. Remplacer le jeûne corporel par la mortification du cœur. — Moisson de belles âmes. 200

MCCXC. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Grande erreur de croire que l'oraison perfectionne sans l'obéissance. — Suivre Notre-Seigneur crucifié, et non son humeur et sa présomption. — Sentence de saint Bernard. — Que faire des gens qui veulent se gouverner à leur guise. — La sainte imprévoyance de la vraie servante de Dieu   202

MCCXCI. A Madame de Vellepesle de Villeneuve. Le Saint promet de s'entremettre entre le marquis d'Aix et la destinataire. 203

MCCXCII. A Madame de Blanieu. Se préparer à rendre compte à Notre-Seigneur. — Comment guider sa barque au milieu des vents. 203

MCCXCIII. Aux Peres Barnabites réunis en chapitre général a Milan. Le Saint présente aux Pères capitulaires un Mémoire concernant l'extension des Barnabites en Savoie. 205

MCCXCIV. A la Présidente le Blanc de Mions. Conseils pour l'oraison. — Comment « accommoder cet exercice » avec la promptitude de l'esprit. — Les larmes de dévotion et l'usage qu'il en faut faire. — La douceur et la tranquillité n'empêchent pas l'action, mais la font réussir. — Contre les tentations au sujet de l'état de vie où l'on est embarqué. — L'extérieur d'une fille de Dieu. 207

MCCXCV. A Madame de Veyssilieu. La crainte excessive de la mort empêche l'âme de s'unir à Dieu par amour. Dix remèdes indiqués pour s'en affranchir. 210

MCCXCVI. A Madame Cottin (Inédite). Assurance de paternelle affection. — « Se mortifier et faire toutes choses selon la volonté de Dieu. ». 211

MCCXCVII. Au Président Antoine Favre (Inédite). Une aspirante à la Visitation. — Mortalité à Chambéry. 212

MCCXCVIII. A M. Benigne Milletot. Le Saint prie son ami d'appuyer une requête fondée « sur la pieté et la justice. » — M. de Charmoisy grand maître de l'artillerie. — Engagement pour le prochain Carême à Grenoble. 212

MCCXCIX. Au Père Général des Barnabites. Prière instante de renvoyer le P. Fulgence Chioccari en Savoie. 213

MCCC. A la Comtesse de San Secondo. A quelles âmes François de Sales dédiait volontiers son service. — Envoi des Règles de la Visitation. — Une instance en Cour de Rome. — Assurance de prières pour la Maison de Savoie. 214

MCCCI. A la Présidente le Blanc de Mions. Agir et parler sans regard sur le qu'en dira-t-on. — Est-ce hypocrisie « de ne pas faire si bien que l'on parle ? » — Marcher « par le milieu des belles vertus, » et non « par les extremités » des subtilités. — Différents conseils sur quelques points particuliers et sur l'oraison. — La vocation de Mlle de Gérard. — Pourquoi les livres du Saint « ont treuvé de l'acces » en l'esprit de la Présidente. — Salutations à plusieurs dames de Grenoble. — Une triste affaire. — Folie des enfants du monde. 215

MCCCII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Nouvelles plaintes au sujet du doyen de Sallanches. 218

MCCCIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Indifférence de l'Evêque de Genève pour le choix de la ville où il doit prêcher. — Le bon plaisir de son souverain décidera entre Paris et Grenoble. 219

MCCCIV. A Madame de la Fléchère. La grâce d'un trépas. — Difficultés au sujet d'un mariage. — Une pénitente du Saint. — Messages et nouvelles. 219

MCCCV. A Madame de Granieu. Ce que François de Sales aimait « passionnement » dans l'âme de la destinataire. — Une vérité connue des enfants de Dieu avant la dernière heure. — Le repos dans la patrie. 221

MCCCVI. Au Cardinal Robert Bellarmin (Minute inédite). Désirs et démarches du saint Evêque pour l'érection d'un Séminaire. 222

MCCCVII. A la Mère de Chantal, a Lyon (Fragments inédits). 223

Appendice. 225

I. Lettres adressées a Saint François de Sales par quelques correspondants. 225

A. Lettre de Mgr Denis-Simon de Marquemont, Archevêque de Lyon. 225

B. Lettre de Mgr Pierre-François Costa, Nonce Apostolique a Turin. 225

C. Lettre de Mgr Denis-Simon de Marquemont, Archevêque de Lyon. 226

D. Lettres de la Mère de Chantal 227

E. Lettre du Maréchal de Saint-Géran. 229

F. Lettre du Père Aignan Moreau, de la Compagnie de Jésus. 231

G. Lettre du Maire et des Échevins de Moulins. 231

H. Lettre de Mgr Denis-Simon de Marquemont, Archevêque de Lyon. 232

I. Lettre de M. Claude Boucard. 233

J. Lettre de M. René Gros de Saint-Joyre. 234

K. Lettre du Cardinal Robert Bellarmin. 235

L. Lettre de Henri de Savoie, duc de Nemours. 236

M. Lettres de la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. 236

N. Lettre du P. Louis de la Rivière, minime (Fragment). 240

O. Lettre d'une dame. 241

II. René Gros de Saint-Joyre aux amans de l'amour parfaict (Extrait des pièces préliminaires de la Mire de vie, etc.)  241

 

 

Lettres de saint François de Sales - Année 1615

 

(Suite)

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MLXXXVI. A Madame de la Fléchère. Le Saint n'agrée pas que ses amis se déchargent sur lui d'une responsabilité qui leur incombe. — Un précepteur difficile à trouver même chez les rois. — Qu'on s'abstienne d'accabler de devoirs les élèves. — Défense d'un professeur. — Que faire quand le corps et l'esprit sont languissants.

 

Annecy, 1er juin 1615.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Les porteurs de vos precedentes lettres m'ont pris en un tems auquel j'estois si fort embarassé de gens et d'affaires que je ne sçavois ou j'en estois, et ne pouvois me desrobber pour vous faire response, laquelle d'ailleurs je ne sçavois comme vous faire, par ce que vous presupposies que monsieur de Charmoysi mon cousin m'eust donné charge de pourvoir au changement de maistre de vos enfans, et jamais il ne m'en avoit fait un seul [1] mot, bien quil m'eust escrit seulement le jour precedent. De sorte que, quand cet honneste homme que vous m'envoyastes me vint parler de cela et que je vis la lettre de monsieur de Charmoysi, je fus tout surpris et dis que je n'avoys point de charge de cela, et que mesme, m'estant enquis des Peres Barnabites et de plusieurs autres sil y avoit du mal en M. Rosset, pour lequel on le deust renvoyer, je n'avois rien peu treuver qui meritast cela. Mays que, puisque monsieur de Charmoysi et monsieur de Vallon estoyent icy, c'est a dire se devoyent voir le jour suivant, que c'estoit a eux de le renvoyer, si bon leur sembloit. Et sur cela, M. de Vallon se chargea de rechef de s'enquerir des deportemens du sieur Rosset, et en alla parler aux Peres Barnabites et a d'autres qui, comme il me dit par apres, treuverent fort estrange qu'on parlast de ce changement ; et alla treuver monsieur de Charmoysi qui m'escrivit une lettre par laquelle il me mandoit en termes generaux, que j'avois tout pouvoir, et ne me disoit nulle resolution.

            Sur quoy, je ne sceu que dire non plus, car vous ne m'avies rien marqué de particulier des defautz de M. Rosset. En somme, je conclus a M. de Vallon qui m'apporta la lettre, qu'en leur absence et la vostre je prouvoirois aux enfans, quand je m'appercevrois quil y eust chose qui meritast que j'y misse la main, pour le devoir que [2] je leur avois a tous trois ; mais que les peres et meres estans presens, c'estoit a eux de s'en accorder et de le faire ; et que je m'en remettois a eux, puisque principalement monsieur de Charmoysi requeroit en la lettre que vous m'envoyastes, des conditions en un maistre qu'on ne treuve pas mesme es maistres ou precepteurs des Roys : un maistre qui n'eust rien a faire qu'apres les enfans, ni pour dire la Messe, ni pour estudier d'estude particulier. Or en somme, il ne me sembloit pas raysonnable que les peres estans presens, je fisse rien en cela, n'y ayant rien qui pressast (que je sceusse), et le parti de M. Rosset estant defendu par tant de gens dignes de creance.

            Voyla tout, ma tres chere Fille, sinon quil faut que je vous die que des-ja le changement de M. Romain a M. Rosset fut treuvé mauvais, par ce que ceux la mesme qui parloyent en mal de M. Rosset ont dit despuis quilz avoyent eu tort, et M. de Charmoysi le fit seulement pour ne vous point desagreer, par condescendence. Certes, il ne faut pas craindre que les enfans perdent le tems en ce College, ou le P. Prefect mesme fait des repetitions particulieres, nommement aux vostres, desquelz il a un grand soin, et se contente fort de M. Rosset. Il ne faut pas aussi tenir tous-jours pressé (sic) les enfans de besoigne nouvelle. Ilz ont deux grandes leçons le jour, ilz ont des compositions a faire, ilz ont des repetitions frequentes : ilz ont, a mon advis, tout ce quil faut, et beaucoup plus que nous n'avions de mon tems. Je voy vos enfans qui se font gentilz, et ne me semble pas que vous en deves estre en peyne ; outre que M. Rosset, qui s'est veu a la veille d'estre hors de sa condition avec quelque deshonneur, s'evertuera de faire tous-jours mieux. [3] Et il m'a pleu de quoy il n'a pas nié l'accident qui luy arriva pour avoir mangé hors du logis.

            Au reste, nostre Mere est guerie, avec une grande consolation de voir arriver quantité de damoyselles et dames vefves bien qualifiees, qui demandent place en la Congregation. Elle vous escrivit, et je vous envoyay sa lettre, ce me semble, dans le pacquet auquel je mis la clausule du testament de feu M. Gavent. Je desire bien de sçavoir si vous l'aves receue.

            Il ne se faut point estonner si vostre cors estant inquiété d'infirmité, vostre esprit se treuve aussi un peu languissant, selon la partie inferieure. Il suffit que vostre volonté soit bien debout et resolue de tous-jours estre fidele. Dieu, a qui nous sommes, nous gardera et fera de plus en plus profiter en son saint amour et au veritable mespris de nous mesme.

            J'ay bien aussi envie de vous voir, mays quand vous seres remise. Je suis cependant, ma tres chere Fille, tres parfaitement tout vostre, comme vous sçaves.

            1er juin 1615.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [4]

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MLXXXVII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Une absolution que l'Evêque de Genève attend de la courtoisie de son destinataire. — Remerciements pour communication de manuscrits.

 

Annecy, 5 juin 1615.

 

            Monsieur,

 

            Il est vray, j'ay sursis de vous escrire si souvent, pour le respect que je doy a vos affaires, sans que pour cela j'aye laissé de desirer et demander souvent des asseurances de vostre santé. En cette espece de manquemens, je prendray, sil vous plait, l'absolution de vous, que vous ne me refuseres point, en vertu de vostre courtoysie, que j'implore des maintenant, en attendant lhonneur de vostre praesence quand il vous plaira le nous donner. Et lhors, je vous protesteray de vive voix ce que la haste de ce porteur ne permet d'escrire qu'en ce peu de motz, que je suis, Monsieur,

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            5 juin 1615.

            Monsieur, je vous remercie tres humblement de la communication de ces belles escritures, desquelles je feray selon vostre desir.

 

            A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon,

            Gouverneur de Savoye,

commandant generalement en l'absence de S. E.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Hartwell D. Grissell, à Oxford (Angleterre). [5]

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MLXXXVIII. A la Mère de Chantal, a Lyon. L'anniversaire d'une vocation. — Une race spirituelle que le Saint demande à Dieu de multiplier. — Actions de grâces à la divine Trinité

 

Annecy, [14 juin 1615.]

 

            A mesme que la tres souveraine bonté de la divine Trinité renvoye l'Esprit de son adoration en la sainte Eglise, elle renouvelle, ce me semble, celuy de la sacree vocation de ma tres chere, tres bonne et tres honnoree Mere, laquelle sortant de son païs sans sçavoir ou elle alloit, mais croyant a Dieu qui luy avoit dit : Sors de ta terre et de ton parentage, elle vint en la montagne qui avoit pour son nom : Dieu la verra ; et Dieu l'a veüe, multipliant sa race spirituelle comme les estoiles du ciel.

            O ! Dieu soit a jamais glorifié, ma tres chere Mere, avec laquelle je me res-jouis, ains au cœur de laquelle mon cœur se res-jouit comme en soy mesme. O qu'il soit, ce cœur de ma Mere, eternellement fiché au Ciel comme une belle estoile qui en ayt une grande trouppe autour. Est-il possible que nous chantions eternellement le cantique de gloire au Pere, au Filz, au Saint Esprit ? Ouy, l'ame de ma Mere le chantera es siecles des siecles. Amen. Et Dieu en sera beni en l'eternité des eternités. Amen. VIVE JESUS !

            Gloire soit au Pere, au Filz et au Saint Esprit, de l'assemblee qu'il a faite de tous ces cœurs pour son honneur ; mais, helas ! que de confusion pour le mien qui a si peu fidelement cooperé a une si sainte besoigne ! Or sus, cette mesme tressainte Trinité, qui est une tres souveraine bonté, nous sera propice, et nous ferons des-ormais sa volonté. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MLXXXIX. A Madame de Peyzieu. Ce qu'il faut éviter et réprimer dans les curiosités d'outre-tombe, à propos de nos parents défunts. — Pourquoi les chrétiens doivent modérer leurs regrets

 

Annecy, [vers mi-juin] 1615.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Ayant receu vostre lettre et le message que l'on m'a fait de vostre part, je vous diray que je connois fort distinctement les qualités de vostre cœur, et entre toutes, son ardeur et force a aymer et cherir ce qu'il ayme : c'est cela qui vous fait tant parler a Nostre Seigneur de ce cher trespassé, et qui vous porte a ces desirs de sçavoir ou il est.

            Or, ma chere Mere, il faut reprimer ces eslancemens, qui procedent de l'exces de cette passion amoureuse ; et quand vous surprendres vostre esprit en cet amusement, il faut soudain, et mesme avec des paroles vocales, retourner du costé de Nostre'Seigneur et luy dire, ou cecy mesme ou chose semblable : O Seigneur, que vostre providence est douce ! que vostre misericorde est bonne ! Hé, que cet enfant est heureux d'estre tombé entre vos bras paternelz, entre lesquelz il ne peut avoir que bien, ou qu'il soit.

            Ouy, ma chere Mere, car il se faut bien garder de penser ailleurs qu'au Paradis ou au Purgatoire, puisque, [7] graces a Dieu, il n'y a point de sujet de penser autrement. Retirés donques ainsy vostre esprit, et apres cela, divertissés-le a des actions d'amour envers Nostre Seigneur crucifié.

            Quand vous recommanderes cet enfant a la divine Majesté, dites-luy simplement : Seigneur, je vous recommande l'enfant de mes entrailles, mays bien plus l'enfant des entrailles de vostre misericorde, engendré de mon sang, mays reengendré du vostre. Et passés outre ; car si vous permettes a vostre ame de s'amuser a cet object proportionné et aggreable a ses sens et a ses passions inferieures et naturelles, jamais elle ne s'en voudra oster, et, sous pretexte de prieres, de pieté, elle s'estendra a certaines complaysances et satisfactions naturelles, qui vous osteront le loysir de vous employer autour de l'object surnaturel et souverain de vostre amour. Il se faut sans doute moderer en ces ardeurs des affections naturelles, qui ne servent qu'a troubler nostre esprit et divertir nostre cœur.

            Or sus donq, ma tres chere Mere, que j'ayme d'un amour vrayement filial, ramassons bien nostre esprit dans nostre cœur et le rangeons au devoir qu'il a d'aymer tres uniquement Dieu, et ne luy permettons aucun amusement frivole, ni pour ce qui se passe en ce monde, ni pour ce qui se passe en l'autre ; mays, ayant departi aux creatures ce que nous leur devons d'amour et de charité, rapportons tout a ce premier amour magistral que nous devons au Createur, et conformons-nous a sa divine volonté.

            Je suis tres affectionnement, ma chere Mere,

Vostre plus fidele et affectionné enfant,

F. [8]

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MXC. A Madame de la Fléchère. La lassitude du corps et les passions de l'âme. — Dans quel cas s'asseoir au temps de la prière. — Les distractions et l'oraison. — La vie en dehors de Dieu est une mort. — C'est au Saint-Esprit de pousser les âmes comme il lui plaît

 

Annecy. 20 juin 1615.

 

            Et moy, ma tres chere Fille, j'ay esté grandement consolé desçavoir de vos nouvelles, puisque mesme elles sont toutes fort bonnes ; car, quant a la chere fille, c'est un signe desirable pour sa future pieté que le cors se ressente des affections du cœur et quil en devienne las, car il en print ainsy a Nostre Seigneur mesme et a plusieurs de ses plus grans Saintz. Vous l'aves bien conseillee qu'elle s'assise, et il faut qu'elle le face avant que les maux de cœur la prennent ; c'est a dire qu'elle face toute l'orayson assise, ayant au paravant fait une adoration a genoux. Et quant aux distractions, pourveu qu'ell'ayt le desir de prier un peu ardent, elles cesseront petit a petit ; et si elles ne cessent pas, l'orayson en sera d'autant meilleure, comme faite sans goust ni interest, pour le pur amour de plaire a l'Espoux.

            Ce desir qui se presente en l'orayson et cette volonté qui luy vient tous les jours sont aussi des bonnes marques ; mays le tems fera voir plus clairement a quoy elle se devra resoudre. Et ce pendant, nostre bonne Mere viendra, avec laquelle elle conferera et tirera d'elle beaucoup de lumiere.

            J'iray en Chablaix ce moys d'aoust, Dieu aydant, ou j'auray toute commodité de la voir, si elle y est, pourveu [9] qu'on ne s'apperçoive point des bonnes pensees dont il est question, car ce sont choses que le monde contredit tous-jours.

            Si nous sçavons le jour auquel la seur Gavent ira a Belloci, nous y ferons rencontrer des gens pour l'assister et voir l'affaire. Je feray ce quil faut pour chasser ces miserables femmes. Nous benirons aussi l'eau ; mais vous ne me dites point a qui nous la donnerons.

            Je loue Dieu du mari et suis son serviteur. Nous verrons du maistre ce que c'en sera. Ma tres chere Fille, vives toute a Dieu, hors lequel la vie est une mort. Vous faites bien de ne point pousser la fille, c'est au Saint Esprit de luy donner les inspirations selon son bon playsir ; mais pour moy, j'ay quelque esperance quil la rendra toute sienne tres parfaitement, et ne doute point qu'au moins elle ne le soit suffisamment pour obtenir la verité, car cett' ame la est bien marquee.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.[10]

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MXCI. A Madame de Ruans. Les visites du Saint-Esprit parmi les tribulations. — Exhortation à l'amour de la Croix.

 

Annecy, 21 juin 1615.

 

            Madame,

 

            Je vous remercie de la confiance que vous aves en moy, qui reciproquement vous cheris d'une affection toute particuliere, et ne cesse point de vous souhaiter les vrayes consolations du Saint Esprit entre les tribulations desquelles sa Bonté vous visite, pour vous exercer en l'humilité et patience. Je vous escris sans aucun loysir, mais non pas sans beaucoup de desir de vous servir.

            Quand le livre dont vous me parles sera imprimé, qui ne peut estre de deux mois, vous en aures, Dieu aydant, que je prie cependant de vouloir estre luy mesme le livre de vostre cœur, dans lequel vous lisies et apprenies a bien aymer sa tressainte Croix, delaquelle il vous fait participante.

            Je suis de tout mon pouvoir,

            Madame ma chere Fille,

Vostre plus humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXI juin 1615.

 

            A Madame

Madame de Ruan.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Vitoria (Espagne). [11]

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MXCII. A Madame de la Croix d'Autherin. Dans la correction des défauts, ne pas séparer la pratique de l'humilité de la fidélité envers Dieu. — En quel cas le Bienheureux ne juge pas mauvais qu'on soit un peu privé de la sainte Communion. — Utilité des confessions fréquentes. — Annonce d'un voyage à Lyon et en Chablais. — La lecture spirituelle.

 

Annecy, 23 juin 1615.

 

            Je respons a vos deux lettres, ma tres chere Fille, vous conjurant avant toutes choses de ne plus appeller importunité pour moy la reception de vos lettres, laquelle, en vraye verité, m'est tous-jours extremement aggreable.

            Je voy bien en la premiere, vostre cœur tous-jours plein de bons et vertueux desirs, car il est de naturel fort bon ; mais, ce me dites vous, vous ne vous corriges pas asses puissamment de vos imperfections. Vous sçaves que je vous ay souvent dit que vous devies estre affectionnee esgalement a la prattique de la fidelité envers Dieu et a celle de l'humilité. De la fidelité, pour renouer vos resolutions de servir la divine Bonté aussi souvent que vous les rompres, et vous tenant sur vos gardes pour ne point les rompre ; de l'humilité, quand il vous arriveroit de les violer, pour reconnoistre vostre chetifveté et abjection. Mays certes, il faut tout de bon avoir soin de vostre cœur, pour le purifier et fortifier selon la multitude et grandeur des inspirations que vous en aves. [12]

            Et je ne treuve pas mauvais que vous soyes un peu privee de la tressainte Communion, puisque c'est l'advis de vostre confesseur, pour voir si le desir de retourner a la frequentation d'icelle vous fera point un peu prendre plus garde a vostre amendement. Et tous-jours feres vous bien de vous humilier fort aux advis de vostre confesseur, qui void l'estat present de vostre ame, lequel, quoy que je m'imagine asses sur ce que vous m'en dittes par vos lettres, si est-ce qu'il ne me peut pas estre conneu si particulierement comme a celuy a qui vous en rendes conte. Or j'entens, qu'encor que vous esloigneres un peu vos Communions, vous ne laisseres pas pour cela de bien suivre la frequence des confessions, car de celles ci, il n'y peut avoir aucune rayson de les esloigner ; au contraire, elles vous seront utiles pour assujettir vostre esprit qui, de soy mesme, n'ayme pas la sujettion, et pour l'humilier et luy faire mieux discerner ses fautes.

            Je vay a Lion pour contenter Monseigneur l'Archevesque de ce lieu-la, qui vouloit venir vers moy en toute façon si je ne me fusse resolu d'aller aupres de luy, puisque c'estoit bien la rayson que je le previnsse en cet endroit. Ce sera un voyage de 15 jours ou environ, apres lequel j'en veux faire un autre en Chablaix, pour estre de retour de tous deux en septembre ; mais je repasseray par icy, et seray tous-jours bien ayse de vous escrire, si je puis.

            Retenes bien vostre esprit en Dieu ; lises le plus souvent que vous pourres, mais peu a la fois et avec devotion. Aymes tous-jours mon ame qui cherit tres parfaitement [13] la vostre. Resalues monsieur vostre mary de ma part, et l'asseures que je suis son serviteur.

            Je vous respons a part, en la feuille ci-jointe, a la demande que vous m'aves faite pour la dame vefve, affin que, si vous voules, vous puissies monstrer ma response ; et suis invariablement, ma tres chere Fille, tout vostre et

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.

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MXCIII. A la même. Vengeances et réparations. — Quelle doit être l'attitude d'une personne honorable en face des diffamations, et le meilleur moyen de répondre aux chansonneurs. — Dieu protège l'honneur des gens de bien

 

23 juin 1615.

 

            Madame,

 

            Je respons a vostre derniere demande, en peu de paroles, que je n'ay pas changé d'advis despuis que j'escrivis l'Introduction a la Vie devote ; au contraire, je me voy tous les jours affermi en mon sentiment pour ce qui regarde le support des injures. La passion, a l'abord, nous fait tous-jours desirer des vangeances ; mais quand nous avons un peu de crainte de Dieu, nous n'osons pas les appeller vangeances, ains nous les nommons reparations.

            Que cette bonne dame me croye, et qu'elle n'entre point en terme de proces pour ces chansons, car ce ne seroit que multiplier le mal, en lieu de l'estouffer. Jamais [14] une femme qui a le vray fondement de l'honneur ne le peut perdre ; nul ne croit ces infames diffamations, ni ces chansonneurs : on les tient pour des meschans. Le meilleur moyen de reparer les ruines qu'ilz font, c'est de mespriser leurs langues qui en sont les instrumens, et de leur respondre par une sainte modestie et compassion.

            Mays sur tout, certes, il n'y a point d'apparence que ce pauvre diffamateur se sousmettant a reparer autant qu'en luy est l'injure, au jugement des parens, on aille prendre cet autre biais de playdoyeries, c'est a dire de labirinthes et abismes de conscience et de moyens. Or, je ne desappreuverois pas qu'il confessast sa faute, declairast son animosité et demandast l'oubly ; car encor qu'il soit de peu d'authorité, ayant commis cet acte, si est ce pourtant que c'est tous-jours quelque sorte de lumiere pour l'innocence, de voir ses ennemis luy faire hommage. Mays, plustost que de venir par proces, elle devroit faire tout autre chose. J'ay une recente experience de la vanité, ou plustost du dommage que les proces apportent en ces occasions, en une des plus vertueuses dames du Maconnois, qui s'est infiniment mal treuvee d'avoir quitté mon advis pour suivre l'impetuosité de la passion de ses parens. Croyés moy, ma chere Fille, l'honneur des gens de bien est en la protection de Dieu, qui permet bien quelquefois qu'on l'esbransle pour nous faire exercer la patience, mais jamais il ne le laisse atterrer, et le releve soudain.

            Vivés toute a Dieu, pour lequel je suis, Madame,

Vostre humble serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            Veille de saint Jean.

 

A Madame de la Croix d'Auterin.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [15]

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MXCIV. Au Cardinal Denis-Simon de Marquemont Archevêque de Lyon (Fragment). L'intention de saint François de Sales en fondant un nouvel Ordre de Religieuses. — Quelle doit être leur unique prétention.

 

Annecy, [juin] 1615.

 

……………………………………………………………………………………………………..

C'est pour donner a Dieu des filles d'orayson et des ames si interieures, qu'elles soyent treuvees dignes [16] de servir sa Majesté infinie et de l'adorer en esprit et en verité. Laissant les grans Ordres des-ja establis dans l'Eglise honnorer Nostre Seigneur par d'excellens exercices et des vertus esclattantes, je veux que mes filles n'ayent autre pretention que de le glorifier par leur abbaissement ; que ce petit Institut de la Visitation soit comme un pauvre colombier d'innocentes colombes, dont le soin et l'employ est de mediter la loy du Seigneur, sans se faire voir ni entendre dans le monde ; qu'elles demeurent cachees dans le trou de la pierre et dans le secret des mazures, pour y donner a leur Bienaymé vivant et mourant, des preuves de la douleur et de l'amour de leurs cœurs, par leur bas et humble gemissement… [17]

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MXCV. A la Mère de Chantal, a Lyon. Le gouverneur de Lyon, commensal et ami du Saint. — L'union des âmes les rend présentes l'une à l'autre. — Annonce d'un sermon d'amour

 

Lyon, [2 juillet 1615.]

 

            Le billet d'hier ainsy entrecouppé m'anonça bien quelle estoit mon ame. Hé, vive Jesus, et mon ame vivra ! [17]

            Monsieur d'Alincourt soupa hier ceans et y demeura jusques pres d'onze heures, resolu de venir au sermon ce matin, que je ne pensois estre qu'un sermon particulier. Ce soir je seray aupres de vous et de nos Seurs, marri plus quil ne se peut dire que mon loysir s'en aille ainsy.

            Pour Dieu, ma tres chere Mere, tenons nostre cœur en suavité, tous-jours inseparablement present a soy mesme, puisque l'extraordinaire unité dont Dieu l'a doué peut bien faire ce coup, et que la necessité du service de sa gloire requiert que nous employons cette grace a cela. O Seigneur, a qui tout est present, donnes a nostre esprit une telle presence de soy mesme comme vous luy aves donné un'unité, affin quil vive autant consolé quil est requis pour vous bien servir en vostre presence, Seigneur, et en la sienne de soy mesme. VIVE JESUS ! Amen.

            Je m'en vay faire un sermon d'amour, le plus ardemment que je pourray.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy. [18]

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MXCVI. A la même, a Lyon (Billet inédit). Mémoire et visite pour une affaire

 

[Lyon, 1er -9 juillet 1615.]

 

            Il ny a pourtant remede ; on me dit quil faut que je presente le memorial, puys on me dit quil ne faut pas l'attendre. Or sus, j'iray aujourdhuy voir ce seigneur : Dieu y mette sa main. C'est l'escrit mesme que je donnay a M. Sedite, quil faut faire voir et corriger.

 

Revu sur l'Autographe qui appartenait aux RR. PP. Missionnaires

de Saint-François de Sales, à Annecy.

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MXCVII. A la même, a Lyon. Annonce d'un départ et d'une visite

 

[Lyon, 1er-9 juillet 1615.]

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Avec mille bonsoir (sic), je vous avertis du depart du [19] P. Cordelier, qui sera demain un'heure devant jour ; si vous aves escrit, je feray le memorial. Mays en attendant, conserves vous, je vous en supplie, ma tres chere et tres bonne Mere, que je verray, Dieu aydant, demain.

            Bonsoir, ma tres chere Mere. Nostre Seigneur soit a jamais au milieu de nostre unique cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Poitiers. [20]

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MXCVIII. Au Supérieur d'une Communauté. Charité compatissante du Saint en faveur d'un Religieux expulsé de son Ordre

 

Annecy, 13 juillet 1615.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            Le Frere N. vint a moy au plus fort de son affliction, et puis dire qu'il estoit plus mort que vif, tant sa desolation estoit extreme ; et je me resouvins de Celuy qui linum fumigans non extinguit, et quod confractum est non conterit. Il me presenta ses patentes de [20] demission, ejection et expulsion de l'Ordre, et, par ses larmes, impetra aysement de moy le sejour de quelques semaines en ce diocese, pendant lesquelles je fus a Lion pour y visiter Monseigneur l'Archevesque, chez lequel le R. P. V. me parla. Et pour dire ma pensee, il me parla selon mon cœur, car il me recommanda ce pauvre homme, prestre et lié par les vœux de Religion, affin qu'il fust aucunement consolé.

            Despuis, je fis encor plus volontier ce que je voulois faire en charité autour de cette ame. Mais, mon Reverend Pere, ç'a tous-jours esté avec cette reserve, qu'elle respecteroit et honnoreroit en toutes occurrences vostre Ordre, et se comporteroit humblement envers tous ceux qui en sont. Et sur vostre advertissement, je tiendray encor plus fortement la main sur luy pour cela, tandis qu'il demeurera dans mon diocese, ne desirant rien tant que de donner satisfaction aux Religieux, et particulierement a ceux de vostre condition.

Mays, mon Reverend Pere, vous me proposes le retour de cette brebis en vostre parc. Je croy qu'elle ne desireroit pas mieux, et sur tout, s'il vous plaisoit de l'asseurer que vous favoriseries sa bonne intention de quelque doux accueil et de quelque moderation en la penitence que

peut estre vos Constitutions ordonnent a ceux qui reviennent. Que si vous prenes le soin de me tenir adverti de vostre volonté pour ce regard, je coopereray a ce bon œuvre de tout mon cœur ; duquel vous saluant bien humblement et vous souhaittant toute sainte benediction, je demeure,

            Mon Reverend Pere,

Vostre tres humble frere et serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessi, ce 13 julliet… [21]

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MXCIX. A la Mère de Chantal, a Lyon. Le retour de l'Evêque de Genève à Annecy ; la présidente Le Blanc l'accompagne à Saint-Priest. — Mme de Travernay à l'article de la mort ; une petite histoire villageoise

 

Annecy, 14 juillet 1615.

 

            Par cette premiere commodité, je vous rens conte de nostre voyage, ma tres chere Mere. Certes, quand Monsieur l'Archevesque me laissa, il me tesmoigna beaucoup d'amitié. Or, je cultiveray la faveur que ce grand Prelat me fait, le plus soigneusement qu'il me sera possible.

            Nous vinsmes donq ce jour-la a Saint Prix, et tous-jours avec la bonne madame la Presidente [Le Blanc] qui m'ouvrit son cœur, autant que l'occasion le luy permit, fort franchement. C'est un bon cœur, en verité, et auquel je souhaitte beaucoup de vraye prosperité. Elle a grand besoin d'estre assistee et appuyee bien doucement, pour la multitude des travaux que la vivacité de son esprit luy donne, qui ne cesse guere de luy fournir des motifz pour aggrandir son mal. Elle demanda congé a Monseigneur l'Archevesque d'entrer vers vous, lequel le luy accorda, et luy donna mesme esperance de luy permettre d'y coucher. Quand cela arrivera, aydés-la bien, ma [22] tres chere Mere, car elle le merite et en a besoin. Si elle vient icy l'annee prochaine, comme elle en a fait le dessein, alhors nous aurons plus de moyens de la bien consoler. Je vous escriray un petit billet a part affin qu'elle le voye, ayant bien du desir qu'elle sache que je la cheris et estime, pour la plus grande gloire de Dieu.

            J'arrivay samedy a Sessel, ou je preschay le dimanche matin, et vins coucher en cette ville, et treuvay a mon arrivee nouvelles que madame de Treverney estoit en l'article de la mort. Je partis hier de grand matin pour luy rendre mon dernier devoir, puisqu'elle estoit de mes filles. A mon arrivee, elle s'eslança a mon col avec une joye bien extraordinaire a son humeur melancholique, elle qui jamais ne me fit aucune caresse. En somme elle se remit tellement, qu'encor que je ne pense pas qu'elle la fasse longue, si est-ce que je pense qu'elle vivra encor plusieurs jours.

            Elle se confessa derechef a moy, pour sa consolation et non par necessité, car elle avoit receu le jour precedent tous ses Sacremens, et mesme l'Extreme Onction, et fit la plus absolue indifference que j'aye jamais veuë ; car ses domestiques et voysins la pressant de faire des vœux pour guerir, jamais elle ne voulut, mays dit que ce que Dieu feroit luy seroit le plus aggreable et qu'elle ne voudroit pas, par le moindre desir dû monde, demander a Dieu ni la vie ni la mort, luy laissant sans reserve sa vie entre ses mains, pour en faire a son gré ; et ce qu'il [23] luy plairoit seroit aussi ce qu'elle vouloit. Mais elle disoit cela si fermement, que je voyois clairement que c'estoit tout de bon que ce luy estoit tout un. Et, bien qu'elle dist que sa Françon, ma filleule, luy touchoit un peu le cœur parce qu'elle estoit encor si petite, neanmoins elle adjoustoit, non seulement avec force, mays avec tendreté, que si Dieu la retiroit, il sçavoit bien ce qu'il feroit de cette fille, et que, pour elle, elle ne vouloit nullement desirer de vivre, sinon tout ainsy que Dieu le voudroit. En somme, je luy dis ce que je sceu, et tout a son gré. Je la laissay en paix, sans apparence de mal, sans plainte, sans tesmoigner aucune sorte de passion, sinon de revoir son mary, qui estoit la seconde chose qu'elle avoit desiré avant son trespas. Ces petites histoires villageoises me playsent et m'edifient, et c'est pourquoy je vous les raconte.

            J'escris a Monseigneur l'Archevesque par honneur.

            Ma tres chere Mere, je suis, comme vous sçaves vous mesme, tout vostre, sans reserve ni difference quelcomque. Vivés toute genereusement et noblement joyeuse en Celuy qui est nostre unique joye. Je salue du fond de mon cœur ma tres chere fille ma Mere et mes cheres Filles, avec nos cheres Novices, entre lesquelles je cheris particulierement ma Sœur Françoise Hieronime ma cousine, parce qu'elle est la cadette de Lion.

            A Dieu, ma tres chere Mere, le doux Jesus soit a jamais nostre vie. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 14 julliet 1615.

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MC. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). L'importunité des grandes villes. — La paix après la guerre : courage militaire des princes de Savoie et de la noblesse savoyarde ; force veuves et orphelins.

 

Annecy, 15 juillet 1615.

 

            Monseigneur,

 

            Convié par Monseigneur l'Archevesque de Lion, j'ay esté aupres de luy ces jours passés, et pensois bien de la vous bayser les mains, comme je fay maintenant tres humblement par lettre ; mais je n'en eus jamais le loysir, a cause de l'empressement des visitari et visitare. Certes, ces grandes villes sont importunes pour cela, au moins pour les pauvres villageois comme moy, qui n'y sont pas accoustumés. Mais, si je n'ay peu vous escrire, je n'ay pas laissé de parler souvent de vous avec ce digne Prelat, qui certes tesmoigne de vous honnorer et estimer grandement ; en quoy je prenois grand playsir, comme vous pouves penser.

            Au reste, nous voyci dans la paix, graces a Dieu, que je supplie la vouloir rendre longue et heureuse. La guerre a esté courte, mais aspre tout ce qui se peut, [25] et ou Son Altesse et les Princes ses enfans ont fait paroistre leur vertu originaire des anciens Amé et Thomas. Nous y avons perdu plusieurs braves gentilz-hommes savoyards, car nostre nation a esté la plus employee et s'est grandement signalee en cette occasion ; de sorte que nous avons force vefves et orphelins, desquelz les vœux rendront la paix durable.

            Je prie la divine Bonté qu'elle vous comble de ses plus cheres faveurs, et suis immortellement,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            15 julliet 1615, Annessi.

 

Revu sur une ancienne copie, conservée à la Visitation de Montpellier. [26]

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MCI. A M. Antoine des Hayes. Pourquoi le jeune des Hayes a fini par se ranger à la discipline. — Ce qu'il faudra faire s'il ne persevère pas. — Tendresse et sollicitudes du Saint pour le fils de son ami. — Eloge du prince de Piémont.

 

Annecy, 15 juillet 1615.

 

            Monsieur,

 

            Convié par Monseigneur l'Archevesque de Lion, j'ay esté ces jours passés aupres de luy, ou je pensois treuver le loysir de demy heure pour vous escrire ; mays je ne sceu onques gaigner cela sur la multitude des visites et de quelques autres occupations qui me furent donnees, outre quelques predications. Maintenant je repare la faute, et vous diray hardiment le mal apres la guerison.

            Nostre filz a eu fort affaire a se ranger a la discipline du college, et luy estoit bien advis que cela estoit contraire a sa reputation. La racine de son mal est en une certaine grace qu'il a de gaigner les espritz et tirer les cœurs a soy, lesquelz par apreès le tirent a eux et luy donnent telles impressions qu'ilz veulent. Il a eu pour cela prou de disputes avec ses maistres, qui le vouloyent empescher de sortir et de prendre des libertés contraires aux regles du college. Et je l'ay encor plus souvent reprimandé ; en quoy il m'a extremement obligé, par le sentiment qu'il a tesmoigné d'estre marry de me desplaire, si que, en fin, pour l'amour de moy, il commence fort a se bien ranger ; et par ce moyen, il tireroit encor mon cœur a soy, s'il ne luy estoit des-ja tout acquis. [27]

            S'il persevere, nous aurons occasion de nous en contenter ; s'il ne le fait pas, il faudra user de l'un de ces deux remèdes : ou bien le retirer dans un college un peu plus fermé que celuy ci, ou bien luy donner un maistre particulier, qui soit homme et auquel il rende obeissance. Car en fin, cet enfant est vostre unique, et certes, grandement aymable ; neanmoins, le voyla en ses annees perilleuses, que la nourriture de page rend encor plus dangereuses. Mays il ne se faut point lasser de bien cultiver cette plante, car elle rendra sans doute de tres bons fruitz.

            Il ne se peut dire combien nous sommes grans amis, ni combien il me respecte : cela, avec un maistre particulier, suffira pour le bien conduire, si par adventure il ne perseveroit pas. Mais j'espere qu'il le fera, car les Peres Barnabites et M. Peyssard m'asseurent grandement qu'il observe maintenant fort exactement ce qu'il m'a promis. Je vous supplie de luy escrire que je vous ay tesmoigné du contentement de luy, affin de luy donner courage de continuer.

            La grande peyne que j'avois de luy, c'est a cause de l'eau, sur laquelle il se plaist extremement ; et je craignois qu'il ne se pleust encor de se mettre dedans pour se baigner en quelque endroit dangereux, parce que toutes les annees il s'y perd quelqu'un. Mais il m'oblige infiment en cela, car il ne s'y met point. En somme, sachés, je vous supplie, Monsieur, que cet enfant m'est cher comme mes yeux, et que, de son costé, il paternise excellemment a m'aymer ; et si, j'espere que, passé ces annees perilleuses, on le verra encor paterniser en plusieurs autres conditions, Dieu aydant. [28]

            Nous avons la paix, graces a Nostre Seigneur. Playse a sa divine Majesté qu'elle dure, et qu'elle donne ouverture a quelque bonne intelligence et alliance pour le Prince de Piemont, qui est le plus sage, le plus courageux et le plus devot prince qui ayt esté il y a long tems.

            J'escris sans aucun loysir ; c'est pourquoy je prendray la confiance de ne point escrire a madame ma tres chere fille, a laquelle indivisement avec vous, Monsieur, je souhaitte mille et mille benedictions, demeurant pour jamais

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            Annessi, le… julliet 1615.

 

            A Monsieur

[Monsieur] des Hayes,

Conseiller et maistre d'hostel du Roy,

Gouverneur et Baillif du chasteau et ville de Montargis.

MCII. A Madame de Travernay (Inédite). Paternel intérêt pour une jeune veuve malade, nièce de la destinataire.

 

Annecy, fin juillet ou commencement d'août 1615.

 

            J'ay de rechef beaucoup de consolation, ma tres chere Fille, de vous voir si contente aupres de ce cher mari, [29] qui me fait beaucoup d'honneur de m'aymer, quoy que je ne le merite nullement, si ce n'est par la fidele affection que je vous ay a tous deux.

            Mays je suis, certes, grandement en peine de la maladie de madame du Chatelart, a mesure que je la cheris tendrement et d'un cœur vrayement paternel, selon qu'elle me fait lhonneur de se nommer ma fille. Ces fievres continues sont tous-jours dangereuses, et mesme en une personne attristee. J'espere neanmoins que le benefice de nature qu'ell'a eü apres une si longue retention, luy sera salutaire et que, moyennant les remedes que ce bon medecin, qui est fort experimenté, luy appliquera, le mal ne passera pas le septiesme, Dieu aydant, lequel nous prierons ardemment pour elle.

            Qu'a jamais son saint nom soit beni. Amen.

            Je suis, Madame ma tres chere Fille,

Vostre plus humble tres affectionné compere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            ………. 1615.

 

            A Madame

Madame de Treverney.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Amiens. [30]

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MCIII. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). Les suites de la guerre pour les deux partis. — « La terre des tranchees » et « celle des tombeaux. »

 

Annecy, 4 août 1615.

 

            Monseigneur,

Ce n'est que pour me tenir en mon devoir et pour mieux m'asseurer du desir que j'ay que ce porteur vous bayse les mains de ma part, que je luy donne ces quatre lignes affin quil les vous presente. Car, dequoy vous pourrois je entretenir maintenant ? Chacun, en ce païs, se repose pour un peu, comme gens qui ne font que de sortir d'un grand travail, et tous-jours quelques uns prennent le repos final dans la sepulture, pour les extremes incommodités quilz ont souffertes en la guerre, en laquelle il semble quilz n'ont pas eu le loysir de mourir, et qu'au premier tems qu'ilz ont de relasche, ilz font ce devoir. Mais, ce qui console les miserables, c'est que de ceux qui furent nos ennemis, il en meurt beaucoup davantage, comme s'ilz n'estoyent sortis de la terre des tranchees que pour reentrer en celle des tombeaux.

            Je m'en vay cependant en Chablais pour quelques [31] semaines, ou les affaires de ces quartiers la m'appellent ; mais je demeure par tout a jamais,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            4 aoust 1615, Annessi.

 

Revu sur une ancienne copie, conservée à la Visitation de Montpellier.

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MCIV. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex. Recommandation en faveur d'un catholique. — Les mariages que l'Evêque de Genève ne voulait pas autoriser.

 

Annecy, 14 août 1615.

 

            Monsieur le Curé,

 

            Cette remarquable qualité de catholique que ce porteur possede, me fait luy desirer du contentement. Je desirerois neanmoins quil en eut sans prejudice de ma parole, et ne doutant point que les sieurs Gay et Choudens ne s'accommodent volontier a mon intention, je vous prie de faire avec eux quilz associent ce personnage [32] qui, pour l'appuy quil aura de monsieur de Siccard et de monsieur de la Faye, pourra beaucoup pour rendre la ferme plus utile. Que si ilz ne s'accommodent pas a mon desir, je vous prie de surseoir et me venir voir.

            Pour le mariage, je ne voy ni petite ni grande apparence que je le puisse treuver bon ou advoüer sans declaration de la fille. Et ne sert a rien de m'alleguer des exemples, car les Evesques qui les permettent peuvent avoir plus d'authorité que je n'ay pas ; et comm'ilz ont, je m'asseure bien, dequoy respondre de leurs actions, aussi respondray-je, comme j'espere, des miennes. Je ne doute point que les mariages des catholiques et hæretiques ne soyent bons quand ilz sont faitz ; mais de les permettre et faire benir, le Pape mesme ne le fait pas. Je sçai quil arrive des consequences peu desirables, mays je m'arreste a mon devoir.

            Atant, vous priant d'avoir tous-jours bon courage parmi ces petitz tracas, je supplie Nostre Seigneur quil vous comble de ses graces, et suis,

            Monsieur,

Vostre plus humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

            A Monsieur

Monsieur le Curé de Gex.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Reims. [33]

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MCV. A la Mère de Chantal, a Lyon (Inédite). Des Tiercelines de Toulouse en quête d'une direction ; difficulté pour la Visitation de l'accepter. — Expédient proposé pour contenter les dames de Billom. — Il vaut mieux refuser que d'entreprendre témérairement

 

Annecy, 16 ou 17 août 1615.

 

            Quelle presse, ma tres chere Mere ! Hier, bien tard, je receu vos lettres ; ce jourdhuy, jour de mon depart, je tasche de respondre entre mille embarassemens.

            Or sus, comme je pourray, je vay dire premierement, que ces bonnes dames seront les bienvenues apres [34] la [Toussaint,] que vous seres icy, si vous treuves bon qu'on les reçoive dans la Visitation pour le tems qu'elles demandent, et que vous pensies qu'elles doivent estre edifiees de la conversation de nos cheres Seurs et de ma veüe ; car, ma chere Mere, vous qui les aves veües, pourres mieux discerner cela que moy. Seulement, je suis en peine de ce bon monsieur le president de Ressiguier, qui, comme homme de qualité, sil [35] demeure tant parmi nous, aura sans doute fort a faire a supporter nos bassesses et imperfections. Voyes un peu, ma chere Mere, et penses ; et sil vous semble que c'est la gloire de Dieu, dites-leur qu'oüy, pour moy comme pour vous mesme. Il faut, ma chere Mere, en telles occurrences me dire vostre advis ; car, moy qui ne voy que par vos yeux comme par les miens, en ceci, comme puis-je bien juger sans vous ?

            De l'autre projet, certes, je ne voy nulle apparence que nous employons nos filles pour les monasteres du Tiers Ordre, car nous n'en avons pas de reste de filles qui puissent servir de conductrices. Et puis, comme pourroyent elles servir en un Institut qu'elles [ne connaissent] pas ? J'admire que cette bonne [dame refuse de convertir] ce dessein en Carmelines ; car, pour [le dire à votre cœur] comme au mien propre, les Tiercelines… lesquelles le sont d'un seul Ordre et qui n'est encor [pas reconnu des] doctes, comme n'ayant que cinq ou six petitz monasteres.

            Pour nostre Congregation, je ne voy pas qu'elle puisse tant faire tout a coup, ni mesme pour ce que nostre chere grande Seur propose pour Billon. [Il m'est [36] avis que] ce seroit un bon expedient, que la Mere Elisabeth venant icy, amenast avec soy deux des plus capables de Tholouze et autres deux de Billon, qui, en quatre ou cinq moys, pourroyent estre suffisamment façonnëes pour retourner vers les autres et les mettre en train, avec l'assistence des lettres et des visites de monsieur l'Aumosnier ou de quelqu'autre avec lequel nous confererions ; car en somme, je ne voy rien en cette ville que ma Seur de la Roche, pour le present, laquelle ne seroit encor peut estre pas bonne toute seule.

            Ma Seur de Gouffier pourroit, si son affaire estoit enteriné. Mays quoy ? cela n'est que deux ou trois au plus.

            Si donq on ne veut pas prendre l'expedient d'envoyer icy les filles a l'apprentissage, et qu'on ne veuille pas attendre au moins un an et demi, il est mieux de refuser humblement ce qu'on ne peut pas bonnement entreprendre, que de l'entreprendre temerayrement. Et puis, en tous cas, il faut attendre que nos Regles soyent [bien approuvées et] la Mayson de Lion bien establie par [l'autorité de Mgr] l'Archevesque. Et se faut bien garder de [vouloir s'établir] en aucun diocaese que l'Evesque n'ayt [donné telle] resolution quil ny ait plus rien a dire de son costé ; car, si sur les…

 

Revu sur l'Autographe conservé à Milan, Archives Borromeo. [37]

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MCVI. A la même, a Lyon. Affaires variées. — Une mortification pour Mme de Charmoisy. — Salutations particulières du Saint à ses chères Filles. —Souvenir de sa première rencontre avec Marie-Aimée de Blonay

 

Thonon, 19 août 1615.

 

            Le bon Frere Adrien part d'icy avec moy ; mais luy, ma tres chere Mere, pour aller ou vous estes, et moy pour aller en Abondance, ou vous n'estes pas encor, mais ou vous seres quand j'y seray, puisque Dieu a voulu que nous ne fussions qu'une mesme chose en luy. Ce ne sera pas sans parler de nostre bastiment d'Annessi avec ce bon Abbé, si toutefois l'arrivee du Pere General des [38] Feüillans qui, comme moy, y doit estre pour le jour de saint Bernard, ne nous occupe en d'autres affaires que vous sçavés. Nous y aurons monsieur de Charmoysi, et la petite seur sera un peu mortifiee, qui me vouloit faire festin aujourdhuy. Je ne l'ay encor veu qu'une seule petite fois en commun, car, comme vous sçaves, je ne fay pas ce que je veux a voir mes filles, ni mesme, ce qui importe le plus, a voir ma Mere.

            A mon retour, je vous escriray de rechef, si j'en treuve la commodité ; or, mon retour sera d'icy a quatre jours. Je m'asseure que vous aures meshuy receu la response [39] que je vous fis sur la venue de cette bonne Mere Isabelle, et sur l'envoye des filles, et j'attendray de sçavoir vostre sentiment.

            Je salue toutes nos cheres filles ; mais permettes que ma chere niece sache que je suis bien tout sien, et que ma chere Marie Peronne mecherisse particulierement avec la petite cadette, laquelle je n'ay garde d'oublier ce soir, puisque je seray chez son pere, ou je la vis la premiere fois habillee de blanc, avec un chapeau de paille.

            Ma tres chere Mere, le tems me presse, car Monseigneur l'Archevesque d'Evian, mon consecrateur, m'attend a disner, aagé de 86 ans. En somme, je suis tres parfaitement et inviolablement, comme vous sçaves vous mesme, tout vostre. Vive Jesus. Amen.

 

            A Madame

Madame de Chantal, Supe de la Visitation.

            A Ste Marie de Lyon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Venise. [40]

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MCVII. A la sœur de Bréchard Assistante de la Visitation d'Annecy (Inédite). Une affaire très heureusement engagée par le Saint. — Dieu fait son bon plaisir malgré les petitesses et l'amour-propre des hommes. — Deux aspirantes à la Visitation.

 

Thonon, 27 août 1615.

 

            Cet autre mot tout [fin] seul a ma tres chere fille, que je remercie mille fois de sa chere bienveuillance ; aussi suis-je tout sien. Le P. D. Juste viendra, je m'asseure, soudain icy, pour achever un affaire que Dieu a tres heureusement acheminé par mon service, et j'espere que luy mesme fera encor l'accommodement des jardins, que vous aves tant de justes sujetz de desirer et que nostre chere Mere affectionne tant ; je dis nostre Mere en tout ce qu'ell'est. Et je me suis resouvenu du jardin, quand j'ay veu comme Dieu faisoit son bon playsir malgré la foiblesse des espritz humains et les tenebres de l'amour propre. [41]

            On m'escrit que nostre tres aymable Mme du Chastelard s'est declaree a sa grand mere en faveur du voyle sacré, pour forclorre toutes les recherches du monde. M. de Vallon [a aussi une] brave fille qui poursuit icy, et on est [après à voir] ce que son pere pourra donner.

            … et envoyer par la premiere commodité [le paquet] ci joint, et aymes [toujours bien mon] ame, la recommandant a la [miséricorde] de Dieu, qui vous comble toute de ses benedictions. Amen.

            Je salue nos cheres filles tres aymees. En haste.

            27 aoust 1615.

 

Revu sur deux copies conservées à la Visitation d'Annecy.

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MCVIII. A la même. Liberté de conscience laissée aux Religieuses de la Visitation. — D'où dépend véritablement la ferveur.

 

Thonon, [fin août ou commencement de septembre 1615.]

 

            Je ne sçai rien de cette coustume, et nostre Mere, [42] ou je suis le plus trompé du monde, n'a pas eu intention en cela de se lier a faire ainsy toutes les annees, comme peut estre ell'a fait deux ou trois fois au plus. Mays si quelques unes desirent de se confesser a quelque confesseur autre que l'ordinaire, elles le peuvent sans difficulté et sans que les autres qui n'ont pas ce goust-la soyent obligees a changer de confesseur. On peut le dire a M. Michel qui, comme je pense, est capable de cela et de chose plus grande que cela. O Dieu, qu'il est vray que la ferveur ne depend pas de la bouche des confesseurs differens, mays de la grace de Dieu et de la simplicité et humilité du cœur ! Mays les Constitutions sont claires, qu'on peut appeller des confesseurs outre les quatre fois, pour la consolation de celles qui le desirent. Vous pourres donq appeller quelque Pere Barnabite.

            Bon jour et bonn'eternité, ma tres chere Fille.

            VIVE JESUS !

 

Revu sur l'Autographe conservé à Beaufort (Maine-et-Loire),

chez les RRdes Sœurs hospitalières de Saint-Joseph. [43]

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MCIX. A Madame de Peyzieu. Charitable sollicitude pour la santé de la destinataire. — Conseils appropriés aux besoins de son âme.

 

[Août-septembre 1615.]

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Si faut il que je vous salüe le plus souvent que je pourray. Je suis en peyne de vous, a cause de ces maladies qui courent, qui sont populaires.

            Mon Dieu, ma bonne Mere, que cette vie est trompeuse et que l'eternité est desirable ! Que bienheureux sont ceux qui la desirent ! Tenons nous bien a la main misericordieuse de nostre bon Dieu, car il nous veut tirer apres soy. Soyons bien debonnaires et humbles de cœur envers tous, mais sur tout envers les nostres. Ne nous empressons point, allons tout doucement, nous supportant les uns les autres. Gardons bien que nostre cœur ne nous eschappe : Helas, dit David, mon cœur m'a laissé. Mais jamais nostre cœur ne nous abandonne si nous ne l'abandonnons point ; tenons le tous-jours en nos mains, comme sainte Catherine de Sienne, et saint Denys sa teste.

            Jesus Christ soit a jamais en nostre cœur, ma chere Mere. Je suis en luy,

Vostre filz,

F. [44]

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MCX. Au Prince de Piémont Victor-Amédée (Minute). On peut attendre de grands fruits de l'établissement des PP. Barnabites à Thonon et de la restauration du culte qui sera faite par eux dans l'église de Saint-Augustin. — L'Evéque recommande au prince les affaires de la religion catholique.

 

Thonon, 3 septembre 1615.

 

            Monseigneur,

 

            Suivant le commandement de Vostre Altesse, je suis venu icy pour procurer l'introduction des PP. Barnabites [45] en la Sainte Mayson de Nostre Dame de Compassion, et en fin le traitté de cette affaire est parvenu jusques a l'arresté cy joint.

            Or, il ne se peut dire combien l'advancement des Peres Barnabites en ces contrees de deça sera utile pour celuy de la gloire de Dieu, non seulement pour la confirmation de la foy parmi ces bons peuples, qui, a la faveur de l'incomparable courage et rare pieté de Monseigneur, pere de Vostre Altesse, ont esté remis dans le giron de la sainte Eglise catholique, mays aussi pour la confusion des ennemis de la foy qui environnent de toutes parts cette province, delaquelle il ne se peut faire que le bien spirituel ne s'escoule petit a petit sur le voysinage, [46] qui, parce moyen, pourra recevoir insensiblement des grandes dispositions pour se convertir et reduire au devoir.

            Mais encor, Monseigneur, je ne puis me retenir que je ne tesmoigne la joye que je sens dequoy, parla venue de ces bons Peres en cette ville, nous verrons refleurir le saint service divin dans l'eglise de Saint Augustin, fondee par le fameux Amé, grand aïeul de Vostre Altesse, et en une ville honnoree de la naissance de cet excellent Serviteur de Dieu, le bienheureux Amé, duquel nous respirons la canonization avec des desirs nonpareilz, esperant que, par la publique invocation de son secours, nous obtiendrons la fin de tant d'afflictions, de pestes et tempestes, desquelles, despuis quelques annees, il a pleu a Dieu de visiter ce peuple.

            Vostre Altesse, Monseigneur, a pour le partage de la splendeur hereditaire et tous-jours croissante de sa serenissime origine, la gloire des œuvres de sa douce et immortelle pieté ; et pour cela, comme elle est l'un des fleurons de la couronne de Monseigneur son pere, elle est aussi l'une des plus pretieuses colomnes du temple de Dieu le Pere eternel : dont, pour l'une et l'autre qualité, je prens la confiance d'implorer la bonté de Vostre Altesse en toutes les occurrences qui regardent les affaires de la sainte religion catholique, entre lesquelz celuy de l'amplification de ces bons Peres Barnabites et le restablissement du service divin en tous les Monasteres de deça estant l'un des plus importans, je le [47] recommande tres humblement au zele de Vostre Altesse, a laquelle je fay tres humblement reverence, ne cessant point de luy souhaiter le comble des faveurs celestes, et demeure, Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCXI. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère (Inédite). Instructions particulières pour assurer la régularité d'un concours. — La science seule ne suffit pas à l'exercice du ministère pastoral. — Nouvelles de la peste. — Le Saint accepte de séjourner aux portes d'Annecy à son retour du Chablais. — Salutations et messages.

 

Thonon, 6 septembre 1615.

 

            Mon tres cher Frere mon ami,

 

            Le P. D. Juste partit hier et vous porta de mes [48] lettres ; mais despuis, je receu celle que vous m'escrivies pour la difficulté qui doit arriver au concours. Je ne sçai si celuy qui la doit faire a sa dispense des deux irregularités, dont l'une luy est naturelle, estant nay hors le mariage, et l'autre acquise, pour jugé, comm' il est a croire, in criminalibus. Le moindre memorial qu'on en jettast sur la table le forclorroit du concours, et si on n'en jette point et quil fut jugé le plus sortable pour avoir la cure, on ne le peut nullement recevoir a l'institution. Tout le mal donq en ce cas-la consistera en la clabauderie, en laquelle il faut demeurer grave et tranquille, ne repliquant rien, sinon : La plus part des voix est suivie. Mays sil avoit dispense, alhors encor auroit-il tort s'il croyoit que la seule science donnast le prix en cette lice-lâ ; et tous-jours faudroit-il se tenir a la pluralité des voix, qui est irreprochable a celuy qui les prend, sur tout sil n'en donne point. [49]

            J'escris neanmoins a monsieur Grandis, affin que sil pouvoit, il allast a l'ayde, mais j'ay peu d'esperance quil puisse en ce tems. C'est pourquoy, je dis en fin, que si cette cure lâ peut estre delivree au jour de l'assignation, j'en seray bien ayse et le desire fort ; que si les difficultés semblent ne pouvoir estre surmontees, on pourra differer jusques a mon retour, qui sera le plus tost que je pourray. Mays cette dilation ne doit estre faite qu'a l'extremité, et sur la difficulté des-ja esmëue en l'assemblee, non pas sur l'apprehension de la difficulté. Je croy que ce sera pour monsieur Chevrier qu'elle se fera.

            La pension pour le pœnitentier devroit bien empescher ces remuemens. Et a propos de cette pension, il la faut establir en sorte que celuy a qui la cure sera adjugee, ne soit point mis en possession qu'il n'ayt, par consentement mis au greffe, declaré quil prend le benefice avec cette juste charge, imposee par mon authorité et par le conseil des examinateurs. Ains, il seroit expedient que quand l'on ira mettre en possession, a mesme tems on assignast quelque corne de dixme pour ladite pension du pœnitentier, sans quil eut rien a faire avec le curé ; car l'esprit humain est si fascheux en tout ce qui regarde tant soit peu l'interest, que malaysement pourra on autrement asseurer ce petit entretien au pœnitentier.

            Si le curé de Miouxi est decedé, on pourra bien [50] favoriser monsieur de Monfalcon, a la charge quil mettra des vicaires de poids, tandis que, pour la poursuite de ses estudes, il sera dispensé de sa residence, car il faut des meilleurs vicaires ou les curés ne resident pas ; et le Chapitre mesme, comme y ayant interest, pourroit reserver qu'ilz fussent examinés expres pour cela. Or, je dis ceci seulement par maniere de proposition, m'estant advis que la charité oblige ces messieurs de gratifier, es occurrences, les plus pauvres d'entr'eux et ceux qui y ont des-ja esté asses d'annees. J'escris a Messieurs du concours, a toutes fins, pour la pension du pœnitentier.

            Si la dame dont vous m'escrives chancele, elle sera bien tost resolue au parti du monde, car tout le monde mesme l'y portera. Et alhors je feray (mais il n'en faut rien dire) tout ce que je doy a ce cher ami, qui doit croire que je suis parfaitement tout sien.

            Ne soyes nullement en peine pour moy, car il ny [a] nul danger en tout le Chablaix, car encor qu'a Lully soit morte de peste une fille sortie de Geneve et que sa mere en soit atteinte, si est ce qu'ell' a esté resserree [51] si a propos, que cela ne peut aller plus avant, non plus qu'un autre pareil accident arrivé avanthier aupres de Coudree. Et quand le mal prendroit accroissement, je feray en sorte que je ne courray nul danger, moyennant la grace de Dieu. Mays je croy bien quil faudra advertir le magistrat de la santé avant mon retour, et quil desirera que j'arreste hors de la ville en quelque mayson separee, quelque (sic) jours ; ce que je feray volontier et sans replique, pour ne point donner sujet d'apprehension a personne, et tesmoigner le respect que l'on doit a la conservation de la santé du païs.

            Je vous prie, a la premiere commodité, d'escrire fermement a madame de Chantal qu'elle ne se mette nullement en peine pour tous ces bruitz, beaucoup plus grans que le mal, ni pour moy, qui suis bien sage et me garderay fort bien de peril, Dieu aydant.

            Je salue tous nos messieurs et, tout a part, nos freres et ma seur du Vilarroget, et mon cousin M. le Prevost et messieurs les Collateraux, marri de l'indisposition de monsieur de Quoex, bien qu'elle ne soit perilleuse. En somme, faites mes honneurs, et je suis,

            Monsieur mon Frere,

Vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

            6 septembre 1615.

 

            A Monsieur

Monsieur de Boysi,

            Chantre Chanoyne de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe qui se conservait au Noviciat des RR. PP. Jésuites

d'Avignon. [52]

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MCXII. A MM. les Examinateurs pour les Concours (Inédite). Rappel d'une décision prise pour assurer un revenu au pénitencier de la cathédrale. — Recommandation en faveur d'un concurrent.

 

Thonon, 6 septembre 1615.

 

            Messieurs,

 

            Vous aures souvenance, je m'asseure, de la resolution que nous prismes, estant presque tous ensemble, de reserver une portion pour le pœnitentier de nostre cathedrale a la premiere vacance de quelque cure qui la pourroit porter ; resolution juste, equitable et conforme au Concile. C'est en cett'occasion de la vacance de Gruffy [que] je vous prie faire cette reserve jusques a la somme de 200 florins ; et pour eviter les disputes que l'interest propre fait naistre en pareilles occurrences, je desirerois qu'en la mise en possession de celuy qui sera curé, on assignast une corne de dixme, telle quil seroit advisé, audit seigneur pœnitentier, laquelle il prendroit par ses mains.

            Je sçai quil arrivera aussi quelque difficulté sur la [53] reception de monsieur Jay au concours, dautant que la rayson pour laquelle nous jugeasmes de le pouvoir excepter sans consequence de la regie des resignans leurs cures, semble manquer de fondement, puisque le bien publiq que nous desirions ne s'en est pas ensuivi. Mays d'autant quil n'a nulle coulpe en cela et quil demeureroit grandement en perte, avec sujet de se plaindre d'avoir esté deceu en nostre parole, je juge et desire quil soit admis comme les autres. Dequoy j'ay pensé de vous devoir donner cet advis, m'asseurant que vous le suivres, bien ayse aussi par cett'occasion, de me ramentevoir en vos prieres, comme…

 

            A Messieurs

[Messieurs] les Examinateurs pour les concours.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

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MCXIII. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère. Regrets du Saint sur la mort de son vicaire général, Jean Favre. — Jean-François de Sales désigné pour lui succéder ; motif de ce choix. — La contagion à Genève

 

Thonon, 8 septembre 1615.

 

            J'ay regretté des hier au soir la perte que nous avons faite, mon cher Frere, de nostre bon monsieur le [54] Vicaire, car j'en sceu la nouvelle par une lettre de monsieur le premier President. L'amitié fraternelle que ce pauvre defunct nous portoit a tous, m'obligera a jamais de cherir et honnorer sa memoyre et de prier souvent pour son ame, comme j'ay fait des aujourdhuy. Il y a long tems que je prævoyois cet accident en la mauvaise conduite quil tenoit pour sa santé. Et ayant pensé, despuys que j'ay sceu plus particulierement quil estoit en estat de nous quitter bien tost, qui je pourrois rendre successeur en sa charge, en fin, apres plusieurs considerations, j'ay resolu de vous y appeller. Et ce seul motif vous suffira pour l'accepter, et a tout le monde pour l'appreuver : que de cette charge depend une grande partie du bien de ce diocsese et de mon honneur, dont nostre proximité vous pressera d'avoir plus de soin et de jalousie que nul autre n'en sçauroit prendre. Ni vous ne deves pas alleguer au contraire que vous n'aves pas la connoissance des choses des proces, car c'est la moindre des functions du grand vicaire, et pour le bon succes delaquelle il suffit quil ayt de la vigilance et du zele pour faire que les autres officiers facent bien leur devoir, et qu'il establisse un bon substitut et des bons assesseurs. Mays de cela, nous en parlerons a mon retour, Dieu aydant.

            Cependant, faites pour moy comme si des-ja vous esties establi, et sera bon de mettre la cure de Boussi au concours au plus tost. Je pense partir d'aujourdhuy en huit jours, et d'arrester trois ou quatre jours en chemin, estant prié par monsieur d'Angeville de passer [55] a La Roche pour voir certain different quil a avec ses chanoynes. La contagion ne fait nul progres, graces a Nostre Seigneur, sinon dans Geneve, ou elle moysonne rudement.

            Dieu vous benisse, et je suis tout en luy,

Vostre plus humble frere et confrere,

F., E. de Geneve.

            A Thonon, le 8 septembre 1615.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Biblioteca Civica.

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MCXIV. A la Mère Claudine de Blonay abbesse de Sainte-Claire d'Évian. Trois moyens de perfection pour une Communauté religieuse. — Le mien et le tien : deux mots qui ruinent la charité. — Danger de la liberté de propriété et avantage de la liberté des communications spirituelles.

 

Thonon, 12 septembre 1615.

 

            Ne penses jamais, ma très chere Seur, que je puisse oublier vostre personne, ni les nécessités temporelles de vostre Monastere, que j'ay treuvees, certes, encor plus [56] grandes qu'on ne m'avoit dit. Je prevoy seulement qu'il nous faudra attendre que ces soupçons de contagion cessent, pour faire faire plus fructueusement la queste ; ce pendant je feray faire les patentes requises.

            Au reste, mon cœur amoureux de la sainteté de vostre assemblee, quoy que je ne l'aye veuë qu'en passant, et plustost entreveuë que veuë, ne me permet pas de partir sans vous exhorter en Nostre Seigneur de poursuivre constamment l'execution de la sacree inspiration que Dieu vous a donnee, de perfectionner de plus en plus cette vertueuse compaignie par une pure et simple privation de toute proprieté, par les exercices de la sainte orayson mentale et par une fervente frequentation des divins Sacremens.

            Et ne doutés point, ma chere Seur, que le Pere Garinus ne vous soit favorable, si vous luy representes naifvement et humblement vos dignes pretentions ; car c'est un docteur de grand jugement et de longue experience, grandement zelé aux Constitutions ecclesiastiques et a l'establissement du Concile de Trente, comme sont tous les gens de bien. Vous luy pourres donq confidemment dire que vous m'aves touché un mot de vos affaires ; car je [57] sçay bien qu'il ne le treuvera pas mauvais, estant, comme il est, de mes meilleurs amis, et qui sçait bien que je n'ay pas accoustumé de rien gaster et que je ne suis point un entrepreneur d'authorité, ains homme qui ne trouble rien ; et pourres encor luy dire tout ce que je vous ay dit, dequoy, pour vous rafraischir la memoyre, je vous feray une repetition.

            Premierement, que le renoncement de toute proprieté et l'exacte communauté de toutes choses est un point de tres grande perfection, et qui doit estre desiré en tous les monasteres et suivy par tout ou les Superieurs le veulent ; car encor que les Religieuses qui n'en ont pas l'usage en leurs maysons ne laissent pas d'estre saintes, la coustume les dispensant, si est ce qu'elles sont en extreme danger de cesser d'estre saintes, quand elles contredisent a l'introduction d'une si sainte observance tant aymable et tant recommandee par le Pere saint François et la Mere sainte Claire, et qui rend les Religions riches en leur pauvreté et parfaitement pauvres en leurs richesses, le mien et le tien estans les deux motz qui, comme disent les Saintz, ont ruiné la charité. Et ne sert a rien de dire « nostre voile, nostre robbe, nos chemisettes, ou nos mutandes, » si en effect leur usage n'est pas indifferent et commun a toutes les Seurs, les paroles estans peu de chose si les effectz ne correspondent. Et comme peut estre dite commune une chose que nul n'employe que moy ?

            Or, j'ay veu en un monastere ou j'avois une fort proche parente, que toute la difficulté de cet article estoit en la douilletterie de quelques Seurs en ce qui regarde les chemisettes et les linges ; et j'admiray que la lessive ne suffist pas pour ce sujet a des filles de celuy qui baysoit tendrement les ladres et de celle qui baysoit les pieds des Seurs revenantes de dehors. Certes, qui est douillet [58] de porter un linge et un drap lavé parce qu'il a esté, auparavant le lavement, porté par son frere chrestien, je ne sçay pas comme il ose dire qu'il ayme son prochain comme soy mesme ; et faut qu'il ayt un grand amour propre, qui le fasse estimer si net en comparayson des autres.

            Or, la façon de mettre tout en commun est bien aysee quand tout est ensemble en un coffre ou en une garderobbe, et qu'une distribue a toutes, selon leurs necessités, indistinctement ce qu'il leur faut, sans avoir esgard a autre chose qu'a la necessité et a la volonté de la Superieure. En quelques Congregations mesme, on change les chapeletz et tous les petitz meubles de devotion, au sort, a chaque commencement d'annee.

            Quant a l'orayson et a la frequence des Sacremens, il n'y a point de difficulté, ce me semble, sinon pour le dernier, de gaigner le Pere confesseur, affin qu'il ne se lasse pas de faire la charité aux Seurs, les oyant en confession quand il en sera requis par la Superieure.

            Mays il y a un point d'importance, duquel je vous touchay un mot, que pour le bien de vostre famille vous deves demander a vos Superieurs et qu'ilz ne peuvent en bonne conscience vous refuser : c'est que, deux ou trois fois chaque annee, ilz vous ayent a offrir des autres confesseurs extraordinaires (suivant le commandement du sacré Concile de Trente ), qui oyent les confessions de toutes les Seurs. Et la Congregation des Cardinaux a declaré que, les Superieurs estans negligens en cet article, les Evesques le fassent eux mesmes, et que cela se fasse mesme plusieurs autres foisl'annee s'il est requis. Or, il est requis quand la Superieure void des Seurs grandement troublees, et difficiles ou repugnantes a se confesser au confesseur ordinaire, pourveu que ce ne [59] soit pas tous-jours, ains parfois seulement et sans abus. Mays pour ce dernier point, il semble qu'il ne soit pas convenable de le demander, puisque l'ordre mis par le Concile suffit pour la satisfaction de vostre Congregation.

            Et ne faut nullement recevoir les allegations au contraire ; car rien ne se fait en ce monde qui ne soit contredit par les espritz minces et fascheux, et de toutes choses, pour bonnes qu'elles soyent, on en tire des inconveniens quand on veut picotter. Il se faut arrester a ce que Dieu ordonne et son Eglise, et a ce que les Saintz et Saintes enseignent. Ni il ne faut pas dire que vostre Ordre soit exempt des Constitutions du sacré Concile ; car, outre que le Concile est sur tous les Ordres, s'il y a aucun Ordre qui doive obeir aux Conciles et a l'Eglise romaine, c'est le vostre, puisque le Pere saint François l'a si souvent inculqué.

            Mais, ce dit-on, il se pourroit faire qu'une fille sçachant qu'elle pourra avoir un confesseur extraordinaire, elle gardera ses pechés jusques a sa venue, la ou, si elle n'avoit point d'esperance d'autre confesseur, elle ne les garderoit pas. Il est vray que cela pourroit arriver ; mays il est vray aussi qu'une fille qui sera si malheureuse que de faire des mauvaises confessions et des Communions indignes pour attendre l'extraordinaire, elle ne fera pas grand scrupule d'en faire plusieurs, et plusieurs mauvaises, pour attendre la mutation du confesseur ou la venue du Superieur. Et en somme, cet inconvenient n'est pas comparable a mille et mille pertes d'ames que la sujettion de ne se confesser jamais qu'a un seul peut apporter, comme l'experience le fait connoistre ; et en somme, c'est une presomption insupportable a qui que ce soit, de penser mieux entendre les necessités spirituelles des fideles et de s'imaginer d'estre plus sage que le Concile. Il vous faut donq tenir bon a ce point et ne se laisser point emporter aux considerations de l'esprit humain.

            Reste les communications spirituelles, lesquelles aussi je vous dis estre fort utiles, pourveu qu'elles soyent faites a propos. Et premierement, nul, comme je pense, ne les [60] vous peut defendre ; car, tant que j'ay sceu voir en la Regie de saint François et de sainte Claire, il n'y a rien qui les empesche, ains seulement ce qui y est dit empesche toute sorte d'abus. Et je vous diray comme on les fait entre les filles de la Mere Therese, qui sont, a mon advis, les plus retirees de toutes. Elles se font donq en cette sorte : La fille qui desire communiquer quelque chose, le dit a la Superieure ; la Superieure considere si la personne a laquelle l'on veut communiquer est de bonne qualité et propre a consoler, et si elle est telle, on la mande prier de venir ; et estant venue, on meyne la fille qui veut communiquer a la treille, et le rideau demeure sur la treille ; et puis, on donne tout a l'ayse loysir de communiquer, chacun se retirant en lieu d'ou on ne puisse ouyr ce que dit celle qui communique, pourveu seulement qu'on la puisse voir. Que si on void une fille qui veuille trop souvent communiquer avec une mesme, passé trois fois on luy refuse, sinon que l'on vist une grande apparence de beaucoup de fruit, et que les personnes fussent hors de soupçon de vanité, meures d'aage et exercees en vertu.

            Vous aures veu, je m'asseure, ce que la bienheureuse Mere Therese en dit, et cela suffira pour respondre a tous les inconveniens qu'on en pourroit alleguer. Et jamais ce ne fut l'intention des Saintz de priver les ames de telles saintes conferences, qui servent infiniment a beaucoup de vertus et sont sans danger, estant bien faites. C'est grand cas comme c'est une subtile tentation ! Nous voulons garder la liberté de la proprieté, qui est contre la perfection, et ne voulons pas recevoir la liberté des communications, laquelle estant bien entendue, nous ayde a la perfection. Nous treuvons des inconveniens ou les Saintz n'en treuvent point, et n'en treuvons point ou les Saintz en treuvent tant.

            Or, ces communications ne se doivent pas faire pour apprendre de diverses manieres de vivre en un monastere, mais pour apprendre a mieux et plus parfaitement [61] prattiquer celle a laquelle on est obligé ; et si, elles n'empeschent point les conferences publiques, ains elles servent pour les mieux digerer et appliquer une chacune en son particulier.

            J'avois oublié de dire que quand le confesseur extraordinaire vient, il faut que toutes les filles se confessent a luy, affin que celles qui en ont besoin ne soyent point descouvertes et que le malin ne seme point de reproches parmi la Mayson ; mais celles qui ne veulent pas prendre confiance a l'extraordinaire, pourront, avant que de se confesser a luy, faire leur confession a l'ordinaire, et par apres dire seulement quelques pechés ja confessés, a l'extraordinaire, pour servir de matiere a l'absolution.

            J'ay esté bien long, ma tres chere Seur, mais j'ay voulu en ceci vous bien declarer mon sentiment, affin que vous le sceussiés plus distinctement. Et tenes bon hardiment pour introduire en vostre Mayson la sainte et vrayement religieuse liberté d'esprit, et pour en bannir la fause et superstitieuse liberté terrestre. Ramenés ces benites ames aux observances des saintz Conciles, et vous seres bien heureuse. Nostre Maistre Garinus et tous vos Superieurs majeurs, gens discretz et raysonnables, vous ayderont, je n'en doute point ; et mesme vostre bon Pere confesseur, qui est bien vertueux et sage Religieux, ainsy que je puis connoistre, et qui entendra bien la rayson quand elle luy sera bien remonstree.

            Je vous salue mille et mille fois es entrailles de la misericorde de Nostre Seigneur, auquel je vous supplie de me recommander continuellement, avec toute vostre chere et vertueuse compaignie.

Vostre tres humble frere et serviteur,

F., E. de Geneve.

            De Thonon, ce 12 septembre 1615.

 

            A Madame ma tres chere Seur en N. Sr,

La Reverende Mere Abbesse de Ste Claire d'Evian. [62]

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MCXV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Recommandation en faveur d'un converti qui se destine à l'état ecclésiastique. — Eloge de sa piété et de sa constance dans la foi

 

Thonon, 14 septembre 1615.

 

            Monseigneur,

 

            Il y [a] six ou sept ans que jereceu au giron de la sainte Eglise le sieur de Corsier, lequel despuis a tant rendu de tesmoignages de vraye pieté, que tous ceux parmi lesquelz il a conversé en ont esté grandement edifiés, dautant plus qu'en gaignant l'honnorable tiltre d'enfant de l'Eglise, il a perdu tout le secours qu'il pouvoit prætendre en son païs, et estant demeuré extremement pauvre, il a vescu riche de vertus. Or, Monseigneur, tous ses devanciers et son frere, ayant tous-jours esté tres affectionnés a l'obeissance de Vostre Altesse, il espere d'elle tout le soulagement qui luy est requis pour estre relevé non de l'indigence, car ayant choysi la profession ecclesiastique il ne pretend pas a cela, mais de la misere seulement.

            Et moy, Monseigneur, j'intercede de tout mon cœur pour luy, marri de ne pouvoir rien, pour le present, en [63] sa faveur que cela. Je supplie donq tres humblement Vostre Altesse de luy estre propice et de me conserver la grace de sa bienveuillance, comme a l'homme du monde qui, avec le plus de fidelité et sincerité, vivra tous-jours,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIIII septembre 1615, a Thonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [64]

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MCXVI. A Madame de la Fléchère. Nouvelles diverses. — Une fille spirituelle du Saint qui donne espérance de bien servir Dieu. — Maladie de la Sœur de Bréchard

 

Annecy, 24 septembre 1615.

 

            Nous nous sommes entretenus, le bon P. Commissaire et moy, ma tras chere Fille, et conspirerons a bien faire, Dieu aydant. La chere seur est icy, ce soir elle fera sa reveüe.

            Nous avons, ce matin, espousé M. et Mme de Monthouz, leur dispense estant venue en bonne forme. Il ne se peut dire combien j'ay treuvé le cœur de cette bonne femme a mon gré et combien j'espere qu'elle servira bien Dieu. Elle s'est confessee avec un'extreme devotion [64] et est toute ma fille ; ce que je vous dis affin que doucement et dextrement vous l'aydies.

            La pauvre Seur de Brechard ne guerit point, nous tenant tous-jours entre l'esperance et la crainte. Elle est bien resignee, et les Seurs font merveilles a la servir tendrement, nul remede n'ayant esté oublié. Dieu donq face sa tressainte volonté.

            Je suis en luy, tout parfaitement tout vostre, ma tres chere et bienaymee Fille. Amen. Vive Jesus !

            24 septembre 1615.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCXVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'introduction de « l'art de la soye » avantageuse aux intérêts spirituels et temporels du peuple. — Requête pour obtenir à cette industrie la protection du prince

 

Annecy, 2 octobre 1615.

 

            Monseigneur,

 

            Il y a quelque tems qu'on a commencé d'introduire en ces païs de deça l'art de la soye, et ne se peut [65] dire combien le progres seroit utile au service de Dieu pour retirer plusieurs ames d'entre les hæretiques, pour affoiblir Geneve, qui se soustient en bonne partie de ce traffiq, et pour soulager les sujetz de Vostre Altesse qui gaigneroyent en ce commerce ce que nos ennemis gaignent.

            Pour ces raysons, Monseigneur, je conjure et supplie tres humblement vostre bonté et pieté de favoriser puissamment ce bon œuvre, si heureusement acheminé, pour la gloire de ce Sauveur qui vous est si propice et qui maintient en tant d'honneur vostre couronne, vous en preparant une eternelle en la vie future.

            Monseigneur, je suis de Vostre Altesse Serenissime,

Tres humble, tres fidele et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            2 octobre 1615, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [66]

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MCXVIII. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Évêque de Montpellier. « Sans guerre, sans nouvelles. » — Fureur de la peste à Genève. — Souhait apostolique du saint Evêque

 

Annecy, 2 octobre 1615.

 

            Monseigneur,

 

            Je penserois faillir si a toutes occasions je ne vous representois mon tres humble service. C'est le seul sujet que j'ay maintenant, car pour le reste, a mesme que, graces a Dieu, nous sommes sans guerre, nous nous treuvons aussi sans nouvelles, hormis de nostre miserable [66] Geneve que la contagion afflige cruellement, sans qu'a 30 lieues a la ronde il y en ait aucun ressentiment ; qui fait plus probable ce que plusieurs disent, qu'elle leur est venue par la puanteur de la foudre qui y tumba prodigieusement cet esté. Pleut a Dieu que l'affliction leur donnast l'entendement, affin qu'ilz reconneussent aussi bien la peste spirituelle delaquelle ilz meurent et font mourir tant de gens, comme ilz sont contrains de confesser la temporelle.

            Dieu vous comble de bonheur, Monseigneur, selon les vœux de

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            2 octobre 1615, Annessi.

 

            A Monseigneur,

Monseigneur l'Evesque de Montpellier,

Conseiller du Roy en ses Conseilz privé et d'Estat.

 

Revu sur deux copies déclarées authentiques, conservées à Turin,

Archives de l'Etat, et à la Visitation de Montpellier.

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MCXIX. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Dieu porte avec nous les charges imposées par l'obéissance. Assurance paternelle de prières.

 

Annecy, 4 octobre 1615.

 

            Or sus, ma tres chere Fille, puisque vous voyla sous la charge avec un peu d'apprehension, oyés ce que [67] Nostre Seigneur dit en l'Evangile du jourd'huy : Apprends de moy que je suis doux et humble de cœur, et vous treuveres du repos en vos ames ; car mon joug est suave et mon fardeau leger. Ma tres chere Fille, moyennant l'ayde de Dieu, nous ferons prou ; mais il faut, avec une courageuse humilité, rejetter toutes les tentations de desfiance en la tres sainte confiance que nous avons en Dieu, Certes, vous deves croire que cette charge vous ayant esté imposee par le choix de ceux a qui vous deves obeir, Dieu se mettra a vostre dextre et la portera avec vous, ains la portera, et vous aussi.

            Mais ne vous estonnés point, faites cet office pour l'amour de ce Sauveur qui vous y a appellee ; vous en serés deschargee quand il luy plaira, vous nous reviendres voir quand il en sera tems.

            Pour moy, il y a long tems que je prie Dieu pour vous fort particulierement, estimant que sa divine providence se serviroit de vous pour l'acheminement de l'edifice spirituel de cette petite Congregation. Dieu soit a jamais au milieu d'e vostre cœur. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 4 octobre 1615.

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MCXX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Actions de grâces pour la guérison de Charles de la Fléchère. — Prochain retour de la Mère de Chantal et quelques nouvelles. — Une question théologique

 

Annecy, vers le 7 octobre 1615.

 

            Je m'imagine que vous estes a Rumilly maintenant, ma tres chere Fille, et je vous escris ce billet sans loysir, pour vous accuser la reception de la lettre que vous m'escrivistes l'autre jour de la Flechere, louant Dieu de la guerison de vostre Charles, que vous aves maintenant, Dieu aydant, sain pour long tems.

            Madame de Chantal sera icy dans trois semaines pour le plus tard, et, comme je pense, la chere niece, ma fille, aussi ; car Mme de Charmoysi, qui vous la doit ramener, fait estat de venir pour la Toussaintz. Madame Favre est Superieure a Lion et exerce des-ja sa charge ; Mme de Brechard est un peu mieux, mais tous-jours en fievre et en flux. [69] La question de Mme de Mieudry et de vous est aysee a resoudre, mais il n'est pas si aysé d'appayser toutes les allegations et repliques qu'on a accoustumé de faire : c'est pourquoy je remettray cela pour quand nous aurons du loysir. Il suffit que tous les chrestiens damnés ne le seroit (sic) pas si ilz mouroyent apres le Baptesme ; mays Nostre Seigneur laisse ordinairement que les choses d'icy bas aillent leur cour (sic) ordinaire et que nous usions de nostre libre arbitre a nostre gré. Que si nous en usons mal et que nous soyions treuvés en mauvais estat lhors que, par les causes naturelles, …

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

            A Rumilly.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Madrid.

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MCXXI. A la Mère de Chantal, a Lyon. Convalescence de la Sœur de Bréchard. — Le Général des Feuillants en visite chez le Saint. — Appréhensions au sujet d'une personne dont les voies semblaient extraordinaires

 

Annecy, 8 octobre 1615.

 

            Vous estes raysonnable et n'attendres pas de moy, ma tres chere Mere, des grandes lettres en ce tems auquel j'ay tant d'affaires sur les bras, que je n'en puis pas porter davantage. Je vous diray seulement, qu'a mon advis, nostre Seur Jeanne Charlotte est maintenant toute hors de danger, bien qu'ell'ayt encor son flux, car c'est avec tant de diminution de fievre, quil ny paroist presque plus, et si, elle commence fort a manger. [70]

            Au demeurant, nous avons eu icy le P. General des Feüillans, homme de grande vertu et sainteté, lequel, sur certain propos, me parlant de la Mere Isabeau, delaquelle vous m'escrivites il y a troys moys, m'a dit qu'on luy en avoit mandé des merveilles de Paris a Romme, d'ou il vient. Je dis, merveilles es accidens extraordinaires ou de ravissemens, ou d'illusions. Cela me met fort en peine, car si elle vient icy avec ces especes de choses inconneües, en lieu de tirer de la consolation de nous, elle nous donnera fort a faire et nous tiendra empeschés a discerner si cela est saint, si ceci est faint, et troublera grandement la pauvre petite trouppe de colombes innocentes qui n'ont pretention a des choses si ravissantes. C'est pourquoy, si vous sçaves que cela soit vray, vous pourres la destourner, luy escrivant que je vous ay escrit que vous luy fissies sçavoir que, ne sachant si je seray icy cet hiver, je desire qu'elle ne s'incommode point, ni monsieur le president Resiguier ; mais si elle veut envoyer deux ou trois filles, vous les recevres et les garderes volontier jusques apres Pasques. Que si il ny a pas tant de danger, vous la laisseres venir.

            Bonsoir, ma tres chere Mere, de tout mon cœur. Vive Jesus ! Amen.

            VIII octobre 1615.

 

A ma tres chere Mere en N. S.

Visitation.

 

Revu sur l'Autographe conservé chez les Filles de la Croix,

à Guingamp (Côtes-du-Nord). [71]

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MCXXII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Affectueuse sollicitude du Saint pour le cœur de sa chère Fille. — Les choses vont d'autant mieux qu'elles sont plus au goût de Dieu et moins à notre gré. — Ce qu'il faut faire parmi les difficultés. — Messages paternels.

 

Annecy, 12 octobre 1615.

 

            Que fait le cœur de ma tres chere Fille, que le mien ayme en verité tres parfaitement ? Je pense, certes, quil est tous-jours fort uni a celuy de Nostre Seigneur et quil luy dit souvent :

Le Seigneur est ma lumiere

C'est ma garde constumiere,

De qui sçaurois-je avoir peur ?

C'est l'Eternel qui m'appuye,

Ferme soustien de ma vie,

Qui peut estonner mon cœur ?

            Ma tres chere Fille, jettes profondement vostre pensee sur les divines espaules du Seigneur et Sauveur, et il vous portera et vous fortifiera. Sil vous appelle (et il est vray quil vous appelle) a une sorte de service qui soit selon son gré, quoy que non selon vostre goust, vous ne deves pas moins avoir de courage, ains davantage que si vostre goust concouroit a son gré ; car, quand il y a moins du nostre en quelqu'affaire, ell'en va mieux. Il ne faut pas, ma chere amie ma Fille, permettre a vostre esprit de se regarder soy mesme et de se retourner sur ses forces ni sur ses inclinations ; il faut ficher les yeux sur le bon playsir de Dieu et sur sa providence. Il ne faut pas s'amuser a discourir quand il faut courir, ni a deviser [72] des difficultés quand il les faut devider. Ceignes vos reins de force et remplisses vostre cœur de courage, et puis, dites : Je feray prou, non pas moy, mais la grace de Dieu avec moy. La grace de Dieu, donques, soit a jamais avec vostre esprit. Amen.

            Ma tres chere Fille, salues tendrement ma chere Seur Peronne Marie, qui est certes toute dedans mon ame, et ma Seur Françoise Hieronime (je ne vay pas par ordre), et ma Seur Marie Renee et ma Seur Anne Marie, et toutes nos autres Seurs que je n'ayme pas moins pour ne les connoistre que pour estre des servantes de Dieu et filles [tres cheres] de Nostre Dame.

            XII octobre 1615.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Madrid.

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MCXXIII. A M. Claude de Blonay (Inédite). Pourquoi les Pères Barnabites ne peuvent pas encore s'installer à Thonon. Affaire du prieuré de Contamine.

 

Annecy, vers le 23 octobre 1615.

 

            Monsieur,

 

            M'asseurant que vous viendres donq bien tost pour [73] amener madamoyselle d'Avise, je seray court, et vous diray seulement que les bons Peres Barnabites desireroit (sic) bien d'aller la ; mais ilz n'oseroyent sans nouvelle licence du General, puys que le traitté fait re peut subsister. Ilz ont envoyé deux jeunes hommes pour la 2. et 4. classe.

            Je ferois les lettres que vous desires si j'en avois le loysir. Monsieur Claude me promit de me venir voir et il ne le fit pas, car ce fut en la rue ou je le rencontray. Vous aures fort a faire a vous defendre pour Contamine, et a la fin vous verres quil faudra donner une grosse pension ; ce que je ne dis pas le sachant, mais le presageant.

            J'ay dit aux Dames de la Visitation que, a la venue de madame de Charmoysi, vous leur envoyeries de l'argeant, et elles s'y attendent. Voyla une lettre pour [74] Mlle d'Avise, que madame de la Flechere m'a envoyee aujourdhuy.

            Cependant, aymes moy tous-jours, et me croyes, Monsieur,

Vostre plus humble, tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

            A Monsieur

Monsieur de Blonnay, Prefect de la Ste Mayson.

            A Thonon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Richard-Cottin, à Lyon.

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MCXXIV. A Madame de la Fléchère. Les dîmes et la volonté de Dieu. — Mort d'un religieux Feuillant. — Arrivée très prochaine de la Mère de Chantal et de Mme de Charmoisy

 

Annecy, 23 octobre 1615.

 

            Vous aves rayson, ma tres chere Fille, d'estre bien franche au payement des dixmes, car c'est la volonté de Dieu. Vous deves demeurer en paix sur ce que vous m'escrives, car il n'y a point de hazart.

            Le P. General des Feuillans partit lundi et laissa icy son compaignon malade, lequel mourut hier au soir ; c'est pourquoy je croy qu'il reviendra ce soir pour estre a son enterrement, car il laissa charge qu'on l'advertit sil trespassoit, affin de revenir. Mays je ne pense pas que pour cela vous deussies attendre, si vous aves des affaires ailleurs, car peut estre ne repassera il pas vers vous, encor que vous demeureres.

            Je me res-jouis des bonnes nouvelles du cher mari. [75] Nostre Mere viendra demain, ou tout au plus tard passé demain, si rien n'est survenu despuis Dimanche qui la puisse empescher. La chere cousine viendra aussi, soudain qu'elle le sçaura. Et moy je pense que parmi tout cela on vous pourroit peut estre aussi bien [avoir], principalement si Charles est en estat de pouvoir estre amené icy.

            Dieu vous benisse de ses plus cheres graces, ma tres chere Fille, et je suis en luy, tout parfaitement vostre. Vive Jesus. Amen.

            23 octobre 1615.

            Je vous supplie d'envoyer les deux lettres ci jointes, toutes deux a monsieur le capitaine Juge.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

MCXXV. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). Recommandation en faveur d'un futur étudiant en médecine. — Bruits de guerre en France

 

Annecy, 24 octobre 1615.

 

            Monseigneur,

 

            L'honnorable reputation que j'ay d'estre tres particulierement vostre serviteur, a fait passer ce jeune homme [76] de Moustier icy, pour avoir de mes lettres a vous porter, affin quil puisse plus favorablement vous faire la reverence et vivre en vostre Université, ou il espere faire emplette de la science de medecine sous le bonheur de vostre protection. Monseigneur l'Evesque de Saint Paul me conjure fort de vous supplier d'aggreer quil s'advoüe des vostres ; dequoy je ne fay pas difficulté, puisqu'estant enfant d'une bonne famille, il ne luy arrivera point de necessité qui le puisse porter a vous donner aucune autre sorte d'importunité.

            Je n'ay encor point entretenu nostre bon M. François a cœur joye ; ce sera, Dieu aydant, a son premier loysir. [77]

            Je suis tout fasché des bruitz qui courent de guerre par dela souhaitant tous-jours beaucoup de bonheur a ce royaume, ou il y a tant de gens de bien. Dieu, par sa bonté, commandera aux vens et a la mer, et la tranquillité se fera grande.

            Je suis,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            24 octobre 1615.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Montpellier.

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MCXXVI. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Charité attentive du Saint pour la Mère de Chantal

 

Annecy, [vers le 26 ou le 27 octobre 1615.]

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Croyes que si j'eusse eu ma liberté, je vous eusse envoyé vostre soupper plus tost ; mais en somme, il ny a moyen [78] d'estre maistre de soymesme en ce monde. Mays sil arrive asses tost, ne laisses pas d'en manger ; et je ne veux point que vous me respondies, ains seulement que je sache si vous vous portes bien.

            O Dieu, ma chere Mere, Dieu, dis-je, soit a jamais nostre vie. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de San Remo (Italie).

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MCXXVII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Béatitude du dépouillement intérieur. — Le courage des filles du monde et celui des filles de Dieu. — Promesse d'union et de prières. — Il ne faut point permettre « aux apprehensions d'apprehender » notre cœur. — Recours aux saints Anges. — Sœur Marie-Renée ; souvenir consolant de sa confession générale

 

Annecy, fin octobre ou commencement de novembre 1615.

 

            Je le voy certes de mes propres yeux, ce me semble, et le sens de mon propre cœur, ma tres chere Fille, que vous aves fait une prattique de tres grand despouillement. Mais, o que bienheureux sont les nudz de cœur, car Nostre Seigneur les revestira de graces, de benedictions et de sa speciale protection. Pauvres et chetifves creatures que nous sommes, en cette vie mortelle nous ne pouvons quasi rien faire de bon qu'en souffrant pour cela quelque mal ; non pas mesme nous ne pouvons quasi pas servir Dieu d'un costé que nous ne le quittions de l'autre, et souvent il nous convient quitter Dieu pour Dieu, renonçant a ses douceurs pour le servir en ses douleurs et travaux.

            Ma tres chere Fille, helas ! les filles que l'on marie renoncent bien a la presence des peres, meres et leur [79] païs, pour se sousmettre a des maris bien souvent inconneus, ou au moins d'humeurs inconneuës, affin de leur faire des enfans pour ce monde. Il faut bien que les filles de Dieu ayent un courage encor plus grand que cela, pour former en sainteté et pureté de vie des enfans a sa divine Majesté.

            Mais avec tout cela, ma tres chere Fille, jamais nous ne nous pouvons quitter, nous que le propre sang de Nostre Seigneur, je veux dire son amour par le merite de son sang, tient collés et unis ensemble. Certes, pour moy, je suis en verité si parfaitement vostre, qu'a mesure que ces deux ou troys journees de distance semblent nous separer corporellement, de plus fort et avec plus d'affection je me joins spirituellement a vous, comme a ma Fille tres chere. Vous seres la premiere aupres de nostre Mere en mes prieres et en mes soucis : soucis pourtant bien doux, pour l'extreme confiance que j'ay en ce soin celeste de la divine Providence sur vostre ame, laquelle sera bien heureuse si elle jette aussi dans ce sein d'amour infiny toutes ses apprehensions.

            Or sus, ma chere Fille, tenés vos yeux haut eslevés en Dieu ; aggrandissés vostre courage en la tressainte humilité, fortifiés-le en la douceur, confirmés-le en l'esgalité ; rendés vostre esprit perpetuellement maistre de vos inclinations et humeurs, ne permettés point aux apprehensions d'apprehender vostre cœur : un jour vous donnera la science de ce que vous aures a faire le jour suivant. Vous aves ci devant franchi plusieurs passages, et ç'a esté par la grace de Dieu ; la mesme grace vous sera presente en toutes les occasions suivantes, et vous delivrera des difficultés et mauvais chemins l'un apres l'autre, quand il devroit envoyer un Ange pour vous porter es pas plus dangereux.

            Ne retournés point vos yeux devers vos infirmités et insuffisances sinon pour vous humilier, et non jamais pour vous descourager. Voyés souvent Dieu a vostre dextre et les deux Anges qu'il vous a destinés, l'un pour vostre [80] personne, l'autre pour la direction de vostre petite famille. Dites-leur souvent, a ces saintz Anges : Seigneurs, comme ferons nous ? Suppliés-les qu'ilz vous fournissent ordinairement les connoissances du vouloir divin qu'ilz contemplent, et les inspirations que Nostre Dame veut que vous recevies de ses propres mammelles d'amour. Ne regardés point cette varieté d'imperfections qui vivent en vous et en toutes les filles que Nostre Seigneur et Nostre Dame vous ont confiées, sinon pour vous tenir en la sainte crainte d'offencer Dieu, mays non jamais pour vous estonner ; car il ne se faut esbahir si chaque herbe et chaque fleur requiert son particulier soin en un jardin.

            J'ay sceu quelqu'une des graces que Dieu fit a nostre tres chere Seur Marie Renee sur son trespas. Elle estoit fort ma fille ; car lhors que je fus la, elle fit une reveuë de toute sa vie, pour me donner connoissance de ce qu'elle avoit esté, avec une humilité et confiance incroyable et sans grande necessité, avec une extreme edification pour moy quand j'y repense. La voyla maintenant a prier pour nous et pour vous specialement, puis qu'elle est trespassee vostre fille et sous vostre assistance.

            Faites-moy la consolation, ma chere Fille, de m'escrire souvent, et me dire tous-jours en confiance les choses que vous croires que je puisse utilement sçavoir de l'estat [81] de vostre cœur, que je benis au nom de Nostre Seigneur de tout le mien, et suis en Dieu tout vostre.

FRANCS, E. de Geneve.

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MCXXVIII. A Madame de la Fléchère. La comtesse de Tournon malade ; son mari « un petit fasché » contre le Saint. — Gracieuse humilité de François de Sales qui s'entend peu aux compliments et marche « a la bonne foy ». — Nouvelles et messages

 

Annecy, 6 novembre 1615.

 

            Je vous escris a la course, envoyant expres ce porteur pour apprendre des nouvelles de la santé de Mme la Comtesse, au service de laquelle je contribuerois volontier ma visite personnelle si la maladie estoit de qualité que cela fut requis et quil luy tournast a consolation. Monsieur le Comte, pour dire ceci entre nous deux, est un petit fasché contre moy pour un sujet auquel je n'ay point de coulpe ; mays sa bonté adoucira bien tout. Certes, je vay a la bonne foy, et qui voudra m'estre si rigoureux que de remarquer mes imperfections et defautz, il ne m'aymera jamais guere longuement, sur tout mes manquemens es civilités, complimens et autres choses de bienseance ; car, outre que j'ay l'esprit fort lourd, je l'ay encor si chargé d'occupations selon ses forces, que je ne voy pas tout ce quil faudroit.

            Nostre Mere se porte bien et est toute vostre. Nostre chere cousine arrivera ce soir ou passé demain, comme je pense, et avec elle, la chere niece, ma fille. [82]

            Il ne se peut dire combien Monseigneur de Lyon nous a rempli d'honneur, de devotion et de consolation.

            Si le cher mari est venu, salues-le bien amoureusement de ma part et l'asseures de mon service. Dieu vous benisse en toute vostre ame, ma tres chere Fille, et je suis en luy parfaitement tout vostre.

            VI IXbre 1615, Annessi.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCXXIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'Evêque de Genève s'excuse de n'avoir pu conférer un bénéfice à un candidat recommandé par Son Altesse

 

Annecy, 8 novembre 1615.

 

            Monseigneur,

 

            Sur la recommandation qu'il a pleu a Vostre Altesse de me faire en faveur du sieur du Chatelard, qui me [83] tient lieu de commandement, j'eusse grandement desiré de le pouvoir prouvoir du benefice qu'il praetendoit ; mays d'un costé, il n'estoit pas en moy d'en disposer, puisque le Chapitre de mon eglise en avoit la nomination, et d'autre part, tant ledit Chapitre que moy, ne pouvons en sorte quelcomque nous departir des ordonnances du Concile de Trente, que nous avons juré d'observer ; et elles ne nous permetent pas de distribuer les benefices curés que par le concours au plus capable, et faysans le contraire, nous nous exposerions a la disgrace de Nostre Seigneur et a la damnation. Ce benefice la, Monseigneur, ne peut rendre au curé que cinquante ducatons, et la charge des ames y est fort grande pour la multitude du peuple qui en depend, lequel hante fort l'Alemaigne et a besoin d'un pasteur qui ayt grand soin de l'edifier et conserver en la foy. [84]

            Certes, je souhaite tout bonheur audit sieur du Chatelard, qui fait profession d'aymer le service de l'Eglise ; mais pour des benefices, je luy en desirerois d'autre nature que de ceux qui portent charge d'ames, et ilz ne luy manqueront pas, sii plait a Vostre Altesse le favoriser es occurrences.

            Cependant, suppliant a jamais Dieu quii benisse de ses plus grandes benedictions vostre personne et vostre coronne,

            Monseigneur, je suis, de Vostre Altesse,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VIII novembre 1615, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [85]

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MCXXX. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). Saint François de Sales se porte garant du repentir d'un coupable. — Souvenirs du séjour de Mgr de Marquemont à Annecy, — Genève décimée par la peste

 

Annecy, 8 novembre 1615.

 

            Monseigneur,

 

            Voyla qu'en fin le sieur de Barraux, repentant des il y a long tems, et corrigé de sa faute par le loysir et les raysons qui luy ont bien fait sentir le devoir quil a de vivre sage et sous-mis a vostre obeissance, il s'en va se jetter sous vostre protection, hors delaquelle il connoist bien quil ne peut bonnement durer. Or il a desiré un passeport et sauf-conduit de moy aupres de vous, [85] par ce que le bonhomme son beaupere luy a dit que vous m'avies confié l'asseurance que vous pouves prendre de son amendement : qui m'a aussi fait entendre que je pouvois seul donner ouverture a son restablissement en vostre service. C'est pourquoy, le voyant remis au bon chemin, et d'ailleurs fort en peine pour le sujet quil vous dira, tres volontier je vous supplie, Monseigneur, de le recevoir, esperant que des-ormais vous n'en aures que du contentement, ainsy quil m'a solemnellement promis et protesté. J'ay les papiers de l'evesché quil avoit tres mal a propos apportés, et les garderay pour en faire ainsy que vous me commanderés.

            Monseigneur l'Archevesque de Lion m'a fait lhonneur de me visiter et demeurer six ou sept jours ceans, pendant lesquelz il a fait deux sermons et une petite exhortation avec tant de pieté, que ce bon peuple en sera longuement consolé. Nostre Geneve est tous-jours extremement affligee de contagion, mays ell' endurcit sous le chastiment. On asseure que jusques a present il est mort bien six mille personnes de ce mal, lequel par miracle ne s'est comme point espanché sur la Savoye.

            Nostre paix est fort entiere maintenant, graces a Dieu, que je supplie la nous vouloir conserver, et vous combler de toutes les faveurs celestes quil depart a ses plus grans serviteurs, tandis que sans fin je suis et seray inviolablement,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VIII IXbre 1615, Annessi.

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Reverme Evesque de Monpelier.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Lamothe-Tenet, à Montpellier. [86]

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MCXXXI. A Madame de Peyzieu (Inédite). Protestations de respectueuse affection pour la destinataire et ses enfants

 

Annecy, 15 novembre 1615.

 

            Madame ma tres chere Mere,

 

            Ce m'a esté un grand contentement d'apprendre avec tant d'asseurance le bon estat de vostre santé, et je vous escris ce billet seulement pour me ramentevoir en vostre bienveuillance, et supplier vostre chere ame de me tenir tous-jours au rang quil vous a pleu me donner entre ceux qui ont le bonheur d'estre aymés de vous. Certes, ma tres chere Mere, mon cœur est tout filial pour vous, et ne cesse point de faire tous les bons souhaitz quil doit pour vostre consolation.

            Il y a bien asses long tems que je n'ay point eu de nouvelles de ma seur madame de Grandmayson, mais j'en tireray un de ces jours, Dieu aydant, en luy escrivant par la commodité de Lion. En somme, puis que je n'ay pas le loysir de m'estendre davantage, je veux dire en un mot, que je vous cheris avec un honneur et respect tout parfait, et avec vous, tous messieurs mes freres et mesdames mes seurs, entre lesquelz je salue humblement ceux qui sont pres de vous. [87]

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, Madame ma tres chere Mere, et je suis de tout le mien,

Vostre plus humble, tres fidele filz et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            XIIIII novembre 1615, Annessi.

 

            A Madame

Madame de Pezieu.

            A Thuey.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise de Mailly,

château de la Roche-Mailly (Sarthe). [88]

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MCXXXII. Au Marquis Sigismond de Lans. Justification loyale et ferme du Saint au sujet des soupçons éveillés par la visite de l'Archevêque de Lyon. — Il proteste de son attachement inviolable à son légitime souverain.

 

Annecy, 15 novembre 1615.

 

            Monsieur,

 

            Je respons a la lettre qu'il vous pleut de m'escrire hier, quatorziesme de ce mois, que je reçoy tout presentement, et supplie Vostre Excellence de croire qu'en cette occurrence je regarde Dieu et ses Anges, pour ne rien dire qu'avec l'honneur que je doy a la verité.

            Des l'advenement de Monseigneur l'Archevesque de Lion en sa charge, il m'escrivit une lettre de faveur, par laquelle il me conjuroit d'entrer en une sainte amitié avec luy, a la façon des anciens Evesques de l'Eglise, qui [88] n'avoyent qu'un cœur et qu'une ame et qui, par la reciproque communication des inspirations qu'ilz recevoyent du Ciel, s'entr'aydoyent a supporter leurs charges, mais principalement quand ilz estoyent voysins les uns des autres. Et parce que je suis plus ancien en Ordre que luy, il m'escrivit des lhors qu'il me viendroit voir, pour se prevaloir de ce que l'experience m'auroit peu acquerir en nostre profession ; avec plusieurs telles paroles, excessives en humilité et modestie.

            Despuis, il a tous-jours continué a vouloir me faire cet honneur, auquel n'estimant pas que je me deusse laisser prevenir, puisqu'il est le premier des Evesques de France et moy le dernier de Savoye, je l'allay voir a Lion, comme Vostre Excellence sçait. Et luy, par sa courtoysie, a voulu contreschanger ma visite sur l'occasion de celle qu'il faysoit de son diocese, a Lagnieu, Saint André, Groslee et autres lieux qui en dependent, esquelz il avoit des-ja gaigné une journee des trois qu'il y a d'icy a Lion. Et je ne sceu nullement d'asseurance sa venue, que le soir avant qu'il arrivast ; car encor que six jours auparavant le sieur de Medio, originaire de ce païs, mais chanoine de l'eglise de Saint Nizier de Lion, m'eust escrit qu'il avoit quelque opinion que Monseigneur l'Archevesque estendroit sa visite jusques icy, si est ce que, n'y faysant pas fondement, j'envoyay un laquay pour le sçavoir, qui ne revint que le jeudy au soir avant le vendredy auquel Monseigneur l'Archevesque arriva.

            Or, il ne vint point a cachette, comme ont accoustumé de faire ceux qui traittent des affaires odieuses, mays au veu et au sçeu de tout le monde, et amena avec soy huit hommes a cheval, entre lesquelz il n'y en avoit point de [89] marque, sinon le sieur de Ville, docteur en theologie et grand predicateur, originaire de Rossillon pres de saint Rambert, et son aumosnier, nommé monsieur Raymond.

            Estant icy, je vous asseure que nous n'avons ni fait ni dit, non pas mesme pensé, aucun traitté, ni pour les choses du monde, qui, si je ne me trompe, nous sont a tous deux fort a degoust, ni pour les choses ecclesiastiques, n'ayans rien eu ni a demesler ni a mesler ; mays seulement, purement et simplement, nous avons parlé des devoirs que nous avons au service de nos charges, de la façon des Offices ecclesiastiques et de telles choses entierement spirituelles.

            Il fit deux excellentes predications, l'une en l'eglise cathedrale, l'autre au College, le jour de saint Charles, pleines de pieté et de zele. Il celebra tous les jours la Messe en divers lieux, et ne fut jamais parlé de chose [90] quelcomque sinon conformement a nos vacations. Vostre Excellence ne m'obligera pas peu si elle en asseure Son Altesse, et je luy engage pour cela mon honneur et ma reputation, et a Dieu qui le sçait, ma conscience et mon salut.

            Que si Vostre Excellence me le permet, je luy diray avec esprit de liberté, que je suis né, nourry et instruit, et tantost envielly, en une solide fidelité envers nostre Prince souverain, a laquelle ma profession, outre cela, et toutes les considerations humaines qui se peuvent faire me tiennent estroittement lié. Je suis essentiellement Savoysien, et moy et tous les miens, et je ne sçaurois jamais estre autre chose. Je ne sçay pas donq comme je puis jamais donner aucun ombrage, principalement ayant vescu comme j'ay fait.

            Je me prometz de la faveur de Vostre Excellence que Son Altesse demeurera parfaitement satisfaitte, et que rien ne se sçaura de cet ombrage, qui affligeroit le bon Monseigneur de Lion beaucoup plus qu'il ne m'afflige pas moy, qui, par la suitte du tems et les evenemens, seray tous-jours reconneu tres asseuré et tres fidele serviteur de Son Altesse, a laquelle je souhaitte toute sainte prosperité. [91]

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MCXXXIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Le Saint promet à la Mère de Chantal d'aller le lendemain recevoir sa confession annuelle

 

Annecy, [vers le 20 novembre 1615.]

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Voyla bien des lettres que j'ay ouvertes par ce que je suis vostre filz de confiance. Or, bon soir cependant.

            Je m'essayeray de gaigner demain le tems de vous voir avec le plus de loysir quil me sera possible, pour la confession annuelle. Bon soir donq mille et mille fois, ma tres chere, tres bonne et tres honnoree Mere, vrayement mienne, c'est a dire tous les jours plus, graces au Sauveur qui vous benisse icy et la. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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MCXXXIV. A la même (Inédite). Question d'argent à traiter avec le cousin de la Sœur de Monthoux

 

Annecy, 21 ou 29 novembre 1615.

 

            Tandis que j'estois avec vous moymesme au parloir, [92] M. de Monthouz me vint chercher, ce que je ne seu qu'en soupant ; et lhors je luy envoyay un billet par lequel je le priois ne point partir quil ne vous parlast, affin d'arrester des affaires de sa cousine. Or il fut treuvé chez son hoste, ou il ny avoit ni papier ni encre ; c'est pourquoy il m'envoya dire quil feroit selon mon billet.

            Au reste, quand il ira vers vous, ne luy dites point de paroles qui le puisse (sic) estonner, comme seroit celle que vous aves esté estonnee de quoy il s'en alloit ; mais simplement, que vous estant apperceue quil s'en alloit, vous aves desiré d'arrester l'affaire, affin qu'a la profession il ny ait rien a traitter, ains seulement a executer le traitté. Je croy bien quil ne treuvera pas trop de troys mille florins.

            Cependant, je vay pensant ce que je vous diray tantost. Dieu, qui sçait ce qui est requis a vostre cœur mien et a ceux de nos Seurs, me veuille suggerer selon sa gloire. Amen. Bonjour mille et mille fois.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [93]

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MCXXXV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Tristesse témoignée par la Mère Favre à une amie ; encouragements paternels. — La « grande Fille » particulièrement chérie des deux Fondateurs

 

Annecy, [vers fin novembre 1615.]

 

            Dieu benisse eternellement vostre cœur, ma tres chere Fille, que le mien cherit plus qu'il ne se peut dire. Dites [93] moy, ma chere Fille, mais dites le a mon cœur, c'est a dire bien naifvement : quelle tristesse et quel regret monstrastes vous a madame la Comtesse de la N., laquelle la depeint avec des couleurs si noires, que je croy qu'elle vous a pris pour une autre. Mays je serois bien ayse de le sçavoir de vous mesme, pour, par apres, en oster plus hardiment la compassion de ceux qui vous plaignent extremement sur ce sujet et en tirent des consequences a leur gré. Or sus, le monde sera tous-jours monde et mourra monde, et nous, ma Fille, nous serons tous-jours a Nostre Seigneur et vivrons a Nostre Seigneur.

            Au reste, il me faut appeller vostre Pere, et sans ceremonie ; je le suis de tout mon cœur, et vous cheris plus, comme je croy, que les peres naturelz n'ont accoustumé de cherir leurs filles. Nostre Mere et moy, qui ne sommes pas deux, vous cherissons comme nostre grande premiere fille, laquelle maintenant, moyennant la grace divine, en va faire d'autres pour l'eternité.

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Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mère Favre, par la Mère de Chaugy, conservée à la Visitation d'Annecy. [94]

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MCXXXVI. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Le Saint empêché d'écrire une lettre par un appointement et un souper

 

Annecy, [novembre 1615.]

 

            Je desirerois pouvoir escrire comme vous mesme, ma tres chere Mere, mais je ne sçauray pas le faire si le laquay part demain si matin, car je suis embarqué en un appointement et donn'a souper a monsieur de Talloyre. En tous evenemens, vostre lettre suffira, car j'ay des-ja escrit au Pere Theodose.

            Certes, et moy et tout, j'ay grand desir que nous nous voyons un peu ; ce sera demain, Dieu aydant. Et mille fois bon soir, ma tres chere Mere, J'escris sans loysir.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Paris.

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MCXXXVII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Témoignages de très affectueuse amitié au destinataire à son retour de Lorette.

 

Annecy, [novembre] 1615.

 

            Et moy, monsieur mon tres cher Frere, je vay en esprit vous embrasser a ce retour, et vous offrir ce cœur que [95] j'ay pour vous, tous-jours plus plein de toutes les affections plus sinceres qu'un frere peut avoir pour un frere extremement aymé et presqu'autant aymé comm'aymable. Mays non, mon tres cher Frere, je ne dis pas sinon presqu'autant, car je confesse qu'apres que je vous ayme extremement, encor ne vous ayme-je pas asses selon vos merites.

            Venes heureux, avec la benediction du Filz et de la Mere, dont vous venes de venerer la sainte Mayson. Je suis

Vostre plus humble frere et serviteur,

F., E. de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Rouen. [96]

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MCXXXVIII. A Madame de la Fléchère. Affaires épineuses que François de Sales voudrait arranger à la consolation de Mme de Bressieu. — Une tempête prévue au sujet de l'entrée de deux postulantes à la Visitation. — Haine mortelle du Saint pour le monde ennemi de l'esprit de Dieu. — Les projets de M. de Rességuier

 

Annecy, 5 décembre 1615.

 

            Si vous n'esties ma tres chere Fille, je m'excuserois d'avoir tant tardé a vous respondre a plusieurs de vos lettres ; mais vostre cœur sçait bien que le mien prend playsir a vous escrire quand il en a la commodité. J'ay esté un peu mal pour toute cette semaine, mais ce n'est rien maintenant, que je m'en vay mesme, Dieu aydant, dire la Messe a la Visitation.

            J'ayme trop nostre pauvre seur affligee et ne suis pas si douillet pour pouvoir estre offencé de chose du monde de sa part. Mays je tarde d'aller a Chamberi, pour voir si nous pourrions accomoder a l'amiable le différend criminel qu'elle et messieurs ses enfans ont avec Charriere, par ce qu'au prealable, je voudrois [97] qu'entre nous autres nous eussions pris les resolutions convenables a cela, affin qu'a faute de ce, je ne fusse pas contraint de demeurer longuement a Chamberi, ou je ne puis guere estre sans incommoder mes affaires. A cet effect, j'ay supplié monsieur de Montmeilleur de persuader a nostre seur de venir jusques en ces quartiers, comme pour voir sa fille, et estans ensemble, nous verrons ce qui se pourra et devra faire ; puis, sil est expedient, j'iray a Chamberi. Et par ce qu'a l'aventure elle craindra de laisser Bassin, de peur que monsieur de Bressieu son filz n'y aille faire quelque passade, j'ay tiré promesse de luy quil ne bougera point tandis qu'elle sera de deça, de quoy encor monsieur de Montmeilleur est garand. Certes, aussi par un mesme moyen, je serois bien ayse si nous pouvions mettre bien cet enfant avec sa mere, a laquelle je souhaite une tres douce paix pour la consolation du reste de sa vie. Faites moy la grace, ma tres chere Fille, de faire un peu sçavoir tout ceci a cette chere seur, de vostre part et de la mienne, car je n'ay nul loysir de luy escrire a present, ayant a faire un despeche a Thonon par nostre bon monsieur de Blonnay.

            Mays je ne veux pas laisser de vous dire que nostre pauvre Visitation va bien avoir du bruit pour ces deux [98] braves filles qui desirent, demandent et pressent d'y estre receües, et auxquelles sans doute on ne refusera pas la porte quand elles viendront, ainsy que l'on leur [a] promis fort saintement. Pour moy, j'en seray tous-jours accusé, et si, je n'en puis mays ; car encor que je prendrois a grand honneur d'avoir servi Dieu en cela, si est ce que sa Bonté a voulu le faire elle mesme, par des inspirations venues de sa Providence dans ces ames lhors que la mienne n'y pensoit point, et a la premiere connoissance que j'en ay eu, j'ay intimé le loysir et la dilation, pour voir si c'estoit bien des inspirations. Or, puisque vrayement c'en sont, quel moyen y auroit il de n'estre pas bien ayse du bien de ces cheres ames et de l'avancement de la gloire dé Dieu ? Et si, je confesse a ma tres chere Fille, quil y a un peu de la malice dans mon cœur ; car je suis bien ayse encor que le monde soit trompé et que ces filles, qui sembloyent estre en ses bonnes graces, se moquent de luy, le quittent et le mesprisent, car en verité il le merite, d'autant quil ne vaut rien et quil mesprise Dieu. Certes, je ne luy ay point fait de declaration, mais je ne laisse pas en mon ame de le hair a mort, par ce quil hayt a mort l'esprit de Dieu et les enfans du Crucifix. O que bienheureuses sont ces cheres filles, lesquelles sacrifient ces petitz momens de vie mortelle a la gloire et a l'amour de Celuy qui leur donnera des eternités amoureuses en l'abondance de sa suavité ! Elles s'en vont toutes braves et courageuses ; et Dieu soit a jamais au milieu de leur cœur et du vostre, ma tres chere Fille bienaymee, que je salue de toute mon ame. — Ce samedi de l'Advent.

            Le premier President de Tholose m'escrit affin que [99] nous envoyons des Seurs de la Visitation la, en un monastere tout basti, qui a cousté cent mille francz, et dix sept filles qui attendent les nostres pour estre instruites. L'odeur de la Mayson de Lion a operé cela, ainsy que vous sçaures plus amplement a nostre premiere veue.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCXXXIX. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Aimable entente pour l'échange des lettres. — La Visitation féconde dès sa naissance. — Les lis entre les épines et les roses auprès des aulx. — Conduite à tenir dans une tentation. — Pour agréer à Notre-Seigneur, le soin doit être humble, doux et tranquille. — Dévotion généreuse que le Fondateur désire de ses Filles. — Affectueux messages. — Renouvellement des vœux le jour de la Présentation

 

Annecy, 13 décembre 1615.

 

            Il est vray, ma tres chere Fille, nous avons bien tardé a vous escrire. Il y a aussi troys semaines que, pour moy, je vay trainant entre la santé et la maladie ; mais ce n'est pas cela qui m'a empesché d'escrire, c'est que nulle commodité ne s'en est presentee, ni petite ni grande. Dores en avant, quand nous n'en aurons point icy, nous envoyerons a Chamberi, car la elles ne manquent jamais.[100]

            Mays vous, ma tres chere Fille, n'escrives pas tant de lettres a chasque fois ; il suffira, quand vous aures bien tout escrit a la chere Mere, de faire un seul petit billet au pauvre Pere, qui ne die rien sinon quil est tout vostre.

            Je suis consolé plus quil ne se peut dire de voir que vous cherisses ardemment vostre vocation ; cela seul vous peut sanctifier, et rien sans cela. Graces a Dieu, nous voyons que sa divine Providence s'en veut servir pour le bien de plusieurs ames en divers endroitz, ou l'on desire cette Congregation, laquelle par miracle est fœconde, ce semble, au propre instant de sa naissance. Je pense bien que de ces filles qui veulent venir prendre la forme et la prattique des Regles, il en faudra faire venir une partie icy, affin que vous ne soyes surchargee d'un soin excessif, avec nostre chere Seur Marie Aymee, que je voy des-ja, ce me semble, un peu tremblante sous le faix. Or, Dieu aggrandira son courage et luy donnera la force d'un zele genereux, sur le fondement d'une humilité profonde.

            J'ay veu vostre tentation. Helas ! ma tres chere Fille, il en faut avoir. Celle la embarasse quelquefois le cœur, mais jamais elle ne le terrasse, sil est un peu sur ses gardes et hardi. Humilies vous grandement et ne vous estonnes point. Les liz qui croissent entre les espines en sont plus blancz, et les roses aupres des aux sont plus odorantes et deviennent musquees. Celuy qui n'est point tenté, que sçait il ? [101]

            Si la peine vous tient au sentiment, comme il me semble que vous le signifies, changes d'exercice corporel quand vous en seres pressee ; si vous ne pouves bonnement changer d'exercice, changes de place et de posture : cela se dissipe par ces diversités. Si elle vous tient en l'imagination, chanter, se tenir avec les autres, changer d'exercices spirituelz, c'est a dire passer de l'un a l'autre, et les changemens de place encor vous ayderont. Sur tout, ne vous estonnes point, mais renouvelles souvent vos vœux, et, vous humiliant devant Dieu, promettes a vostre cœur la victoire de la part de la Sainte Vierge. Si quelque chose vous tient en scrupule, dites-le hardiment et courageusement, sans faire aucune reflexion, lhors que vous alles a la Penitence. Mays j'espere en Dieu que, avec un esprit noble, vous vous tiendres exempte de tout ce qui peut donner scrupule. Je veux bien que vous porties une fois la semaine la haire, sinon que vous connoissies que cela vous rendit trop paresseuse es autres exercices plus importans, comm'il arrive quelquefois.

            Tenes bon, ma tres chere Fille, pour l'estroitte observance des Regles, pour la bienseance de vostre personne et de toute la mayson ; faites observer un grand respect aux lieux et aux choses sacrees. Le soin que vous aures en tout cela sera grandement aggreable a Nostre Seigneur, sur tout si vous le prenes avec humilité, douceur et tranquillité.

            Nos Seurs vous diront toutes nouvelles de deça, et de la reception de la baronne du Chatelart et de Mlle d'Avise. Cela fait un peu de mal au cœur des mondains, mais il ny a remede, il faut que Nostre Seigneur soit servi.

            Je dis a nostre Seur de Gouffie que je voulois meshuy m'essayer de donner de la generosité a la devotion de nos Seurs, et en oster la tendreté que l'on a souvent sur soy [102] mesme, cette petite doüilleterie qui oste le repos et nous fait desirer des particularités spirituelles et interieures, nous fait excuser nos humeurs et flatter nos inclinations. Mays, ma tres chere Fille, ce n'est pas besoigne faite, bien qu'en verité toutes s'y acheminent. Or je ne doute point que Dieu ne vous donne les mesmes sentimens, puisque vous estes un seul esprit avec tous nous.

            J'appreuve que vous continuies d'appeller nostre Mere, Mere, puisque c'est vostre consolation, et que vous m'appellies Pere, puisque j'ay pour vous un cœur extraordinairement plus que paternel. Saches, ma chere Fille, que despuis que vous estes en charge, vous m'estes tous-jours si presente, que je suis, ce me semble, perpetuellement avec vous, non sans faire mille et mille souhaitz sur vostre chere ame.

            Pour Dieu, salues un peu Monseigneur l'Archevesque quelquefois de ma part ; vous ne sçauries croire ce que je luy suis, et comme Dieu benit sa petite visite quil fit icy. Je salue monsieur de Saint Nizier, du soin duquel vous vous loues tant. Dieu aggrandisse ses [103] benedictions sur luy et sur nostre monsieur l'Aumosnier. Item, je salue Mme la Presidente Le Blanc, quand vous la verres, et Mme Colin et Mme Vulliat, laissant a part ma chere Seur Marie Peronne, a qui je suis tout, et a toutes nos bonnes Seurs. Je salue en fin vostre cœur, que le mien cherit de toutes ses forces, et luy souhaite la benediction de celuy de Nostre Seigneur, auquel soit gloire eternellement. Amen. Et a celuy de sa tressainte Mere Nostre Dame.

            13 decembre 1615, Annessi, ou je suis tout vostre sans reserve.

            Vostre renouvellement n'ayant pas esté fait le jour de la Presentation, vous le pourres faire le jour de l'an ou des Roys, ou comme Monseigneur l'Archevesque voudra ; car je croy bien que vous voudres que ce soit luy qui le reçoive. Nos Seurs d'icy dirent avant la Messe, tandis [104] que je m'habillois, le Veni Creator ; et apres le renouvellement, Laudate Dominum omnes gentes, et prononcerent bien gravement leur renouvellement.

            Ma tres chere Fille, helas ! je suis tout vostre.

 

            A ma tres chere Fille en N. S.

Ma Seur Marie Jacqueline Favre,

            Superieure de la Congregation de la Visitation.

            A Lion.

 

Le frere n'est pas dans cette ville.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry.

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MCXL. A la Sœur de Blonay Maitresse des novices a la Visitation de Lyon. Céleste nourriture des enfants de Dieu. — Agir par obéissance, gage du secours d'En-haut. — Quel labeur il ne faut jamais fuir

 

Annecy, [vers le 13 décembre 1615.]

 

            Dieu vous suggerera, ma tres chere Fille, tout ce qu'il veut de vous, si en l'innocence et simplicité de vostre cœur, avec une entiere resignation de vos inclinations, [105] vous luy demandes souvent en vostre interieur : Seigneur, que voules vous que je face ? Et je suis consolé que vous ayes des-ja ouy sa voix et que vous le servies en la nourriture de ces filles.

            L'excuse aussi n'estoit pas bonne de dire : Je n'ay pas des mammelles, je n'ay point de lait ; car ce n'est pas de nostre lait ni de nos mammelles que nous nourrissons les enfans de Dieu ; c'est du lait et des mammelles du divin Espoux, et nous ne faysons autre chose sinon les monstrer aux enfans et leur dire : Prenes, succes, tires et vives. Tenes donq ainsy vostre cœur ouvert et grand pour bien faire tout le service qu'on vous imposera.

            A mesure que vous entreprendres, sous la force de la sainte obeissance, beaucoup de choses pour Dieu, il vous secondera de son secours et fera vostre besoigne avec vous, si vous voules faire la sienne avec luy. Or, la sienne est la sanctification et perfection des ames. Travaillés humblement, simplement et confidemment a cela ; vous n'en recevres jamais aucune distraction qui vous soit nuysible. La paix n'est pas juste, qui fuit le labeur requis a la glorification du nom de Dieu.

            Vivés toute a ce divin amour, ma tres chere Fille, et sachés que c'est de tout mon cœur que je cheris vostre ame bienaymee, et ne cesse jamais de la recommander a la misericorde eternelle de nostre Sauveur, a laquelle je vous conjure de me recommander reciproquement fort souvent.

            Je suis tout vostre, ma tres chere Fille.

FRANÇS, E. de Geneve. [106]

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MCXLI. Au Marquis Sigismond de Lans (Inédite). Discours de capitaines et discours de Pasteurs de l'Eglise. — Quelle « affaire d'Estat » s'est traitée entre Mgr de Marquemont et l'Evêque de Genève

 

Annecy, 15 décembre 1615.

 

            Monsieur,

 

            Sur les plaintes que l'on a fait de moy, je croy d'estre obligé a vous respondre non seulement par la voix de ces messieurs, qui m'ont parlé de la part de Vostre Excellence, mais encor par ma plume. Je vous asseure que ceux qui fantasient et philosophent de si pres de mes actions et sur mes actions se font plus de tort qu'a moy, car ilz ne peuvent blesser mon innocence et ilz se chargent d'une noire malice. Pleust a Dieu, Monsieur, qu'ilz eussent esté auditeurs des discours de Monseigneur de Lion et de moy ! et ilz auroyent veu et sceu que nous n'avons pas, que je sçache, dit une parole qui ne tende a l'advancement de la gloire de Dieu dans nos troupeaux ; et nous estimons les discours des capitaines et soldatz indignes d'occuper le tems des Pasteurs de la bergerie du Dieu vivant.

            Nos visites ont esté, a la verité, pour une affaire d'Estat ; a sçavoir, pour l'estat que nous devons constamment establir en la republique de nostre petite Congregation de la Visitation. Si nous avons mal fait, [107] traittant cela, nous sommes coulpables ; sinon, l'on nous fait tort. Quant a moy, je vous proteste que j'ignore les affaires d'Estat, et les veux ignorer a tel point, qu'elles ne soyent ni en ma pensee, ni a mon soin, ni en ma bouche, sinon quil se presentast quelque occasion de tesmoigner a Son Altesse que je suis son passionné et fidele sujet, et a Vostre Excellence,

Tres humble et affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastere de la Visitation d'Annecy.

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MCXLII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Sur l'ordre de son prince, François de Sales explique le sujet du voyage en Savoie de l'Archevêque de Lyon. — Eloge de ce Prélat. — Appel respectueux à la justice de Charles-Emmanuel

 

Annecy, 15 décembre 1615.

 

            Monseigneur,

 

            Il y a un moys que monsieur le Marquis de Lans m'escrivit de la part de Vostre Altesse, que je luy fisse sçavoir les sujetz pour lesquelz Monseigneur l'Archevesque de Lion estoit venu en cette ville et les particularités de ce que nous avons traitté ensemble. A quoy je respondis que le sujet de cette venue n'estoit qu'une simple visite, laquelle ce Praelat avoit projettee des son advenement en la charge qu'il tient, comm' il m'escrivit des l'hors, et que nous n'avions traitté de chose quelcomque sinon de ce qui appartient a la devotion et conduite spirituelle des ames. Or, Monseigneur, c'est la pure et vraye vérité : ainsy j'en proteste devant Dieu et ses Anges.

            Et neanmoins, monsieur le Marquis de Lans m'a escrit pour la seconde foys, que j'aye a luy descouvrir dequoy [108] nous avons traitté, ce Prælat et moy. Et par ce que c'est de la part de Vostre Altesse que cela m'est enjoint, c'est a elle aussi a laquelle maintenant je m'addresse, conjurant en toute humilité sa douceur et bonté de croire que j'ay respondu en cett'occasion avec toute franchise et simplicité. Que si, ou ce seigneur, ou autre quelcomque m'eut parlé de chose qui eut tant soit peu regardé le service ou les affaires de Vostre Altesse, ou mesme de chose d'Estat, je n'eusse point attendu de semonce pour la faire sçavoir ; car de moy mesme, par le mouvement de mon inviolable fidelité envers la couronne de Vostre Altesse de laquelle je suis sujet, j'eusse promptement rendu le devoir auquel la nature et le serment que j'ay presté m'obligent. Mays, Monseigneur, Dieu m'a fait cette grace, que jamais personne ne m'a estimé homme d'affaires, ou du moins, ne m'a accosté pour cela. Et ce bon Archevesque est tellement occupé en la pieté, que quicomque le connoistra bien, jugera facilement que ses pensees ne sont nullement tournees du costé du monde. Pleut a Dieu, Monseigneur, que l'Eglise eut plusieurs de telz Pasteurs, car le nom de Nostre Seigneur en seroit bien mieux loué et sanctifié.

            J'ay si souvent experimenté la debonaireté et equité de Vostre Altesse en toutes les occurrences esquelles la calomnie a osé entreprendre sur mon innocence et candeur, que je demeure fort paysible en celle ci, puisque mesme le tems, garend et protecteur de la verité, a des-ja fait voir par longues annees, que je suis inviolable et immobile en la resolution que Dieu a establie en moy de ne vivre qu'a ma profession et, en icelle, avoir tous-jours le cœur dedié a l'obeissance de Vostre Altesse, a laquelle souhaitant sans fin mille et mille benedictions, je demeure,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le XV decembre 1615.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [109]

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MCXLIII. A M. Claude-Amedee Vibod. Envoi d'une lettre pour le duc Charles-Emmanuel.

 

Annecy, 15 décembre 1615.

 

            Monsieur,

 

            J'escris a Son Altesse la lettre ci jointe, et pour luy donner une plus seure addresse, je vous supplie tres humblement de la luy remettre, bien que je n'aye pas lhonneur d'estre conneu de vous, a qui neanmoins je suis de tout mon cœur,

            Monsieur,

Plus humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XV decembre 1615, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Biblioteca Civica. [110]

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MCXLIV. A Madame de la Fléchère. Vigilance du saint Evêque pour le maintien de la justice et de la charité. — Encore l'affaire de Mme de Bressieu, — Tapage mondain autour de deux vocations

 

Annecy, 17 décembre 1615.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            J'ay receu l'une et l'autre de vos lettres et ne pense pas avoir dit a M. le Curé quil ne reconneut pas, mais ouy bien quil ne reconneut pas sans me communiquer la forme de la reconnoissance qu'on luy demandoit, affin que je visse sil y avoit chose qui fut contre le droit divin ou humain, comme il me semble qu'il y auroit si elle estoit telle qu'il me la descrivoit. Mais puysque les differens sont sousmis a des si bons arbitres et superarbitres, je m'en rapporte a ce qu'ilz en diront, sachant qu'ilz sont asses clairvoyans pour discerner de cela et de chose plus difficile, et pour conduire ces deux espritz a une paysible concorde que je prie Dieu leur vouloir donner. Or, je n'escriray donq pas a monsieur vostre cher mari pour ce regard, comme M. le Prieur s'est imaginé, car je ne doute point que tous ces messieurs n'ayent et l'esprit et le cœur disposé a faire chose juste.

            Maintenant, parlons d'autre chose. J'attendray donq ma chere seur Mme de Bressieu, qui ne m'oblige pas peu de venir, m'ostant par ce moyen de la necessité d'aller a Chamberi, ou je ne pouvois aller sans beaucoup [111] d'incommodité. Je vous prie de regarder un peu entre vous ce qui se pourra bonnement faire, affin que, sil est possible, on prenne le bon biays pour accommoder honnorablement les affaires. Et puisqu'elle ne peut pas aller a La Thuille, pour peu qu'elle nous en donne la commodité, nous ferons venir une partie de La Thuille icy ; et je dis une partie, par ce que le petit enfant, qui est le plus beau garçon du monde, n'a garde de vouloir venir en ce tems.

            Il y a grand bruit, certes, de toutes parts pour le dessein de la chere niece et de madame du Chatelart, et c'est bon signe que Dieu en sera glorifié. Les hommes sont admirables en leurs cogitations humaines, mays Dieu est suradmirable es siennes divines, qu'il fera reuscir selon son bon playsir.

            Cependant je salue vostre cœur, ma tres chere Fille, et celuy de cette chere niece, vous souhaitant de tout le mien mille et mille benedictions. Nostre Mere, je pense, vous escrit. Je suis

Vostre plus humble serviteur,

F., E. de Geneve.

            XVII decembre 1615.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [112]

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MCXLV. A Dom Sens de Sainte-Catherine général des Feuillants (Fragment). Consolation donnée au Saint par la sage conduite de la Mère Favre

 

Annecy, vers le 18 décembre 1615.

 

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            C'est mon extreme consolation de sçavoir que ma grande Fille marche avec sa petite trouppe selon la divine volonté, ne se lassant point d'avancer en la divine dilection par un soin constant et paysible, parmi ces cheres ames que Dieu a choisies pour son honneur.

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Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mère Favre, par la Mère de Chaugy, conservée à la Visitation d'Annecy. [113]

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MCXLVI. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Couronnes des épouses et soucis des mères. — La Visitation est « une fontaine sacree. » — Souhaits du Fondateur à ses Filles.

 

Annecy, 18 décembre 1615.

 

            Je croy que Dieu vous tient de sa main, ma tres chere [113] Fille, car le Reverend Pere General des Feuillans me l'escrit. Tenes vous donq bien a luy, et regardes deux ou trois fois le jour si vostre main n'est pas tous-jours fermement attachee a la sienne.

            Voyes vous, cette petite trouppe de filles, c'est une couronne que Dieu vous prepare et dont vous jouires en la felicité eternelle ; mais il veut que vous la porties toute dans vostre cœur en cette vie, et puis il la mettra sur vostre teste en l'autre.

            Les espouses, anciennement, ne portoyent point de couronne et chappeau de fleurs au jour de leurs noces qu'elles n'eussent elles mesmes amassees, liees et ajancees ensemble. Je veux dire, ma chere Fille, ne plaignés point la perte de vos commodités spirituelles et des contentemens particuliers de vos inclinations, pour bien cultiver ces cheres ames ; car Dieu vous en recompensera au jour de vos noces eternelles.

            Ne voyes vous pas, ma chere ame (car mon cœur me fait dire ainsy), que vostre petite Congregation est comme une fontaine sacree en laquelle plusieurs ames puiseront les eaux de leur salut, et que des-ja plusieurs, a l'imitation de la vostre, veulent eriger d'autres pareilles Congregations a la grande gloire de Dieu et a la grande facilité du salut pour plusieurs ? Ne vous lassés donq nullement d'estre mere, quoy que les travaux et soucis de maternité soyent grans.

            O ma Fille tres chere, que de benedictions mon ame souhaitte a la vostre ! Je salue nos Seurs professes, du cœur qu'elles sçavent, et nos Novices, d'un cœur qu'elles ne sçavent pas. Hé ! Dieu, respandés sur elles l'esprit de douceur et de simplicité, l'esprit d'amour et d'humilité, [114] l'esprit d'obeissance et de pureté, l'esprit de joye et de mortification !

            Ma Fille, mon cœur est tout vostre en ce mesme Sauveur. Dieu soit beny.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 18 decembre 1615.

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MCXLVII. A Madame de Vignod Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. De grandes fêtes qui, d'elles-mêmes, parlent divinement. — Le silence de Jésus et de sa Mère ; qu'il dit au Saint de grandes choses ! — Contemplation. — La crèche et l'autel. — Saint Bernard et la Nativité.

 

Annecy, 24 décembre [1610-1615.]

 

            Vous pouves penser, ma tres chere Fille, comme mon ame, qui ayme extremement la vostre, s'imagine tous-jours de vous pouvoir escrire ; car en verité j'ay un playsir fort grand quand je puis entretenir mon esprit avec le vostre. Mais ces grandes festes nous imposent silence, d'autant que d'elles mesmes elles retentissent et parlent divinement du mystere qu'elles nous representent.

            Je ne sçai certes que dire autour de ce divin Enfant, car il ne dit mot, et son cœur, plein de faveur pour les nostres, ne se declaire point qu'avec des plaintes, des larmes et des douces œillades ; sa sacree Mere se taist presque tous-jours et admire ce qu'on luy dit. Mon Dieu que ce silence me dit des grandes choses ! Il m'apprend [115] a faire la vraye orayson mentale ; il m'apprend la ferveur amoureuse d'un cœur qui est saisy d'affections que nourrissent ces douces pensees et qui a peur d'en perdre la suavité s'il les prononce.

            Tenés vous aupres de cette Mere, ce pendant, et ne l'abandonnes pas d'un seul moment tandis qu'elle part de Nazareth et qu'elle va en Bethlehem ; tandis que, sans empressement, mays non pas sans des ardens mouvemens, elle attend d'heure a autre de voir esclos de son sacré ventre le bel oyseau du Paradis. Helas ! ma chere Fille, vous la verres, cette belle Dame, cette heureuse fille de Sion, que, telle qu'elle est, Mere du Roy de gloire, elle va mendiant l'hospitalité en Bethlehem ; elle n'en a nulle sorte de honte, ains elle s'honnore de cette sacree et bienheureuse necessité.

            Je vous prometz qu'en cette Messe de la minuit, en laquelle il me semblera voir une cresche sur l'autel et le divin Poupon faysant ses doux yeux pleins de larmes plus pretieuses que des perles, je l'offriray a Dieu son Pere avec le congé de sa Mere, et le demanderay pour vous, affin qu'il soit a jamais le cœur de vostre cœur et l'unique Espoux de vostre ame. O ma Fille, tenes bien ce divin Enfant entre vos bras et luy donnés vos mammelles. Il mange le lait de l'humilité et de la douceur cordiale. Mon Dieu, que ce mystere est doux ! Le premier ravissement de vostre saint Bernard fut d'une vision d'iceluy, et par ce moyen il rendit son cœur et sa bouche pleine du lait de la Sainte Vierge et des larmes de ce doux petit Enfant.

            Salués la petite cousine de ma part et, a la pareille l'une de l'autre, si tost que vous verres le grand petit Enfant né en vostre ame, dites luy fervemment que je luy sacrifie la mienne avec les vostres eternellement. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve. [116]

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MCXLVIII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Artifice du démon dans une tentation de joie. — Les Anges venant chercher le Ciel dans « la petite spelonque de Bethlehem. » — S'humilier profondément pour voir de plus près le Sauveur « abismé dans le fin fond de l'humilité. »

 

Annecy, 25 décembre 1615.

 

            Il faut donq bien faire ainsy, ma tres chere Fille : escrire seulement au Pere ou a la Mere amplement, et a l'autre un seul petit billet.

            La tentation de rire en l'eglise et a l'Office est mauvaise, quoy qu'elle ne semble que folastre et badine, car, apres la charité, la vertu de la religion est la plus excellente ; car, comme la charité rend a Nostre Seigneur l'amour qui luy est deu selon nostre pouvoir, aussi la religion luy rend l'honneur et la reverence requise, et partant, les fautes qui se commettent contre elle sont grandement mauvaises. Il est vray qu'en cela je ne voy pas grand peché, puisque c'est contre la volonté ; mays il ne faut pas pourtant laisser cela sans quelque penitence. Quand l'ennemy ne peut pas rendre nos ames Marion, il [117] rend nos cœurs Robin ; et il ne s'en soucie pas, pourveu que le tems se perde, que l'esprit se dissipe et que tous-jours quelqu'un soit scandalizé. Mais voyes vous, chere Fille de mon cœur, n'espouvantes pas ces bonnes filles ; car d'une extremité, elles pourroyent passer a l'autre, ce qu'il ne faut pas.

            Je ne vous dis pas encor mes pensees sur le sujet dont vous m'aves escrit, parce que c'est aujourd'huy Noël, jour auquel les Anges viennent chercher le Paradis en terre, ou certes aussi il est descendu en la petite spelonque de Bethlehem, dans laquelle, ma tres chere Fille, je vous treuveray tous ces jours suivans avec toutes nos cheres Seurs, qui sans doute feront leur residence, comme des sages abeilles, autour de leur petit Roy. Celles qui s'humilieront plus profondement le verront de plus pres ; car il y est tout abismé dans le fin fond de l'humilité, mais humilité courageuse, confiante et constante.

            Ce doux Enfant soit a jamais la vie de vostre cœur, ma tres chere Fille, que je cheris nompareillement, et qui est tous-jours present au mien, tant il plaist a Dieu que mon affection se fortifie par cette petite separation de bien exterieur.

            Ce.. decembre 1615. [118]

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MCXLIX. A M. Jean-François du Martherey. Une affaire qui s'achèvera à la satisfaction du destinataire. — Jeunesse et oisiveté : deux mauvaises compagnes. — Puissance de la « hantise ». — Réponse au sujet d'un mariage.

 

Annecy, 28 décembre 1615.

 

            Monsieur du Marterey,

 

            Je fay en partie ce que M. le Superieur et vous aves desiré, et ne me fusse pas arresté la, n'eust esté qu'hier, ceux qui ont esté employés pour vostre affaire m'y vinrent obliger par leurs remonstrances. Je croy que vous ne tarderes pas a les rendre satisfaitz, et je passeray plus outre et vous contenteray.

            Or, perseverés es saintes resolutions que nous avons prises : tenes vostre ame nette, esleves souvent vostre [119] cœur, occupes le en la lecture des bons livres, ne demeures point oyseux, ains faites tous-jours quelques bonnes besoignes, ou corporelles ou spirituelles. La jeunesse et l'oysiveté sont deux mauvaises compaignes ; la derniere trahit et ruine la premiere.

            Je croy bien, comme vous m'escrives, que la bonne madame de la Flechere vous ayde. La hantise peut infiniment, soit en bien, soit en mal ; celle de cette dame ne peut estre que salutaire a qui s'en veut et sçait prevaloir.

            Il se faut bien garder de redonner la benediction matrimoniale a la sainte Messe, ni de reprononcer ces paroles : Ego vos conjungo ; mais apres que ces gens la seront communiés, vous pourres bien, apres la Messe et secretement, leur faire confirmer le consentement de leur mariage, et dire sur eux les oraysons, qui sont dans le Missel, de la benediction.

            Dieu soit vostre lumiere et vostre protection !

Vostre tres humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 28 decembre.

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MCL. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Un pacte d'amitié

 

Annecy, [fin 1615.]

 

            En ce billet, je confirme le don que je vous ay fait, Monsieur mon Frere, de mes plus sinceres affections [120] dediees a vostre honneur et service. Faites moy reciproquement le bien de m'aymer selon la veritable qualité que je porte en mon ame, de

Vostre plus humble tres affectionné frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Rouen.

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MCLI. A Monseigneur Hildebrand Jost, Évêque de Sion. Un désir de l'Evêque de Sion difficile à satisfaire. — Quel prédicateur il faut aux Valaisans. — Persévérance d'un converti. — La peste à Saint-Maurice. — Envoi d'un aspersoir et de lettres testimoniales.

 

Annecy, 31 décembre 1615.

 

            Illustrissime et Reverendissime Præsul in Christo colendissime,

 

            Quod me præcedentibus litteris monuisti, desiderare te ut aliquem concionatorem ad vos transmitterem, id ego enixe cuperem me præstare posse. Verum ea res minime sane facile fieri potest, tum quia rarus est qui velit se [121] vitamque suam addicere illi muneri semper in eodem loco obeundo, tum quia non quolibet prædicatore apud illos vestros Sedunenses opus esse existimo, sed modestissimo, prudentissimo et patientissimo. Multos autem invenire licet qui scientiam habeant, qui autem scientiam cum prudentia, hoc opus, hic labor est. Videbo tamen si forte occurrat aliquis quem tuto possim destinare, omnemque movebo lapidem ut desideriis Illustrissimæ Dominationis Vestræ satisfaciam.

            Interim, non parum gavisus sum D. Nicolaum remansisse, ratus illum errores suos præteritos, vitæ futuræ integritate deleturum, cum alioquin vir sit, meo quidem judicio, maturæ prudentiæ et sagacitatis.

            Doleo vero quod Agaunenses peste premantur, [122] neque deero quin præcibus meorum illos adjuvem, pro mea erga omnes Paternitatis Vestræ Illustrissimæ subditos observantia et charitate.

            Mitto aspersorium pro aqua benedicta impertienda, quod vestra in me benevolentia gratum habebit ; cuperem vero aliquid aliud vestris meritis dignius habere, quo testatum facerem me intimo corde Paternitatem Vestram Illustrissimam venerari et colere. Mitto denique litteras illas testimoniales de consecrationis munere, me promovente et assistente, Illustrissimæ Dominationis Vestræ collato.

            Quod superest, Deum optimum maximum impensissime rogo, ut te sospitem, sancte pieque viventem, tuo gregi et mihi conservet.

            Illustrissimæ Dominationis Vestræ,

Humillimus et addictissimus in Christo frater et servus,

FRANCS, Episcopus Gebennensis.

            Annessii, XXXI decembris 1615.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Milan, Archives du prince Trivulzio. [123]

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très vénéré Prélat dans le Christ,

 

            Vous m'avez exprimé dans votre dernière lettre le désir que je vous envoie un prédicateur ; je souhaiterais de toute mon âme le satisfaire. Mais la chose n'est nullement facile, soit parce que rare [121] est celui qui accepte de se consacrer à ce ministère toujours dans le même lieu, soit parce que j'estime que vos Valaisans ont besoin, non d'un prédicateur quelconque, mais d'un homme qui excelle en modestie, prudence et patience. Beaucoup, à la vérité, possèdent la science, mais d'en trouver un qui, à la science joigne la prudence, là est la grave difficulté. Toutefois, je verrai si je rencontre quelqu'un que je puisse vous adresser, et je n'épargnerai rien pour satisfaire Votre Seigneurie Illustrissime.

            En attendant, je me réjouis extrêmement que M. Nicolas soit resté, persuadé qu'il effacera par l'intégrité de sa vie ses erreurs passées. D'ailleurs, c'est à mon avis un homme d'une prudence expérimentée et d'un esprit pénétrant.

            J'apprends avec douleur que les habitants de Saint-Maurice sont affligés de la peste, et je ne manquerai pas de les aider des [122] prières de mes fidèles, selon la considération et l'affection que j'ai pour tous vos sujets.

            Je vous envoie un aspersoir pour donner l'eau bénite, votre bienveillance à mon égard l'aura pour agréable ; j'eusse cependant souhaité vous offrir un objet plus digne de vos mérites, et qui témoignât mieux de ma vénération profonde et cordiale pour Votre Paternité Illustrissime. Enfin, vous trouverez ci-joint les lettres testimoniales de la consécration conférée à Votre Seigneurie, avec mon concours comme prélat assistant.

            Il me reste de prier ardemment le Dieu très grand et très bon de vous conserver en santé, sainteté et piété à l'affection de votre troupeau et à la mienne.

            De Votre Seigneurie Illustrissime,

Le très humble et très attaché frère et serviteur dans le Christ,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, 31 décembre 1615. [123]

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MCLII. A la Mère de Chantal (Inédite). Compte-rendu d'un entretien avec un prétendant de Mlle de Chantal

 

Annecy, [1613-1615.]

 

            Ma tres chere Mere,

 

            En vous donnant le bonjour de tout mon cœur, je vous diray que M. de Montrotier me vint entretenir hier au soir de son mariage et me dit quil vous iroit voir aujourdhuy. C'est pourquoy il faut que je vous avertisse que je luy dis, sur divers discours, que pour vous, je vous y treuvois asses disposee et que vous en avies escrit a M. de Bourges. Et par ce quil me dit que vous luy avies dit que la petite n'en sçavoit encor rien, ni personne, sinon mon frere de Thorens et moy, je le laissay en cette opinion. Il me parla de la dote et quel expedient on pourroit treuver pour la reputation. Je luy dis que vous avies mesuré les affaires de vos enfans il y a long tems, et que de plus en plus vous treuvies quil ny avoit pas moyen de faire autrement. [124]

            J'ay pensé, ma tres chere Mere, quil failloit vous avertir de tout ceci. Je luy dis un'autre chose d'une response que la petite avoit faite a sa seur sur une proposition generale de mariage ; mais il ny a rien en cela qui porte coup, et je le vous diray peut estre ce soir.

            Bonjour, ma tres chere Mere ; Jesus soit a jamais au milieu de nostre cœur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la vicomtesse de Saint-Seine, au château de Saint-Seine (Côte-d'Or).

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MCLIII. A la Sœur de Chastel Religieuse de la Visitation a Lyon. Constance des saintes affections. — Parmi les sécheresses, attendre en paix la rosée céleste. — « Rien au monde pour nostre cœur que Dieu, ni pour Dieu que nostre cœur »

 

Annecy, [décembre 1615-janvier 1616 ]

 

            Il est vray que les amitiés et affections fondees sur la gloire de Dieu sont invariablement inviolables, ma chere Fille, de sorte que ni le silence, ni les esloignemens, ni la variété des accidens ne sauroyent desfaire ce que Dieu a fait. Vives donq tous-jours en cette parfaite asseurance, que mon ame ne sçauroit pas seulement un seul moment oublier l'amour sacré et vrayement paternel qu'il a pour la vostre.

            Demeurés bien en paix parmi vos secheresses, et attendes en patience la rosee des consolations celestes. [125] Il est bon que nous ne soyons pas tous-jours attachés aux mammelles de nostre Dieu et que nous soyons un peu sevrés de sa douceur.

            Taschés de rendre le bon odeur parmi le prochain la ou vous estes, affin qu'on loüe le Parfumier celeste en la boutique duquel vous vives. Ah, quel bonheur est celuy que, changeant de place, vous ne changes point de cœur ! Mon Dieu, ma Fille, puisque nostre cœur ne change point de Dieu, pourquoy changeroit-il d'amour ? Aussi bien n'y a-il rien au monde pour nostre cœur que Dieu, ni pour Dieu que nostre cœur. Tenes vous donques tous-jours bien ferme aux pieds du Crucifix.

            Bon soir, ma chere Fille, recommandes moy bien tous-jours devotement a la misericorde de Celuy pour lequel je suis sans fin vostre.

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MCLIV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Le rang de la Mère Favre dans le cœur du Saint et dans l'Institut

 

[Fin 1615 ou 1616.]

 

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            Vous sçaves bien que vous estes la grande fille bien-aymee, et que nul ne vous ostera le rang que vous tenes en mon cœur, apres et tout aupres de nostre tres chere Mere ; aussi estes vous nostre seconde mere.

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Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mère Favre, par la Mère de Chaugy, conservée à la Visitation d'Annecy.

 

Année 1616

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MCLV. A la Mère de Chantal. Souhaits de nouvel an pour la destinataire et la Congrégation. — Effusions d'amour à Jésus-Christ Notre-Seigneur. — Le chercher uniquement et tout faire pour lui

 

Annecy, 1er janvier [1616.]

 

            Vous seres la premiere, ma tres chere et tres bonne Mere, qui recevres de mes escritz en cette annee nouvelle. La rayson, certes, le veut bien, qu'apres avoir fait hommage au Pere et a la Mere celeste, je le rende aussi a la seule Mere que leurs Majestés m'ont donné pour cette vie.

            Bonne et tres sainte annee a ma tres chere Mere de la part de son filz, qui luy souhaitte l'abondance de la grace du Pere eternel, de la paix du Filz circoncis et de la consolation du Saint Esprit, dediant avec ce mesme cœur de ma tres chere Mere, le mien comme le sien a la gloire de la divine Bonté, et luy consacrant tous les momens de cette nouvelle annee pour faire une entiere circoncision de ce mesme cœur, et l'appliquer a recevoir purement et parfaittement l'amour sacré que le celeste et divin nom de JESUS nous annonce escrit en sang sur la sainte humanité du Sauveur.

            Je ne me puis promettre de vous voir avant mercredy, sinon de cette veuë perpetuelle de laquelle mon ame [127] regarde et garde la vostre cherement dans le fond de nostre cœur.

            Ah, mon Dieu, ma chere Mere, que je desire d'amour divin a ce cœur, que je luy souhaitte de benedictions ! Baysons mille fois les pieds de ce Sauveur et disons-luy : Mon cœur, o mon Dieu, vous proteste, ma face vous desire ; ah ! Seigneur, ma face recherche vostre face. C'est a dire, ma chere Mere, tenons nos yeux en Jesus Christ pour le considerer, nostre bouche pour le louer, et qu'en fin tout nostre visage ne respire que d'aggreer a celuy de nostre cher Jesus ; Jesus pour lequel il nous faut humilier, entreprendre, travailler, souffrir et devenir, comme dit saint Paul, des brebis conduites a la boucherie, quand il plairoit a sa divine Majesté de nous rendre deshonnorables pour son honneur et gloire.

            Or sus, bonne et tres sainte annee a ma tres chere Mere, toute parfumee du nom de Jesus, toute detrempee de son sacré sang. Que nul jour de cette annee, ains que nulle annee ni nul jour de plusieurs annees, que je supplie Dieu vouloir donner a ma tres chere Mere, ne se passe qu'il ne soit arrousé de la vertu de ce sang, et ne reçoive la douceur du vent de ce nom qui respand le comble de toute suavité. Amen.

            Ainsy puisse ce nom sacré remplir de son aggreable son toute la Congregation de nos Seurs, et les gouttes du sang du petit Sauveur se convertir en un fleuve de sainteté qui res-jouisse et rende fertiles tous les cœurs de cette chere trouppe, et sur tout celuy de ma tres chere Mere, que le mien ayme comme soy mesme.

            Vive JESUS, vive son sang ! Vive MARIE, vive son flanc, duquel Jesus a pris son sang !

FRANÇS, E. de Geneve. [128]

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MCLVI. Au duc de Bellegarde. Vicissitude des années et permanence des affections formées par Dieu. — Les enfants pensent souvent à leurs pères ; les pères pensent toujours à leurs enfants. — L'alcyon sur les ondes.

 

Annecy, 6 janvier 1616.

 

            Monsieur,

 

            A ce commencement de nouvelle annee, je vous represente mes vœux et mon obeissance, dissemblables certes aux ans, en ce quilz perissent tous dans leurs vicissitudes et revolutions ; mais l'infinie affection que j'ay a vostre gloire est ferme, permanente et exempte de tout autre changement que de celuy de sa continuelle croissance. Aussi fut elle formee de la main eternelle de Dieu, a mesme que la bienveuillance que vous aves pour moy fut creee en vostre esprit ; et si, elle ne regarde aussi que l'eternité. Passion toute miraculeuse, qui, au dessus des loix de la nature, m'a donné le bien de vous avoir pour filz, et a vous, Monsieur, le courage et l'humilité de m'advouer pour pere.

            O combien de foys, Monsieur mon cher Filz, ce nom et ce cœur de pere que je porte envers vous me presse-il d'amour et de zele pour supplier la divine Bonté qui l'a volu comme cela, de combler vostre ame de sa sainte dilection, establissant son royaume celeste en vous ! Je le sçai bien que les bons enfans pensent souvent en leurs peres ; mays ce n'est pas souvent, c'est tous-jours que les peres ont leurs espritz en leurs enfans.

            Perseveres, Monsieur mon tres cher Filz, en cette grandeur de courage qui vous tient relevé au dessus des choses temporelles, entre lesquelles vous passes comme un heureux alcyon surnageant aux ondes qui inondent ce siecle. Tenes vos yeux arrestés a cette sainte eternité [129] a laquelle nous allons par la course de ces annees, qui, passant, nous passent comme de poste en poste, jusques a cette fin-la. En ces momens, pourtant, comme dans un petit noyau, est enclose la semence de toute l'æternité, et en ces menus travaux de la devotion que nous devons prattiquer est enfermé le prix de l'infinité de la gloire, et ce petit soin de servir Dieu produit le repos d'une joye perdurable. Qu'a jamais le sang du Sauveur soit beni, qui nous a rendu le salut si aysé !

            Il ne se peut dire, Monsieur mon Filz, combien j'ay de consolation de sçavoir que monsieur vostre frere, ce digne et brave seigneur qui vous tient lieu de cher enfant, est enfin marié ; car je ne doute point que cela ne luy soit un grand moyen pour bien servir Dieu, a quoy il est asses porté par la generosité de son courage, outre que je m'imagine que vostre contentement, Monsieur, en est grand. Et si Dieu exauce mes souhaitz, ce mariage sera fleurissant en toute sorte de benedictions, et rendra en son tems les fruitz d'une desirable et belle posterité. De faire des amas de paroles sur ce sentiment pour en [130] tesmoigner la grandeur, je n'en ay pas l'art, principalement escrivant avec ce cœur tout de bonne foy, a Vostre Grandeur, qui se contente de la realité de mon affection. Mays, ce pendant, j'excede en longueur.

            Vives a jamais en Dieu et pour Dieu, Monsieur, et aymes constamment

Vostre tres humble et obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            6 janvier 1616, Annessi.

 

            A Monsieur

[Monsieur le Duc de] Bellegarde,

            Marquis de Seurre et Versoix,

Chevalier des deux Ordres du Roy, grand Escuyer de France,

Gouverneur de Bourgoigne, Bresse et Beugey.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Saint-Céré.

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MCLVII. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). Efforts du Saint pour amener une réconciliation. — La peste, messagère de la miséricorde divine

 

Annecy, [14] janvier 1616.

 

            Monseigneur,

 

            J'ay veu tout ce quil vous plaist de m'escrire touchant M. de Barraux, que je treuve tres bon, comme venant de vostr'esprit qui sçait mieux discerner que nul autre [131] ce qui est convenable. J'ay commencé a luy parler, et puis a M. Garin), du sentiment quilz ont l'un contre l'autre, selon le mot quil vous pleust m'en toucher. Ilz protestent fort de ne penser a point de mal, mais c'est en un langage qui ne veut pas du tout dire cela. Je m'essayeray de tenir a leur bien et repos, qui despend de l'obeissance quilz doivent rendre a vos intentions, lesquelles, de mon costé, je veux tous-jours respecter et suivre tres affectionnement.

            Nous oyons parler de paix, et sentons tous-jours les effectz de la guerre. Nostre Geneve est tous-jours dangereusement travaillee de contagion, et, par merveille, jusques a present toute la Savoye en est exempte, graces a ce bon Dieu qui, a l'adventure, par la peste temporelle, les veut guerir de la spirituelle, ou bien les prendre du costé du Ciel, puisque du costé de la terre, les hommes s'en empeschent les uns les autres.

            Ce porteur a desiré ma recommandation aupres de vous, et puisquil est des vostres, je ne luy sçaurois rien refuser de ce qui est en mon pouvoir. Je vous supplie de m'aymer tous-jours constamment, puisque de tout mon cœur je suis,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            ………. 1616, d'Annessi.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Montpellier. [132]

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MCLVIII. A Madame de la Fléchère (Inédite). En route pour Samoëns ; une semaine d'hiver

 

Annecy, 23 janvier 1616.

 

            Je partis lundi pour aller a Sales, ma tres chere Fille, pensant d'aller de la a Samoen. Mais le mardi les eaux m'en empescherent ; mercredi et jeudi, la neige [était] si grande en ces contrees de dela, qu'on ne pouvoit passer. Et en fin, la cousine est hors de tout danger ; qui m'a fait revenir icy, ou je vous donne mille et mille benedictions, ma tres chere Fille, comm'estant tres parfaitement tout vostre, et salue humblement monsieur le cher mari.

            Vive Jesus ! Amen.

            XXIII janvier.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [133]

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MCLIX. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Ce que Dieu fera pour la Visitation, et ce qu'il fera pour la Mère Favre. — Souffrir en Dieu rend la souffrance heureuse. — Manifestations extérieures du zèle

 

Annecy, [janvier] 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je ne vous puis dire autre chose sur ce que vous m'escrives, sinon que Dieu fera plus que les hommes ne peuvent penser pour cette Congregation, et spirituellement et temporellement ; et n'en avons nous pas d'asses bons gages jusqu'a present ?

            Ma tres chere Fille, vostre cœur tient un rang dans le mien qui me fait faire sans cesse mille souhaitz pour vostre consolation et prosperité interieure. Hé, mon Dieu, puisque vous aves tiré ce cœur de ma grande fille a vous, perfectionnes le en vostre saint amour. Il le fera, ma Fille vrayement chere et bienaymee, n'en doutes point ; mais resveillés souvent les saintes affections et resolutions que nous avons prises.

            Ne vous troublés aucunement de vos infirmités, qui ne vous sont donnees que pour vous affermir. Je compatis grandement a vostre peyne, quoy que je ne doute pas qu'elle ne soit aggreable a vostre esprit, qui l'accepte comme venant de ce Pere celeste, lequel donne les tribulations avec un amour nompareil aux enfans de sa providence. Souffrés toute vostre fievre en Dieu, et la souffrance vous sera heureuse, ma tres chere grande Fille.

            Je desire que le zele de la tres grande gloire de Dieu arde et regne continuellement en vostre cœur, et qu'en [134] toute occasion il paroisse par modestie, douceur, humilité et devotion. Croyes moy, ma tres chere Fille, je vous cheris tres pretieusement, et ne manque deux fois le jour de faire orayson speciale a vostre intention. O que cet amour est doux, qui nous fait aspirer les uns pour les autres au Ciel !

            Dieu vous benisse a jamais, ma chere Fille.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCLX. A Madame de la Fléchère. Un voyage arrêté par les neiges. — Mme de Charmoisy hors de danger. — Pourquoi le Saint ne trouvait pas facilement un prédicateur pour Rumilly.

 

Annecy, 26 janvier 1616.

 

            Il faut respondre courtement, ma tres chere Fille, puisque ce porteur m'a pris entre plusieurs affaires que je ne puis laisser. Je m'estois mis en chemin pour aller voir la chere cousine, mais il ne me fut possible de passer les Bornes en ce tems, a cause de la nouvelle neige qui y estoit tombee. Or, maintenant elle est du tout hors de danger, a ce que m'escrivit avant hier M. de Vallon. Dieu en soit loué, a la gloire duquel je m'asseure qu'elle destinera encor plus ardemment le reste de sa vie.

            Je me res-jouis aussi beaucoup de ce que vous me dites de la chere niece, car tout en est bon, et croy bien que Mme du Chastelard aura plus de peyne de s'eschapper. Nous nous verrons quand il plaira a Nostre Seigneur vous [135] en donner la commodité, et a moy cette particuliere consolation.

            Je suis en peyne de treuver un predicateur a propos pour Rumilli, puisque nos Peres Capucins n'en ont point, et qu'on y est un peu delicat. Je ne sçai si nous pourrions avoir quelque Jesuite de Chamberi ; j'en escriray demain un mot au P. Recteur. Si moins, nous en prendrons icy quelqu'un, car nous en avons d'asses bons, pourveu qu'on ne fust pas si douillet comme l'on est en ce tems, auquel tant de gens sçavent bien dire et fort peu bien faire.

            Vives tout a Dieu, ma tres chere Fille, et cherisses tous-jours fortement mon ame qui vous est toute dediee, comme je suis sans fin,

Vostre plus humble, tout affectionné serviteur et compere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            26 janvier 1616.

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MCLXI. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier. Une amitié toujours heureuse de s'exprimer. — Malades qui refusent les ordonnances du médecin.

 

Annecy, 1er février 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Je ne puis m'empescher de vous resaluer tous-jours [136] quand les commodités s'en presentent, desireux de vivre continuellement en vos souvenirs et en la sainte bien-veüillance dont vous m'honnores. C'est le seul sujet de ces quatre lignes ; car, quant au reste, ce porteur fidele vous dira toutes nos nouvelles, qui sont petites comme en tems de paix.

            J'ay bien voulu essayer d'accommoder sa volonté avec celle du sieur de Barraux, mais ilz ont reciproquement refusé les ordonnances du medecin, disant qu'ilz n'estoyent pas malades ; c'est a dire, ilz ont bien advoüé qu'ilz avoyent sujet de se vouloir l'un l'autre, mais qu'ilz n'avoyent nulle intention de se rechercher pour en tirer satisfaction, pour le respect qu'ilz devoyent a la vostre, laquelle je les exhorteray tous-jours de reverer comme le sanctuaire de leur bonheur. Et moy, je le feray a jamais de tout mon cœur, comme estant sans fin,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur et frere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            1er febvrier 1616, Annessi.

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MCLXII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Une réponse à ce que Mgr de Marquemont allègue contre la Visitation. — Pourquoi le Fondateur eût préféré le titre de simple Congrégation ; raisons de sa condescendance à faire de l'Institut naissant un Ordre religieux. — « Suavité nompareille » en son acquiescement. — Ses réserves. — Une fondation est désirée à Chambéry

 

Annecy, 2 février 1616.

 

            Que dires vous, ma tres chere Fille, voyant si peu de lignes de ma part, apres en avoir si souvent receu de la [137] vostre beaucoup plus ? Or, dites, et ce sera la verité, dites quil faut bien que le pauvre Pere ne puisse pas mieux faire ; car il ayme si fort sa toute chere fille, que sil pouvoit, il ne se contenteroit pas de l'entretenir si peu.

            Je fay response a Monseigneur l'Archevesque, sur un grand papier quil m'a envoyé, contenant tout ce quil luy plait d'alleguer contre l'institut de la Congregation. Et sur deux partis quil me propose, hors desquelz il ne veut nullement establir nostre pauvre Congregation en son diocæse, je luy laisse le choix sans reserve quelcomque, hormis celle de la principale fin de nostre Congregation : que les vefves, au moins en leur habit vidual, y puissent estre par maniere de retraitte jusques a ce que, desfaites de tous empeschemens, elles puissent faire la proffession et prendre l'habit ; et que les femmes du monde y puissent avoir entree, pour s'exercer et resoudre a la devotion, selon les occurrences.

            Or, les deux partis quil propose sont : ou de laisser nostre Congregation en tiltre de simple Congregation, avec la clausure, ou de la reduire en Religion formelle, sous la Regie de saint Augustin. Et quant au premier parti, il ne le propose qu'a contre cœur ; si que, voyant que malaysement favorisoit (sic) il jamais la Congregation si on ne vient au second, je le luy laisse en [138] liberté, estant chose indifferente que le bien de la Congregation se face ou en une sorte ou en l'autre. Or, mon sentiment estoit quil se feroit mieux en tiltre de simple Congregation, ou la seule charité et crainte de l'Espoux serviroit de clausure, avec la retraitte que la bienseance de telles assemblees requiert, ainsy que nous l'avions mise es Regles. Mays, puisque du bon accueil que Monseigneur l'Archevesque fera a cette Congregation en sa ville depend celuy qu'elle peut prætendre en toute la France, j'acquiesce que l'on en face une Religion formelle, a la reserve de ces deux pointz sus marqués, puisque, comm'il dit, on ne changera rien aux Regles, quil loue et proteste estre « excellentes », car c'est son mot, que le fruit de cette Congregation est admirable, mais que la racine n'en vaut rien ; combien que Nostre Seigneur die qu'un mauvais arbre ne sçauroit produire bon fruit. Je voy aussi que, par ce moyen, on contentera une quantité de censeurs, et les peres et parens des filles qui ne les veulent pas donner a Dieu que pour gaigner les portions qu'elles emporteroyent silz les donnoyent a quelque chetif mari.

            L'importance est, ma tres chere Fille (et je vous le dis de tout mon cœur qui vous parle en simplicité et totale confiance, car en somme vous estes certes ma fille de mon cœur plus que vous ne sçauries penser, ni moy dire), l'importance est que j'ay fait cet acquiescement avec une douceur et tranquillité, ains avec une suavité nompareille. Et non seulement ma volonté, mais mon jugement a esté bien ayse de se sousmettre et rendre l'homage quil doit a celuy de ce digne Prælat ; car, ma Fille, que prætens-je en tout ceci, sinon que Dieu soit glorifié et que son saint amour soit respandu plus abondamment dans le cœur de ces ames qui sont si heureuses que de se dedier toutes a Dieu ? Les Congregations et les Religions [139] ne sont point differentes devant la divine Majesté, car, selon icelle, les vœux des unes sont aussi fortz que ceux des autres ; et le tiltre de Congregation n'estant pas si specieux ni honnoré, m'en playsoit davantage. Mays, de bon cœur (voyes vous, ma Fille, je dis tres suavement), j'acquiesce que ce soit une Religion, pourveu que, par la douceur des Constitutions, les filles infirmes y soyent receues, les femmes vefves y aient retraitte, et les femmes du monde quelque refuge pour leur avancement au service de Dieu. La Regie de saint Augustin est beaucoup plus douce que les nostres, soit pour la clausure, soit pour tout le reste ; de sorte que, gardans nos Regles, nous ferons plus que saint Augustin n'ordonne, et le tiltre de la Regie saint Augustin honnorera nos Regles sans y rien adjouster.

            Je voudrois bien vous dire beaucoup de choses sur ce sujet, affin que, quand Monseigneur l'Archevesque vous parlera, vous sceussies un peu mieux l'entendre ; mays pour tout, il suffira que vous l'asseuries quil ne treuvera point en moy un esprit contrariant ni qui veuille surnager. Ne serois-je pas un chetif homme, si je voulois m'estimer et relever mon esprit en comparayson des autres ?

            Item, il faudra dextrement et doucement luy faire savourer le prix des entrees des seculieres qui viennent pour rabiller un peu leurs espritz. En Italie on n'en a pas tant besoin, ains nullement, car il y a tant de compaignies de femmes vefves, mariees, filles, ou les exercices se font ; les maysons et quartiers de femmes, si retirés du reste de leur mesnage ; plusieurs Congregations libres ou elles se retirent, et mille autres telles commodités. Joint qu'en Italie, sur tout a Romme, l'esprit des femmes y est tellement soupçonné, que non seulement on ne permet pas aux hommes de parler aux Religieuses a la treille sans expresse et tres rigoureuse licence, mais mesme on ne le permet pas aux femmes sans cette mesme licence ; on rie permet pas aux prestres, [140] quelz qu'ilz soyent, fussent ilz Jesuites, Capucins et tout ce qu'on voudra, d'y aller dire Messe, s'il n'a licence par escrit. Or, de deça, les Carmelines mesme ne font pas ces misteres, par ce que les meurs et humeurs ne requierent pas tant de barricades ni de desfiances. C'est pourquoy, sil plait a Monseigneur de Lyon, on pourra aysement moderer cette rigueur pour l'entree des dames et autres bonnes femmes qui, pour une si sainte fin, voudront entrer.

            On parle fort de faire une Congregation a Chamberi, on en demande en plusieurs endroitz ; c'est pourquoy je supplie Monseigneur l'Archevesque de terminer cet affaire, en sorte qu'on puisse imprimer les Regles bientost.

            Ma tres chere Fille, pries Dieu quil remplisse mon cœur de son amour ; j'en fay de mesme pour le vostre, qui me semble, certes, estre vrayement mien, comme le mien est tout vostre.

            Je respondray a la difficulté des desirs a la premiere commodité. Je salue nos cheres Seurs, sur tout les deux nostres. Il ny a pas grand hazard que le livre de l'Amour de Dieu soit retardé ; je le fay cependant revoir.

            Je salue M. l'Aumosnier, que j'espere voir parmi ce Caresme.

            Tout maintenant je viens de recevoir une lettre de [141] ma Seur Françoise Hieronime ; je respondray a la premiere commodité, car il faut donner les lettres.

 

A ma tres chere Fille en N. S.

            Ma Seur Marie Jaqe Favre,

            Superieure de la Congregation de la Visitation.

            A Lion.

 

            Le 2 febvrier.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Lyon-Fourvière.

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MCLXIII. A Madame de la Fléchère. Promesse d'une visite au retour de Mioncas. — François de Sales va dire la sainte Messe à la Visitation pour M. de la Fléchère malade

 

Annecy, 9 février 1616.

 

            Hier, une heure de nuit, vostre lettre me fut rendue. Ce matin j'ay envoyé pour sçavoir si M. Faber estoit parti ; on m'a fait dire qu'oüy, cependant le voyla encor. Or il ne se faut point estonner, ma chere Fille, car, Dieu aydant, ce ne sera rien. Nous prierons a cett'intention ; et je m'en vay aujourd'huy a Mionnaz, d'ou je repasseray vers vous tout en passant, au retour, affin de visiter vostre malade, et rendray par mesme moyen le compliment avec M. le Comte qui est gueri. [142]

            Je vay dire la sainte Messe a la Visitation, ou je feray la recommandation du malade, que je prie Dieu vouloir benir de sa sainte main, avec vostre cœur et toute vostre mayson. Je suis tout parfaitement vostre.

            9 febvrier 1616.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin Archives de l'Etat.

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MCLXIV. A M. Philippe de Quoex (Fragment). Veuvage de Mme de la Fléchère. — Eloge de cette « parfaite brebis » d'un bercail affligé.

 

Annecy, vers le 12 février 1616.

 

            J'appris au soir la nouvelle du deces de nostre bon monsieur de la Flechere. O Dieu, avec quelle ardeur sa chere vefve va-elle sacrifier le sacrifice de toute justice a Dieu ! Quand je n'aurois que cette parfaite brebis en mon bercail, je ne me sçaurois fascher d'estre Pasteur de cet affligé diocese. Apres nostre madame de Chantal, je ne sçai si j'ay fait rencontre d'une ame plus forte en un cors feminin, d'un esprit plus raysonnable et d'une humilité plus sincere.

            Je ne doute nullement, Monsieur mon cher Confrere, [143] que passant si proche d'elle, vous ne l'allies visiter. Portes luy l'asseurance que mes prieres luy sont acquises pour le repos de son cher defunct et pour sa consolation particuliere, que je m'asseure estre toute en ces deux motz : Le nom de Dieu soit beni, sa volonté soit faite.

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Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Sœur Madeleine de la Forest de la Fléchère, parla Mère de Chaugy, conservée à la Visitation d'Annecy.

 

MCLXV. A Madame de la Fléchère. Affaires de tutelle. — Prudence et sainte indépendance en face du monde. — Les prétentions et les plaintes de M. Guidebois. — Un prédicateur de Carême. — Prochains arrangements à la cure de Rumilly

 

Annecy, 17 février 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Hier au soir seulement je receus vostre lettre et je respons ce matin, jour des Cendres. Il m'est advis que ces formalités de tuteur a vos enfans sont superflues, puisque tout est vostre et qu'aussi bien vostre Espoux nouveau ne vous demandera point de dote. Neanmoins, vous sçaves quel homme je suis pour les affaires du monde ; certes, je n'y entens rien du tout. C'est pourquoy je vous conseille de croire le neveu, qui, estant de la profession et ayant l'affection quil a pour vous, ne peut en cela que vous bien conduire. Mays il faudra pourtant bien faire sçavoir au monde vostre bonne intention envers vos enfans ; autrement il criera a la Philothee comme au loup garou, et sera bien ayse de prendre ce sujet : a quoy vostre protestation obviera suffisamment. Que sil ne s'en contente, il le faudra laisser crier et braire tant quil voudra, puisque le nouvel Espoux ne tient aussi point de conte de son tesmoignage. [144]

            En verité, il faut ayder M. Guydeboys affin quil ayt sa pension tant que nous pourrons, car le pauvre homme seroit miserable sans cela et auroit grand sujet de se plaindre ; et vous pouves penser de quel air il le feroit, puisque il le fait des a present avec un'extreme doleance. Vous m'envoyeres donq les papiers et je vous renvoyeray ce que vous me marqueres, et l'assisteray en ce que je pourray, affin quil ne soit pas frustré de sa juste pretention. Et M. le Comte n'en sçaura rien, ou sil le sçait, il n'aura point d'occasion de vous en sçavoir mauvais gré.

            Les sentimens de l'absence du defunct ne peuvent pas si tost passer ; il suffit que, en la pointe de l'esprit, nous soyons bien resignés au bon playsir de Dieu, et que nous taschions de nous unir de plus en plus parfaitement au second Espoux. Demeures bien toute en luy et vives bien toute pour luy, ma tres chere Fille, et je suis tout parfaitement

Tout vostre.

            Nous avons un brave prædicateur, je m'en res-jouis [145] grandement. Vous l'ouires un peu sur la fin, et madame la Comtesse, a laquelle j'ay bien envie de donner de la moderation en ses affections, selon le besoin que j'en voy par la demesuree ardeur qu'ell'a en la sollicitation de faire M. Nacot, vicaire. Or bien, nous sommes apres a donner un fort bon coadjuteur au curé, et alhors tous ces inconveniens cesseront.

            Dieu soit a jamais au milieu de nos cœurs. Je salue la [146] chere compaigne et la tres chere niece, quand vous luy escrires.

            Jour des Cendres.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCLXVI. A Madame de Mieudry. Etre ce que Dieu veut : faibles de corps, mais siens de cœur. — Nouvelles difficultés dans le service paroissial de Rumilly. — L'Evêque se justifie humblement, sans blâmer ses détracteurs. — Les « caprices des hommes. » — Soyons « vaysseaux bien profons » pour recevoir les grâces de Dieu.

 

Annecy, 19 février 1616.

 

            Et moy certes, ma tres chere Fille, j'oubliay a vous dire que, sans nulle difficulté, vous mangeassies, avec M. vostre pere et vos enfans, de la chair ; vostre complexion est asses lasse sans autre abstinence. Il faut estre ce que Dieu veut que nous soyons : foibles, vilz, abjectz, mais siens de cœur, d'intention et de resolution. Pour M. vostre mari et le reste, vous en feres ce que [147] vous estimerés a propos ; je croy bien que ce ne sera pas trop de luy donner des conseilz, attendu quil craint Dieu, et quil faut avoir soin de bien nourrir ceux qui nourrissent bien cette sainte crainte, encor que ce soit avec imperfection.

            Le vicariat de Rumilly depend du curé ; ce que j'ay fait pour condescendre a l'extreme instance qui m'a esté faite, c'est de luy permettre quil employast M. Nacot, si bon luy sembloit, sans pour cela empescher que l'on employast M. Charvet a cet exercice, pour ceux qui n'auroyent pas agreé l'autre. Il se peut bien faire que j'aye mal fait en cela, et ce ne seroit pas un grand miracle ; mais je ne le pense pas pourtant, a cause de la consideration pour laquelle je l'ay fait et la liberté que chacun a de se prsevaloir des autres prestres ; outre que cela ne durera comme rien, Dieu aydant. Ne vous mettes nullement en peine de respondre a ceux qui m'en blasmeront ; car encor que je ne le pense pas, peut estre ont ilz rayson. Et pour vous, il vous suffit que je vous assisteray bien et ne vous tromperay point, ains vous conduiray le droit chemin de la pieté, avec un' affection et un zele tres invariable.

            Je considere les caprices des hommes sur le sujet du bon M. de Valence : nous l'escoutons icy de tres bon cœur, et moy, qui ay plus estudié en theologie que tous ceux de Rumilly ensemble, je treuve qu'en verité il presche bien et utilement ; on seroit bien ayse en des plus grandes villes de l'avoir. Il faut avoir patience, et prier Dieu quil nous face tous humbles, affin que, [148] comme vaysseaux bien profons, nous soyons capables de recevoir ses graces en abondance.

            Je suis en vraye verité tout vostre, ma tres chere Fille, et Dieu soit la vie de vostre ame.

            Le XIX febvrier 1616.

 

            A Madame

Madame de Mioudry.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCLXVII. A M. Jacques de Cerisier (Billet inédit). Dispenses pour le Carême en faveur d'un malade.

 

Annecy, 19 février 1616.

 

            Monsieur mon Cousin,

 

            Prenes, au nom de Dieu, tout ce qui sera requis pour vostre nourriture. La grandeur de vostre maladie ne permet aucune reserve de viandes pour vous, a qui je ne cesseray jamais de souhaiter toute sainte prosperité, et a madame ma cousine, ni d'estre de tout mon cœur,

            Monsieur mon Cousin,

Vostre plus humble, tres affectionné cousin et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            3e Jour du Caresme 1616.

 

            A Monsieur

[Monsieur] de Cirisier.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la comtesse d'Asnières de Sales,

à Metz (Annecy). [149]

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MCLXVIII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragments). Humbles réponses qu'il faudra faire à l'Archevêque de Lyon. — « L'esprit parfait et apostolique, » propre esprit de la Visitation. — Quel amour peut vivre sans anxiété

 

Annecy, [février] 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

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            Si Monseigneur l'Archevesque vous dit ce qu'il m'a escrit, vous luy respondres que vous aves esté laissee la pour servir a l'establissement de vostre Congregation de tout vostre petit pouvoir ; que vous tascheres de bien conduire les Seurs selon les Regles de la Congregation ; que s'il plaist a Dieu, apres cela, que cette Congregation change de nom, d'estat et de condition, vous vous en rapportes a son bon playsir, auquel toute la Congregation est entierement voûee ; et, qu'en quelle façon que Dieu soit servi en l'assemblee ou vous le serves maintenant, vous seres satisfaite.

            En effect, ma tres chere Fille, il faut avoir cet esprit la en nostre Congregation, car c'est l'esprit parfait et apostolique. Que si elle pouvoit estre utile a establir plusieurs autres Congregations de bonnes servantes de Dieu sans jamais s'establir elle mesme, elle n'en seroit que tant plus aggreable a Dieu, car elle seroit moins sujette a l'amour propre.

……………………………………………………………………………………………………...

            Croyesmoy, ma chere Fille, j'ayme parfaitement nostre pauvre petite Congregation, mays sans anxieté, sans [150] laquelle l'amour n'a pas accoustumé de vivre, pour l'ordinaire ; mays le mien, qui n'est pas ordinaire, vit, je vous asseure, tout a fait sans cela, et avec une tres particuliere confiance que j'ay en la grace de Nostre Seigneur, que sa main souveraine fera plus pour ce petit et humble Institut que les hommes ne peuvent penser. Et je suis, plus que vous ne sçauries croire, vostre.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation dit 1er Monastère de la Visitation d'Annecy.

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MCLXIX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Où croissent les lis agréables à l'Epoux céleste. — L'ouvrage le plus doux, l'ouvrage le meilleur. — Députer Charles de la Fléchère vers le gouverneur de Savoie

 

Annecy, 24 février 1616.

 

            Je vous voy, ma tres chere Fille, selon ce que vous m'escrives, toute jettee sur les espines. O prenes courage, je vous en conjure ; c'est la ou les lis aggreables a vostre Espoux croissent et se nourrissent mieux, et le mouton que Dieu volut luy estre immolé au lieu d'Isaac estoit arresté entre les espines. Travailles fidelement, ma tres chere Fille, avec la pointe superieure de vostre volonté, parmi ces tenebres et secheresses ; une once de l'ouvrage fait en cette sorte vaut mieux que cent livres de celuy qu'on fait entre les consolations et sentimens, et bien que celuy ci soit plus doux, l'autre neanmoins est meilleur.

            Je communiqueray de vostre affaire avec une bonne [151] cervelle et tres bonne conscience, et vous escriray son advis, combien que tous-jours il faille croire monsieur vostre neveu. J'appreuve bien que vous envoyes vostre filz faire la reverence a Son Excellence, puisque elle ne vous fait nulle response, ni a moy, a qui neanmoins ell'a respondu sur un'autre point dont je luy escrivois ; et selon que vous la verres inclinee, vous pourres par apres recourir a Son Altesse, tandis que la memoire est fraische du defunct.

            Je suis sans fin, tout parfaitement vostre, ma tres chere Fille, dans le cœur delaquelle vive a jamais et regne Jesus. Amen.

            XXIIII febvrier 1616.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Riom.

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MCLXX. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Un prétendant au sacerdoce qui a besoin d'étudier davantage.

 

Annecy, 27 février 1616.

 

            Monsieur,

 

            Ce porteur a esté le bien venu pour le contentement que [152] j'ay eu de sçavoir de vos nouvelles et le desir que j'aurois de servir son Ordre ; mais il a si peu de lettres, que je ferois grande conscience de luy donner l'Ordre de prestrise sil n'estudie beaucoup davantage. C'est pourquoy je luy ay fait sçavoir quil ne revint pas qu'avec cette provision-la. Au reste, il vous rendra tesmoignage de la santé de madame ma cousine et de tout ce que vous aves de plus cher de deça.

            Ainsy puissies vous jouir heureusement d'une bonne et longue prosperité, selon le souhait,

            Monsieur, de

Vostre plus humble, tres affectionné parent et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVII febvrier 1616.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Bourg-en-Bresse.

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MCLXXI. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Reconnaissance de la province envers Son Altesse pour l'établissement des Barnabites à Annecy. — Celui qui a planté un arbre le doit arroser. — Deux prieurés en ruine spirituelle et matérielle. — Le collège d'Annecy antagoniste de celui de Genève

 

Annecy, 29 février 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Il y a deux ans que par commandement de Vostre Altesse les Peres Barnabites ont esté receus en cette ville pour la direction du college, et ne se peut dire combien de fruit spirituel ilz y ont fait et en toute cette province ; qui a donné un grand sujet aux gens de [153] bien de souhaiter plus ardemment toute sorte de prosperité a Vostre Altesse, de laquelle l'authorité nous avoit prouveus de ce bonheur.

            Mais, Monseigneur, puisque la providence de Vostre Altesse a planté ce bon arbre fruitier en cette province, c'est a elle mesme de l'arrouser, affin que, par la grace de Dieu, il puisse croistre. Ce college est extremement pauvre pour la grandeur des charges qui y sont ; et si on ne le secourt par addition de quelques revenus, ces bons Peres y vivront avec tant d'incommodités, que non seulement ilz ny pourront pas faire les progres que leur pieté et les necessités de ce païs requierent.

            Or, les moyens de leur accommodement seront fort aysés, pour peu quil playse a Vostre Altesse d'affectionner cette sainte œuvre ; car nous avons icy deux prieurés ruraux, dont le plus grand n'excede pas la valeur de cent ducatz annuelz, par l'union desquelz ce college seroit fort soulagé. Et, ce qui est plus considerable, comme ces prieurés seroyent utiles a l'entretenement de ces Peres, ces Peres seroyent reciproquement extremement utiles a l'entretenement des prieurés, qui, comme la pluspart des benefices reguliers de ce païs, s'en vont en ruines quant aux choses temporelles devant les hommes, et quant aux services spirituelz devant Dieu, qui sans doute en est grandement offencé : Et non est qui recogitet corde.

            L'un de ces prieurés s'appelle Silingie et l'autre Saint Clair, tous deux a une lieuë d'icy, fort propres [154] a l'intention que je represente a Vostre Altesse, laquelle je supplie tres humblement, et sous l'adveu de sa bonté je la conjure, par l'amour qu'elle porte au service de Dieu et de l'Eglise et par la paternelle affection qu'elle a envers ce païs, de vouloir estroittement embrasser et presser le bien de ce pauvre college, qui est au cœur de la Savoye et vis a vis, comme antagoniste, de celuy de Geneve, et qui est la premiere retraitte que cette venerable Congregation des Peres Barnabites a eue deça les monts, sous les favorables auspices de Vostre Altesse, laquelle en aura beaucoup de gloire en ce monde entre les serviteurs de Dieu, et en l'autre encor davantage entre les Anges et les Saintz de Paradis. [155]

            Ce pendant, sur cet heureux presage, je fay tres humblement la reverence a Vostre Altesse, comme estant,

            Monseigneur,

Son tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le 29 febvrier 1616.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

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MCLXXII. Au Cardinal Fréderic Borromée Archêveque de Milan. Remerciements pour un envoi de reliques de saint Charles. — Le culte du glorieux Cardinal s'accroît en France et en Savoie.

 

Annecy, 29 février 1616.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor Padron mio colendissimo,

 

            Suavissima è stata verso di me la carità santa di Vostra Signoria Illma che si è degnata di conservar memoria [165] di sogietto tanto indegno come io sono, et di darne un segno tanto amabile come è stato il dono sacro delle venerandissime reliquie del gran San Carlo, ricevute da me per via di Monsignor di Belley, Prælato di gran virtù. Et non sô come io possa mai ringratiarne come si conviene Vostra Signoria Illma, senon facendoli humilissima riverentia et restando nel silentio quanto a questo, con darglie però questo grato raguaglio, che in questi [157] paësi di qua et per tutta la Francia si dilata et amplifica excellentemente la gloria et divotione di quel beatissimo Santo, con ammiratione et stima cordialissima della sua perfettissima santità.

            Et qui in particolare, il giorno della sua festa, Monsignor Arcivescovo di Lione essendo venuto per favorirme della sua præsenza, fece il sermone nella chiesa de' nostri Padri Barnabiti con tanta eloquentia apostolica, che tutti ne restassimo rapiti di dolcezza et suavità, et non si può dire con che gusto furono sentite le laudi di quel Santo. Et col mezzo delle reliquie sue sonno seguite gratie in molti infermi, il che fa credere che Iddio vuole che la veneratione di quel suo Servo cresca e fiorisca in queste bande.

            Se io havessi copia et uso maggiore della lingua italiana et non temessi di esser importuno a Vostra Signoria Illma, mi stenderei in altre particolaritâ ; ma è anche ragionevole che io stia nelli termini del respetto dovuto all'excellentissima dignità sua, et che basciandoli humilissimamente le sacratissime mani et preghandoli ogni [158] vera prosperità, finisca protestando di restar eternamente,

            Di Vostra Signoria Illma et Rma,

Humilissimo et divotissimo servo,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            XXIX di febbraio 1616, in Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Milan, à la Bibliothèque Ambrosienne.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Combien suave a été pour moi la charité sainte de Votre Seigneurie Illustrissime, puisqu'elle a daigné garder le souvenir d'un [156] sujet aussi indigne que je le suis, et m'en donner un si précieux témoignage par le présent sacré des vénérables reliques du grand saint Charles, reçues par l'entremise de Monseigneur de Belley, Prélat de grande vertu. A la vérité, je ne sais comment en remercier dignement Votre Seigneurie Illustrissime, si ce n'est en lui offrant mes tres humbles hommages et en me renfermant dans le silence à cet égard. Je vous donnerai néanmoins une agréable nouvelle, Monseigneur : dans ces pays et par toute la France, la [157] gloire et le culte de ce bienheureux Saint s'accroissent et s'étendent merveilleusement, et sa parfaite sainteté est toujours plus admirée et estimée.

            Ici, en particulier, le jour de sa fête, Monseigneur l'Archevêque de Lyon qui m'avait favorisé de sa visite, prononça le sermon dans l'église de nos Pères Barnabites avec une telle éloquence apostolique, que tous nous en demeurâmes ravis de douceur et suavité ; l'on ne saurait dire avec quelle satisfaction furent écoutées les louanges de ce Saint. Des grâces pour beaucoup de malades ont été obtenues au moyen de ses reliques ; ce qui fait croire que Dieu veut que la vénération pour son Serviteur croisse et fleurisse de nos côtés.

            Si j'avais plus de connaissance et d'usage de la langue italienne et si je ne craignais de me rendre importun à Votre Illustrissime Seigneurie, je m'étendrais sur d'autres particularités ; mais il est bien raisonnable que je demeure dans les termes du respect dû à sa très haute dignité. Aussi, baisant très humblement vos mains sacrées [158] et vous souhaitant toute vraie prospérité, je termine par la protestation de vouloir demeurer à jamais,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            29 février 1616, à Annecy.

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MCLXXIII. A la Sœur de Chevron-Villette novice de la Visitation de Lyon. Des racines qu'on ne peut arracher, mais qui ne doivent pas produire de fruits. — Combattre sur terre, se reposer au Ciel. — N'être ni « pleureuse ni plaignante ». — Remède à la colère.

 

Annecy, [fin février ou mars] 1610.

 

            Je me represente vostre lettre, ma tres chere Fille, en laquelle avec tant de sincerité vous me descrives vos [159] imperfections et vos peines, et voudrois bien pouvoir correspondre au desir que vous aves d'apprendre quelque remede de moy. Mays, ni le loysir ne le permet, ni, comme je pense, vostre necessité ne le requiert pas ; car certes, ma tres chere Fille, la pluspart de ce que vous me marques n'a point d'autre remede ordinaire que la suite du tems et des exercices de la Regie en laquelle vous vives. Il y a mesme des maladies corporelles desquelles la cure depend du bon ordre de la vie.

            L'amour propre, l'estime de nous mesmes, la fause liberté de l'esprit, ce sont des racines qu'on ne peut bonnement arracher du cœur humain, mais seulement on peut empescher la production de leurs fruitz, qui sont les pechés ; car leurs eslans, leurs premieres saillies, leurs rejetons, c'est a dire leurs premieres secousses ou premiers mouvemens, on ne peut les empescher tout a fait tandis qu'on est en cette vie mortelle, bien qu'on puisse les moderer, et diminuer leur quantité et leur ardeur par la prattique des vertus contraires, et sur tout de l'amour de Dieu. Il faut donq avoir patience, et petit [160] a petit amender et retrancher nos mauvaises habitudes, dompter nos aversions et surmonter nos inclinations et humeurs selon les occurrences ; car en somme, ma tres chere Fille, cette vie est une guerre continuelle, et n'y a celuy qui puisse dire : Je ne suis point attaqué. Le repos est reservé pour le Ciel, ou la palme de victoire nous attend. En terre, il faut tous-jours combattre entre la crainte et l'esperance, a la charge que l'esperance soit tous-jours plus forte, en consideration de la toute puissance de Celuy qui nous secourt.

            Ne vous lasses donq point de travailler continuellement pour vostre amendement et perfection. Voyés que la charité a troys parties : l'amour de Dieu, l'affection a soy mesme et la dilection du prochain. Vostre Regie vous achemine a bien prattiquer tout cela.

            Jettés maintes fois la journee tout vostre cœur, vostre esprit et vostre soucy en Dieu avec une grande confiance, et luy dites avec David : Je suis vostre, Seigneur, sauves moy.

            Ne vous amuses point beaucoup a penser quelle sorte d'orayson Dieu vous donne, ains suives simplement et humblement sa grace. En l'affection que vous deves avoir pour vous mesme, tenés vos yeux bien ouvertz sur vos inclinations desreglees pour les desraciner. Ne vous estonnes jamais de vous voir miserable et comblee de mauvaises humeurs. Helas ! traittés vostre cœur avec un grand desir de le perfectionner ; ayés un soin infatigable pour doucement et charitablement le redresser quand il bronchera. Sur tout, travaillés tant que vous pourrés pour fortifier la superieure partie de vostre esprit, ne vous amusant point aux sentimens et consolations, mays aux resolutions, propos et eslans que la foy, la Regie, la Superieure et la rayson vous inspireront.

            Ne soyes point tendre sur vous mesme : les meres tendres gastent les enfans. Ne soyes point pleureuse ni plaignante ; ne vous estonnes point de ces importunités et violences que vous sentés, que vous aves tant de peine a declairer. Non, ma Fille, ne vous en estonnes point ; Dieu les permet pour vous rendre humble de la vraye [161] humilité, abjecte et vile en vos yeux. Cela ne doit point estre combattu que par des eslans en Dieu, des diversions d'esprit de la creature au Createur, et avec de continuelles affections a la tres sainte humilité et simplicité de cœur.

            Soyes bonne au prochain, et nonobstant les soulevemens et saillies de la colere, prononcés es occurrences fort souvent ces divines paroles du Sauveur : Je les ayme, Seigneur, Pere eternel, ces prochains, parce que vous les aymes, et vous me les aves donnés pour freres et seurs, et vous voules que, comme vous les aymes, je les ayme aussi. Sur tout, aymés ces cheres Seurs avec lesquelles la propre main de la Providence divine vous a associee et liee d'un lien celeste ; supportes les, caresses les et les mettes dans vostre propre cœur.

            Ma tres chere Fille, sçachés que j'ay une tres particuliere affection a vostre avancement, Dieu m'y ayant obligé.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCLXXIV. A une personne inconnue (Fragment). Moissons et moissonneuses

 

Annecy, [fin février ou mars] 1616.

 

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            Vrayement la moisson est bien grande ; il se faut confier que Dieu donnera des ouvrieres. Voyla Tolose qui veut de nos Filles de Sainte Marie, Moulins, [162] Riom, Montbrison, Reims ; et c'est grand cas, par tout l'on veut la Mere.

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Revu sur le texte inséré dans le Ms. original des Mémoires, etc., par la Mère de Chaugy, conservé à la Visitation d'Annecy.

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MCLXXV. A Madame de la Fléchère. La succession de M. de la Fléchère. — Au milieu des ennuis, s'attacher, esclave d'amour, au pied de la Croix

 

Annecy, 1er mars 1616.

 

            Ainsy que je pensois vous renvoyer vos papiers [163] par mon laquay, ma tres chere Fille, ces deux cousins arriverent, qui en seront les porteurs. J'ay consulté vostre affaire, et ay treuvé que le conseil de monsieur vostre neveu est extremement bon et quil le faut suivre, sinon que vous fussies fort asseuree quil n'y eut es biens de feu monsieur vostre mari que ce quil faut pour vos droitz, auquel cas il seroit plus court de les retenir pour iceux droitz et ne point faire heriter les enfans. Mays puisque vous penses d'aller a Chamberi, vous resoudres tout cela bravement.

            Vous y treuveres madame de Chasteaufort et Mme du Chatelard ; je vous prie de les bien saluer. Elles sont toutes deux fort affectionnees a nostre Visitation, et en seront, l'une par effect, comme je pense, estant libre, et l'autre d'affection, estant retenue par ses enfans. [164]

            Le bon M. de Guydeboys s'est fort lamenté d'estre demeuré despouillé, a ces deux cousins. Ne faites pas semblant que je vous en aye adverti, mays je seray bien ayse que vous justifiies vostre bonne intention pour luy, attendu quil est si proche de vostre feu mari.

            Au reste, ma pauvre tres chere Fille, entre les ennuys que vostre imagination vous fournit, jettes souvent vostre cœur entre les bras du cher Espoux nouveau ; attachés vous comme un'esclave d'amour au pied de sa sainte Croix, et souvienne vous que bienheureux sont ceux qui n'ont rien, pourveu qu'ilz ayent ce grand Tout hors lequel tout n'est rien pour nous.

            Si vous voules aller a Chamberi et y conduire le petit pour faire la reverence a M. le Marquis, peut [être] l'un de ces deux cousins fera bien l'office, ou avec vous ou sans vous, selon que vous aviseres.

            Ma tres chere Fille, je suis infiniment tout vostre. Nous parlons souvent, nostre Mere et moy, de vous ; ell'a un amour nompareil. Ce cousin va en intention de ne point voir M. le Comte ; je ne sçai si le sachant a moytié malade, cela luy fera point changer de dessein.

            De rechef, je vous salue de tout mon cœur, ma tres chere Fille, que je souhaite toute sainte en Nostre Seigneur.

            Le 1er mars 1616.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [165]

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MCLXXVI. A une dame. La meilleure saison pour la culture du cœur. — Gardons nos résolutions en cette vie mortelle, et elles nous conserveront en l'éternelle. — Conseils pratiques sur la fréquentation des Sacrements et les exercices de piété. — Faire l'aumône de sa propre main. — Conduite à tenir avec « ceux du logis. »

 

Annecy, 5 mars 1616.

 

            Ne pensés pas, je vous prie, ma tres chere Niece, ma Fille, que ç'ayt esté faute de souvenance ou d'affection si j'ay tant tardé a vous escrire ; car, a la verité, le bon desir que j'ay veu en vostre ame de vouloir servir fort fidellement Dieu, en a fait naistre un extreme dans la mienne de vous assister et ayder de tout mon pouvoir, laissant a part le devoir que je vous ay d'ailleurs et l'inclination que j'ay tous-jours eu pour vostre cœur, a cause de la bonne opinion que j'en ay des vostre plus tendre jeunesse.

            Or sus donq, ma chere Niece, il faut donq bien soigneusement cultiver ce cœur bienaymé et ne rien espargner de ce qui peut estre utile a son bonheur ; et quoy que en toute sayson cela se puisse faire, si est-ce que celle ci en laquelle vous estes est la plus propre. Ah, que c'est une rare grace, ma chere Fille, de commencer a servir ce grand Dieu tandis que la jeunesse de l'aage nous rend susceptibles de toutes sortes d'impressions, et que l'offrande est aggreable, en laquelle on donne les fleurs avec les premiers fruitz de l'arbre !

            Tenés tous-jours ferme au milieu de vostre cœur les [166] resolutions que Dieu vous donna quand vous esties devant luy aupres de moy ; car si vous les conservés en toute cette vie mortelle, elles vous conserveront en l'eternelle. Et pour non seulement les conserver, mays les faire heureusement croistre, vous n'aves pas besoin d'autres advis que ceux que j'ay donné a Philothee dans le livre de l'Introduction, que vous aves ; mais toutesfois, pour vous aggreer, je vous veux bien specifier en peu de paroles ce que je desire principalement de vous.

             1. Confessés vous de quinze en quinze jours pour recevoir le divin Sacrement de la Communion, et n'alles jamais ni a l'un ni a l'autre de ces celestes misteres qu'avec une nouvelle et tres profonde resolution de vous amender de plus en plus de vos imperfections, et de vivre avec une pureté et perfection de cœur tous-jours plus grande. Or, je ne dis pas que si vous vous treuves en devotion pour communier tous les huit jours, vous ne le puissies faire, et sur tout, si vous remarques que par ce sacré mistere vos inclinations fascheuses et les imperfections de vostre vie s'aillent diminuant ; mais je vous ay marqué de quinze en quinze jours affin que vous ne differies pas davantage.

            2. Faites vos exercices spirituelz courtement et fervemment, affin que vostre naturel ne soit point difficile a vous y rendre par l'apprehension de la longueur, et que, petit a petit, il s'apprivoyse avec ces actes de pieté. Par exemple, vous deves inviolablement faire tous les matins l'exercice du matin qui est marqué en l'Introduction. Or, pour le faire courtement, vous pourres en vous habillant remercier Dieu, par maniere d'oraysons jaculatoires, dequoy il vous a conservee cette nuict la, et faire encor le deuxiesme et le troysiesme point, non seulement en vous habillant, mays au lit ou ailleurs, sans difference de lieu ou d'actions quelcomques ; puis, tout aussi tost que vous pourres, vous vous mettres a genoux et feres le quatriesme point, commençant a faire cet eslan de cœur qui est marqué : « O Seigneur, voyla ce pauvre et miserable [167] cœur. » J'en dis de mesme de l'examen de conscience, que vous pouves faire le soir en vous retirant, par tout ou vous vous treuveres, pourveu qu'on face le troysiesme et quatriesme point a genoux, tandis qu'aucune maladie ne vous empesche.

            Ainsy, en l'eglise, oyés la Messe avec une contenance d'une vraye fille de Dieu, et plustost que de vous relascher de cette reverence, sortés de l'eglise et vous en retirés.

            3. Apprenés a faire souvent des oraysons jaculatoires et des eslancemens de vostre cœur en Dieu.

            4. Ayes soin d'estre douce et affable a tout le monde, mais sur tout dans le logis.

            5. Les aumosnes qui se font chez vous, soyent aussi faites par vous tous-jours, quand vous le pourres ; car c'est un grand accroissement de vertu que de faire l'aumosne de sa main propre, quand il se peut bonnement faire.

            6. Visités les malades de vostre bourgade fort volontier ; car c'est une des œuvres que Nostre Seigneur regardera au jour du jugement.

            7. Tous les jours lises une page ou deux de quelque livre spirituel pour vous tenir en goust et devotion, et les festes un peu davantage, qui vous tiendra lieu de sermon.

            8. Continués a beaucoup honnorer vostre beaupere, parce que Dieu le veut, le vous ayant donné pour second pere en ce monde ; et aymés cordialement le mary, luy rendant, avec une douce et simple bienveuillance, tout le contentement que vous pourres ; et soyés sage a supporter les imperfections de qui que ce soit, mais sur tout de ceux du logis.

            Je ne voy pas pour le present que j'aye a vous dire autre chose, sinon que lhors que nous nous reverrons, vous me dires comme vous vous seres conduitte en ce chemin de devotion ; et s'il y a quelque chose a adjouster, [168] je le feray. Vivés donq toute joyeuse en Dieu et pour Dieu, ma tres chere Fille, ma Niece, et croyes que je vous cheris tres parfaitement, et suis infiniment,        Madame,

Vostre plus humble oncle et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 5 mars 1616.

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MCLXXVII. A Madame de la Fléchère. Divers conseils pour l'administration des biens laissés par M. de la Fléchère — Paternels avis pour la vente de ses chevaux

 

Annecy, [vers le 6 ou le 7] mars 1616.

 

            Je pensois vous envoyer mon laquay demain, ma tres chere Fille, pour vous respondre a souhait sur vos trois dernieres lettres ; mays puisque ce garçon s'est presente, je m'en vay vous escrire sur tous les pointz que vous m'aves touchés.

            Quant a la façon avec laquelle vous vous deves comporter en l'administration des biens delaissés par feu monsieur vostre mari (que Dieu absolve), monsieur de Charmoysi m'a dit que vous en avies pris toutes les resolutions convenables, et que vous feries un inventaire non solemnel pour plus grand esclarcissement de vos droitz, affin qu'a l'advenir rien ne vous fut imputé. Et a cela, je ne sçaurois rien adjouster.

            Pour les deux cens pistoles que monsieur le Marquis [169] avoit promis de faire payer, M. de Vallon m'a dit quil vous instruiroit de ce que Son Excellence a respondu ; c'est a sçavoir, que maintenant il n'y a moyen, faute de finances. Pour moy, je croy quil faudra obtenir une lettre de Son Altesse qui ordonne que cette somme soyt payee, non obstant le deces de celuy a qui il l'avoit ouctroyee. Pour la paye du filz, je croy quil en faudra faire de mesme, car Son Excellence mesnage avec un soin et un' espargne nompareille l'argent du maistre.

            Sur ce point, il m'est venu en l'esprit d'ouvrir la lettre de M. de Vallon, et j'ay treuvé quil vous disoit du seigneur Roc ce que je vous allois escrire ; de sorte quil ne sera pas besoin que vous envoyies encor a Grenoble pour cela. Je dis a M. de Vallon que M. le Marquis d'Aix desiroit un des chevaux, et il me dit que la preference luy estoit deüe. Quant a M. de Saint Jeoire, sil vous asseure bien l'argent, je pense quil seroit bon de luy donner l'autre, car il sera difficile de treuver qui achette tout ensemble ; joint que ce sont chevaux vieux, ainsy qu'on m'a dit, et desquelz l'entretien coustera beaucoup : de sorte qu'a la premiere rencontre d'un prix raysonnable que vous en feres, il sera bon de les vandre. Le seigneur Roc ne pense pas de vous y pouvoir servir, Monseigneur de Nemours son maistre ne prenant des chevaux que grandement praetieux ; toutefois, il fait estat de vous aller voir au premier jour.

            Il n'y a eu nul poison en vostre cher mari, car [170] M. Faber, qui entend extremement bien et est homme de grande experience, m'en a fort asseuré ; de sorte quil vous faut oster toute sorte de soupçon et d'imagination pour ce regard, ma tres chere Fille. Nostre voyage sera court, et nous serons eternellement au Ciel et benirons Dieu.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCLXXVIII. A Don Juste Guérin, Barnabite. Nouvelles démarches auprès de la cour de Savoie pour l'établissement des PP. Barnabites à Thonon.

 

Annecy, 10 mars 1616.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            Nos bons Peres d'icy ont esté d'advis que je fisse une [171] recharge a Son Altesse et a Messeigneurs les Princes, pour les affaires de Thonon ; ce que je fay fort a propos, ce me semble, sur l'occasion que Monseigneur le Prince Cardinal m'a donnee de le remercier de l'advis qu'il m'a envoyé du bon commencement qu'il y a en la negociation faite pour la canonization du bienheureux Amé ; car, d'autant que ce bienheureux Prince naquit a Thonon, je prens sujet de recommander l'introduction des Peres en ce lieu-la. J'en fay de mesme avec Son Altesse et Monseigneur le Prince, me treuvant obligé de leur tesmoigner la joye que j'ay en l'esperance de cette canonization. [172]

            Que si vous mesme donnes les lettres, vous pourres adjouster que l'an passé, sur l'eminent danger auquel Thonon fut de la contagion, quand je dis a ce peuple la confiance qu'il devoit avoir aux prieres du bienheureux Prince, de la naissance duquel leur ville avoit esté honnoree, ilz en tesmoignerent tous un ressentiment et esperance extreme.

            Fratanto, me recommandant a vos oraysons et bonnes graces, je suis sans fin de tout mon cœur,

            Mon Reverend Pere,

Vostre tres humble et tres affectionné confrere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            10 mars 1616, Annessi.

 

Au R. P. en Nostre Seigneur,

            Le Pere D. Juste Guerini,

de la Congregation de Saint Paul.

            A [San] Dalmazzo. [173]

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MCLXXIX. Au Prince Cardinal Maurice de Savoie. Souhaits de l'Evêque de Genève pour la canonisation du bienheureux Amédée. — Confiance des peuples en l'intercession de ce glorieux Prince. — Les Barnabites à Thonon, moyen de donner un nouvel essor à la piété populaire.

 

Annecy, 10 mars 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Je loüe Dieu et benis son saint nom du bon acheminement qu'on a donné a la canonization du glorieux et bienheureux Amé. Nul, comme je pense, ne sçauroit desirer la perfection de ce saint project avec plus d'affection que moy, qui prevoy que tout ce peuple de deça en recevra une extreme consolation et un grand accroissement de devotion, mays specialement a Thonon, lieu de la naissance de ce saint Prince, ou l'annee passee, lhors des premieres apprehensions de la peste de Geneve, je remarquay un mouvement universel de confiance es intercessions de ce bienheureux ami de Dieu, lors que je leur representay le juste sujet qu'ilz en avoyent, pour lhonneur que leur air avoit eu d'avoir servi a la premiere respiration de ce grand Prince.

            Et pleut a Dieu, que le tressaint Pere eût esté supplié d'accorder une troysiesme Messe solemnelle, avec l'Indulgence pleniere, pour ce lieu la, car je m'asseure qu'en cette contemplation, Sa Sainteté l'eut volontier accordee. Mays puis que cela n'a pas esté fait, je veux esperer en la bonté et equité de Vostre Altesse, que nous ne serons pas laissés en oubli pour la distribution des medailles. [174]

            Et cependant, Monseigneur, je la supplie tres humblement d'embrasser fermement la protection de l'introduction des Peres Barnabites en la Sainte Mayson de ce lieu-la de Thonon et au prieuré de Contamine. Vostre Altesse fera sans doute en cela un'oeuvre grandement aggreable a la divine Majesté, et laquelle il me semble que le bienheureux esprit du glorieux Prince Amé luy recommande des le Ciel tres saintement ; estimant que, comme par ses prieres Dieu fortifia le cœur de Son Altesse pour establir la foy en ce lieu la, aussi, par ses merites, Dieu animera l'esprit de Vostre Altesse pour ayder efficacement a y bien establir la tressainte devotion par le moyen de ces bons Religieux, qui assisteront et arrouseront les vieux arbres affin quilz multiplient en fruitz de pieté, et esleveront les enfans comme jeunes plantes a ce que la posterité devance, s'il se peut, leurs prœdecesseurs, et sachent tant mieux reverer leur saint Prince Amé et obeir en toute sousmission au sceptre et a la coronne qu'il a laissé en sa serenissime Mayson, que Dieu veuille a jamais prosperer,

            Monseigneur, selon les souhaitz continuelz du

Tres humble et tres obeissant orateur

et serviteur de Vostre Altesse,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            X mars 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Hélène de Thiollaz, au château de Monpont, près Annecy. [175]

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MCLXXX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Double droit de Son Altesse sur Thonon. — Difficultés pour la remise du prieuré de Contamine aux PP. Barnabites

 

Annecy, 12 mars 1616.

 

            Monseigneur,

            Vostre Altesse ayme sans doute le pauvre Thonon ; aussi est il doublement sien, d'autant qu'elle en est le souverain Prince, et par ce qu'elle luy a donné une nouvelle vie par le soin paternel qu'elle eut de remettre tout ce peuple dans le sein de l'Eglise : obligation non seulement immortelle, mais eternelle, puisque elle regarde un bienfait qui doit durer es siecles des siecles.

            Or, Monseigneur, pour la perfection de ce saint ouvrage, Vostre Altesse me commanda, il y a environ un an, de procurer l'introduction des Peres Barnabites en ce lieu, et cela reuscit par le moyen de la remise que la Sainte Mayson fit du prieuré de Contamine auxditz [176] Peres. Mays despuis, sont survenues des difficultés que nul ne peut surmonter que la pieté et le cœur invincible de Vostre Altesse, que j'implore, en toute humilité sous la faveur du glorieux et bienheureux Prince Amé, [177] qui nasquit en ce lieu, de la canonization duquel j'augure toute sainte prosperité a la coronne de Vostre Altesse, delaquelle je suis infiniment,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            XII mars 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Boarelli di Verzuolo, à Saluces (Piémont). [178]

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MCLXXXI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Encore Contamine et les PP. Barnabites de Thonon.

 

Annecy, 12 mars 1616.

 

            Monseigneur,

            Je sçai que la charité et pieté de Vostre Altesse est bien ferme au projet que elle a pour l'introduction des Peres Barnabites a Thonon, a laquelle est attachee la conservation du prieuré de Contamine a la Sainte Mayson de ce lieu-la, pour l'usage et entretenement desditz Peres et de leur college. Neanmoins, puisque c'est mon devoir, je fay de rechef ma tres humble supplication a Vostre Altesse pour ces mesmes fins, luy ramentevant seulement que Thonon est le lieu de la naissance du bienheureux Amé, de la prochaine canonization duquel je me res-jouis [178] infiniment, præsageant en icelle beaucoup de tressaintes benedictions sur la coronne qu'il porta en ce monde et sous laquelle il alla si heureusement estre coronné en l'autre.

            Je fay tres humblement la reverence a Vostre Altesse, et suis immortellement,

            Monseigneur,

Son tres humble, tres-obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            XII mars 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCLXXXII. A Madame de la Fléchère. Solution d'un cas de conscience

 

Annecy, [vers le 10 ou le 15 mars] 1616.

 

            Vous pouves jurer, ma tres chere Fille, en saine conscience, puisque ce que vous dites est vrayement vostre et que les juges ne vous peuvent demander le serment que pour les choses laissees par le mary, qui sont a luy ; et vous n'estes aussi obligee de respondre que sur cela. Il n'y a point de difficulté en cela.

            Dieu vous benisse a jamais, ma tres chere Fille, et nostre Mere vous salue cherement. Vive Jesus ! Amen.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [179]

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MCLXXXIII. Au duc de Nemours, Henri de Savoie (Inédite). Hommage d'obéissance et souhaits de prospérité à l'occasion des fêtes pascales.

 

Annecy, 16 mars 1616.

 

            Monseigneur,

 

            La sainteté de ces jours prochains m'excite a renouveler les vœux de mon obeissance envers Vostre Grandeur, et ceux de mes foibles prieres a Dieu pour la conservation et prosperité de vostre personne, Monseigneur, vous suppliant tres humblement d'accepter l'une et l'autre offrande et le tesmoignage que j'en fay sur ce papier, comme venant d'un cœur qui est invariable en la fidelité avec laquelle il veut et doit vivre a jamais,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVI mars 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Orléans. [180]

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MCLXXXIV. A Don Juste Guérin, Barnabite (Inédite). Des lettres pour les Princes et une mission auprès du comte de Verrua confiées au destinataire

 

Annecy, 18 mars 1616.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            Je vous escris par le sieur Gilette, et ay mis avec cela trois lettres pour les Princes, en leur recommandant les affaires de Thonon et Contamine. Despuis, j'apprens que le prieuré de Contamine est tres propre et sera tres utile a plusieurs choses ; c'est pourquoy, plus tost que de le laisser eschapper, il seroit bon de tenter M. le Comte de Verrue, d'une petite pension jusques a cent pistoles.

            Cependant, estant merveilleusement hasté, je me recommande a vos saintes prieres et vous supplie, sil se [181] peut, de me faire recouvrer les livretz dont je vous ay ci devant escrit. Je suis, mon Reverend Pere,

Vostre plus humble, tres affectionné

confrere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVIII mars 1616, Annessi.

 

            Au R. Pere en N. S.,

Le P. D. Justin Guerini, de la Congregation de St Paul.

            St Dalmas. — Thurin.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Grand-Séminaire de Malines.

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MCLXXXV. Au Père Dominique de Chambery, Capucin. Démarches pour l'établissement des PP. Capucins à La Roche.

 

Annecy, 28 mars 1616.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            Le desir ardent de la ville de La Roche, tesmoigné par les lettres ci jointes, a esté longuement desiré par moy qui ay tous-jours creu que si vous avies un convent en ce lieu la, vous en auries autant de contentement que de nul autre que vous puissies avoir de deça, puisque l'air y est extremement bon, le voysinage fertile et abondant en force bons villages, au passage de Thonon en [182] cette ville, esloigné de quatre lieües de tout autre convent de mendians, et ou, en verité, j'ay reconneu le peuple extremement enclin a la devotion. J'adjouste le continuel commerce de ceux de Geneve, qui leur donnera commodité de s'edifier par la residence des bons Religieux qu'ilz y verront. Et en somme, de quel costé que je regarde ce dessein, je le treuve tout aymable, sans inconvenient et avec esperance de beaucoup de fruit.

            C'est pourquoy, contribuant mes vœux a ceux de ce bon peuple, je vous supplie, et les Peres de la Province, de vouloir accepter les bonnes volontés presentes et d'en moyenner les effectz par les voyes convenables, affin qu'au plus tost on voye reuscir ce projet, plus desiré qu'il ne se peut dire et, comme je pense, grandement desirable. A quoy la promptitude de la resolution sera fort utile, que, vous recommandant de rechef, je prie Dieu de favoriser, et de vous combler de bonheur selon les souhaitz, mon Reverend Pere, de

Vostre plus humble, tres affectionné confrere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII mars 1616, Annessi.

 

            Au R. Pere en N. S.,

Le P. F. Dominique de Chamberi,

            Vicecommissaire en la Province de la Mission.

            A Chamberi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Arestan, à La Roche (Haute-Savoie). [183]

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MCLXXXVI. A la Sœur de Blonay assistante et maitresse des Novices a Lyon (Fragment). La Visitation d'Annecy « racine petite, basse et profonde. »

 

Annecy, [janvier-mars] 1616.

 

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            Ma Fille, faites que cette lumiere vous serve pour toute vostre vie. Dites ce que vous aves veu, enseignés ce que vous aves ouÿ a Annessi. Helas ! cette racine est petite, basse et profonde ; mais la branche qui s'en separera perira sans doute, sechera et ne sera bonne que pour estre coupee et jettee au feu. [184]

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MCLXXXVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Remerciements au souverain, bienfaiteur de son peuple

 

Annecy, 1er avril 1616.

 

            Monseigneur,

 

            La charité et bonté que Vostre Altesse a tesmoignee envers ces bons peuples de deça, par le soin qu'elle a eu de faire reuscir les projetz de l'introduction de l'art de la soye en ces pais et des Peres Barnabites a Thonon, ne peut jamais estre asses dignement remerciee. Mays, a la faveur de la sainteté de ce jour, j'en fay neanmoins tres humblement la reverence et l'action de graces a Vostre Altesse, la suppliant de continuer sa dilection et protection sur cette province, en laquelle l'avancement de la gloire de Dieu est de si grande consequence et plein de merite pour Vostre Altesse, que sa divine Majesté face a jamais prosperer es benedictions que luy souhaite,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le Vandredi Saint 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [185]

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MCLXXXVIII. A M. Claude-Amédée Vibod. Le Duc autorise François de Sales à prêchera Grenoble. — Nouvelles explications au sujet des visites de prélats français à Annecy.

 

Annecy, 4 avril 1616.

 

            Monsieur,

 

            J'ay receu la lettre de Son Altesse, par laquelle elle tesmoigne d'aggreer que je face les sermons du Caresme venant a Grenoble, et ay veu par celle qu'il vous a pleu m'escrire, le soin que vous aves eü de lire ce que j'escrivois a sadite Altesse sur le sujet de la venue de Monseigneur l'Archevesque de Lyon en cette ville ; dont je vous rens graces, Monsieur, d'autant plus affectionnement et humblement, que ces bons offices n'ont origine que de vostre bonté et courtoysie, laquelle je vous supplie de vouloir exercer en toutes telles occasions qui m'arrivent plus souvent que je ne desirerois pas, plusieurs Praelatz de France me faysant l'honneur de m'aymer et de me vouloir visiter, encor qu'ilz ne me connoissent pas, ains peut estre par ce qu'ilz ne me connoissent pas.

            Mays, Monsieur, ce sont visites de simple pieté et affection spirituelle, n'ayant, graces a Dieu, jamais rien eu a demesler avec homme du monde, ni ne m'estant jamais meslé de chose quelcomque qui regarde les affaires seculieres. Et en verité, onques il ne m'est advenu d'avoir esté seulement essayé par homme qui vive, ni qui ayt esté, de ce costé lâ ; qui me rend d'autant plus estonné quand on me dit que les visites de ces seigneurs ecclesiastiques sont considerees comme suspectes, ne pouvant seulement deviner ni pourquoy ni en quoy, puisque mesme je suis en toutes façons savoyard, et de naissance et d'obligation, qui n'ay, ni n'eu jamais, ni pas un des [186] miens, ni office, ni benefice, ni chose quelcomque hors de cet Estat, et qui ay vescu tellement lié aux exercices ecclesiastiques, qu'on ne m'a jamais treuvé hors de ce train, et qui suis meshuy tantost envielly dans la naturelle et inviolable fidelité que j'ay voüee et juree a Son Altesse.

            Or, Monsieur, je vous donne la peine de lire tout ceci, affin que sil vous plait de me favoriser en ces occurrences, vous sachiés ces generalités de mes conditions, qui sont fondaments, comme je croy, bien solides pour bastir sur iceux les defenses dont j'auray besoin si ce malheur continue, qui m'a des-ja si souvent fasché, tous-jours sans ma coulpe, graces a Dieu, ainsy que le tems a fait voir, qui, de plus en plus, descouvrira l'invariable ingenuité et franchise que j'ay en mon devoir de sujettion naturelle envers la coronne sous laquelle je suis nay et nourri.

            Ces jours passés Monseigneur l'Archevesque de Bourges, estant a Nantua, vint icy me visiter et une seur Religieuse quil y a ; dequoy j'advertis soudain monsieur le Marquis de Lans, et je croy qu'il aura fait passer l'advis vers Son Altesse. Tout cela, Monsieur, sont offices d'amitié, de civilité et de pieté rendus a la bonne foy par ces Praelatz, et que je ne puis empescher par aucune sorte de legitime prætexte, puisque je n'oserois seulement penser de leur faire semblant de la peine que mon esprit a dequoy leur visite me fait regarder. Vostre charité, Monsieur, me protegera, sil luy plait, et je l'en conjure par celle de Nostre Seigneur, que je supplie vous estre propice et vous combler de ses benedictions, demeurant pour tous-jours,

            Monsieur,

Vostre tres humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            IIII avril 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [187]

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MCLXXXIX. Au duc de Nemours, Henri de Savoie. Demande d'une faveur pour un gentilhomme.

 

Annecy, 7 avril 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Je joins ma tres humble supplication a celle que monsieur le baron de Vilette vous va faire, puisque celuy le bien duquel elle regarde est egalement mon parent comme a luy. Vostre Grandeur jugera bien que je voudrois avoir un plus aggreable sujet d'implorer sa bonté ; mays puisque celluy ci me presse, je ne laisse pas de me confier en elle que je ne seray pas esconduit, selon lhonneur que j'ay d'estre avoué,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VII avril 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, Archives de l'Archevêché. [188]

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MCXC. A Madame de Bressieu (Inédite). Une affaire sur le point de se terminer. — Céder aux conseils des amis.

 

Annecy, 7 avril 1616.

 

            Madame ma tres chere Seur,

 

            Je receu l'autre jour une lettre de monsieur le Marquis d'Aix, par laquelle il me dit que le sieur Charriere se resoult a vous rendre toutes les satisfactions possibles, telles qu'elles seront advisees par ceux qui prendront la peine de vouloir terminer l'affaire ; et que sur cela, il vous avoit fait prier de vouloir ouïr les propositions, selon que je luy avois fait entendre que vous les ouïries, et feries ce que vos principaux parens et amis vous conseilleroyent ; qui est, a mon advis, ce que nous resolusmes lhors que nous eusmes le bien de vous voir. Je vous supplie donq qu'il vous playse faire ainsy, puisque vous ne pouves jamais faillir de vous rapporter a vos amis, et que cela obligera quantité de personnes a croire de vostre cœur beaucoup de bien et les contentera. [189]

            Je pars, et vous escris ces quatre motz le pied a l'estrier, mais vous jugeres bien que c'est avec l'affection,

            Madame, ma tres chere Seur, de

Vostre plus humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VII avril 1616.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Alexis Vollon, peintre collectionneur, à Paris. [190]

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MCXCI. A la Mère de Chantal (Fragment). Quelles amitiés sont indépendantes des distances et des séparations

 

Annecy, [7 avril 1616.]

 

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            Au demeurant, ma tres chere Mere, demeurés avec la paix et consolation de Nostre Seigneur ; et moyennant sa grace, dans huit jours au fin plus tard je seray icy, d'ou pourtant je ne penseray jamais sortir tandis que Dieu m'y tiendra en moy mesme. Vous mesme, ma tres chere Mere, sçavés bien que la sainte unité que Dieu a faite est forte plus que toute separation, et que les distances des lieux n'ont point de pouvoir sur elle. Ainsy, Dieu vous benisse a jamais de son saint amour. C'est un cœur qu'il nous a fait, unique en esprit et en vie.

            Bon jour, ma tres chere Mere ; conserves moy, je vous supplie, et je vous conserveray bien, Dieu aydant. [190]

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MCXCII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Retour d'un voyage en Chablais. — Mort du comte de Tournon. — Deux sortes de bons désirs : ceux qui sanctifient l'âme et ceux qui remplissent l'enfer ; comment les distinguer. — Méthode très simple pour la méditation des mystères de la Vie de Notre-Seigneur. — Salutations affectueuses

 

Annecy, 17 avril 1616.

 

            Je revins hier de Chablaix, ma tres chere Fille, ou, graces a Dieu, j'ay laissé les Peres Barnabites establiz, selon le commandement de Son Altesse et du Prince Cardinal. Demain je vay consoler madame la Comtesse de Tornon sur le trespas de son mari, y estant obligé par le parentage qui est entre nous et par les obligations que j'ay a la memoire du decedé. C'est pour vous dire, ma tres chere Fille, que je vous escris sans loysir, et neanmoins je vous veux respondre aux deux questions que vous m'aves faites ci devant, car je voy bien que pour neant j'attens les commodités de mieux faire, puisque je suis destiné au continuel accablement du tracas.

            Ma tres chere Fille, il y a deux sortes de bons desirs : l'une, de ceux qui augmentent la grace et la gloire des serviteurs de Dieu ; l'autre, de ceux qui n'operent rien. Les desirs de la premiere sorte s'expriment ainsy : Je desirerois de faire, par exemple, l'aumosne, mais je ne la fay pas, par ce que je n'ay pas dequoy. Et ces desirs accroissent grandement la charité et sanctifient l'ame ; ainsy desirent les ames devotes le martire, les opprobres et la croix, quilz (sic) ne peuvent neanmoins obtenir. [191]

            Les desirs de la seconde sorte s'expriment ainsy : Je desirerois de faire l'aumosne, mais je ne la veux pas faire. Et ces desirs ne sont pas empeschés par l'impossibilité, mais par la lascheté, tiedeur et defaut de courage ; c'est pourquoy ilz sont inutiles et ne sanctifient point l'ame, ni ne donnent nul accroissement de grace : dont saint Bernard dit que l'enfer en est plein.

            Il est vray que pour l'entiere resolution de vostre difficulté il faut que vous remarquies quil y a des desirs qui semblent estre de la seconde sorte, qui sont toutefois de la premiere, comme au contraire il y en a qui semblent estre de la premiere et sont de la seconde. Par exemple, nul serviteur de Dieu ne peut estre sans ce desir : O que je desirerois bien de mieux servir Dieu ! helas ! quand le serviray-je a souhait ? Et par ce que nous pouvons tous-jours aller de mieux en mieux, il semble que les effectz de ces desirs ne sont empeschés que faute de resolution ; mays il n'est pas vray, car ilz sont empeschés par la condition de cette vie mortelle, en laquelle il ne nous est pas si aysé de faire que de desirer. C'est pourquoy ces desirs en general sont bons et rendent meilleure l'ame, l'eschaufant et affectionnant au progres.

            Mays quand en particulier il se presente quelque occasion de profiter, et en lieu d'en venir a l'effect on en demeure au desir, comme par exemple : il se presente occasion de pardonner une injure, de renoncer a la propre volonté en quelque particulier sujet, et en lieu de faire ce pardon ou renoncement, je dis seulement : Je voudrois bien pardonner, mais je ne sçaurois ; je voudrois bien renoncer, mais il ny a moyen ; qui ne void que ce desir est un amusement, ains quil me rend plus coulpable d'avoir une si forte inclination au bien et ne la vouloir pas effectuer ? Et ces desirs ainsy faitz semblent estre de la premiere sorte, et sont de la seconde.

            Or, maintenant il vous sera aysé de vous resoudre, comme je croy ; que sil vous reste quelque difficulté, escrives-la moy, et tost ou tard je vous respondray de tout mon cœur, qui est certes tout vostre, ma tres chere Fille. [192]

            Celles qui sont tendres des imaginations messeantes, es meditations de la Vie et de la Mort du Sauveur, doivent, tant qu'elles peuvent, se representer les misteres simplement par la foy, sans se servir de l'imagination. Par exemple : Mon Sauveur a esté crucifié, c'est une proposition de la foy ; il suffit que je l'apprehende simplement, sans m'imaginer comme son cors pendoit sur la croix. Et lhors que les imaginations deshonnestes veulent naistre, il faut se revancher et destourner par des affections procedantes de la foy. O Jesus crucifié, je vous adore, j'adore vos tormens, vos peines, vostre travail ! Vous estes mon salut. Car, ma tres chere Fille, de vouloir pour ces sales representations quiter la meditation de la Mort et Vie de Nostre Seigneur, ce seroit faire le jeu de l'ennemi, qui tasche par ce moyen de nous priver de nostre plus grand bonheur. Il faut donq gauchir et se destourner ainsy par le moyen de la simple foy.

            En verité, j'escris sans haleine, mais vous suppleeres par vostre douceur. J'escriray un'autre fois a ma Seur Peronne Marie et puis a ma Seur Marie Aymee, et ce pendant je salue leur dilection, que je prie de me bien recommander a Nostre Seigneur, comm'aussi ma Seur Françoise Hieronime et toutes les autres Seurs que je cheris extremement en la Croix du Sauveur. Je salue monsieur l'Aumosnier et suis tout sien.

            A Dieu, ma tres chere Fille, a Dieu soyons nous eternellement pour l'aymer et benir sans cesse.

            Annessi, le 17 avril 1616.

 

            Je salue humblement M. de Saint Nizier, et le R. P. Philippe ; et vous prie, quand vous verres le [193] R. P. Recteur, de l'asseurer de ma tres humble et sincere affection. Je salue mesdames Vulliat et Colin.

 

A ma tres chere Fille en N. S.,

            Ma Seur Marie Jaqueline Favre,

            Superieure de Ste Marie.

            A Lion.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Boissat, à Albens (Savoie).

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MCXCIII. A Madame de la Fléchère. Affaires et nouvelles diverses. — Réclamations de créanciers ; comment les supporter. — Quel ordre suivre dans le paiement des dettes. — Projet de séjour à Annecy pour Mme de la Fléchère

 

Annecy, 21 avril 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous escris emmi les affaires du Sinode, c'est a dire precipitamment. Je fus lundi voir Mme la Comtesse, marri de n'y treuver que ma chere filleule de chez vous. J'escriray ce soir a M. Bonfilz, par le seigneur [194] Roc, du sujet que vous desires, et parleray a M. de Monregard si tost que je pourray le voir. M. de Galles, medecin de Sessel, m'a envoyé la lettre ci jointe que vous verres, comme aussi M. Guydeboys cett'autre.

            Ma tres chere Fille, il n'y a remede, il faut a ce commencement estre accablee de demandes et souffrir qu'on se plaigne rudement de vous. Mays il se faut garder, tant que vous pourrés, de contrister personne par vos responses, ains il faut tascher de rendre rayson a un chacun des refus ou retardemens que vous estes contrainte de faire. Et quant aux effectz, il faut s'essayer de payer premierement les dettes privilegiés, comme je pense estre celuy des medecins, qui, comme mercenaires, demandent leurs gages, entant quil se treuvera deu. En somme, ma Fille, croyes que je compatis avec vous, et me semble que quand vous aves du mal je l'ay avec vous. Un peu de patience surmontera tout.

            M. de Charmoysi est d'advis que vous venies faire vostre sejour en cette ville, et dit quil vous le signifia lhors quil vous vit, tant pour estre plus pres du filz, que pour avoir meilleur et plus promt advis es occurrences de vos affaires. Vous pouves penser si ce seroit mon inclination ; mays a loysir nous en resoudrons. [195]

            Pour maintenant, Dieu vous benisse, ma tres chere Fille. Vive Jesus ! Amen.

            XIX avril 1616.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCXCIV. A la même. Etre douce et civile envers les solliciteurs. — M. Guidebois et ses Bulles

 

Annecy, 22 avril 1616.

 

            Ce matin le sieur Roch est parti de cette ville, ma tres chere Fille, et j'ay escrit par luy a M. Bonfilz, qui est a Lagnieu, pour vostre affaire, puisqu'il n'y a pas apparence de le voir si tost, et ledit sieur Roch m'a dit quil y contribueroit son credit.

            Il faut tenir bon en la douceur et cordiale civilité envers ceux qui demandent, et Dieu vous assistera et fera que vos affaires se demesleront honnestement et plus tost que vous ne sçaures esperer. Quand le sieur Guydeboix aura ses Bulles, vous accommoderes le reste, non pas aysement, mais tout bellement, selon vostre promesse, et on le rendra capable. Je pense que vous aves bien fait de vandre le cheval, car c'est une dangereuse garde. [196]

            Vivés tous-jours toute a Nostre Seigneur, ma tres chere Fille, et me tenes pour tout vostre en luy, car je le suis plus que vous ne sçauries dire. Vive Jesus ! Amen.

            XXII avril.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCXCV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Requête contre Scaglia, le prétendant de Contamine

 

Annecy, 26 avril 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Les graces que la bonté de Vostre Altesse nous a faites me donnent confiance d'en requerir tous-jours des nouvelles, puisque mesme elles tendent toutes a la gloire de Dieu, que vostre pieté ne se lasse jamais de servir et accroistre. Les Peres Barnabites sont establiz a Tonon ; reste de les y conserver, et pour cela il est requis que le prieuré de Contamine, sur lequel leur entretenement est principalement assigné, soit mis en asseurance pour eux et delivré de la conteste que le seigneur Abbé Scaglia en fait ; ce que la prudence de Vostre Altesse fera fort aysement par les moyens convenables. [197]

            Dieu soit a jamais au milieu du cœur de Vostre Altesse pour le remplir de benedictions, et je suis invariablement,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres fidele et tres obeissant

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVI avril 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCXCVI. A un gentilhomme (Minute inédite). Un Mémoire dont on doit ignorer l'auteur. — La vie toute sainte et édifiante des Religieuses de la Visitation. — Pourquoi François de Sales n'a pas publié les Indulgences déjà obtenues en leur faveur ; celles qu'il désire. — La pension de M. Desplans. — Réveil de la contagion à Genève.

 

Annecy, 27 avril 1616.

 

            Molto Illustre Signore mio osservandissimo,

 

            Mando a V. S. il Memoriale circa il modo di procurare la conversione delli heretici che a me pare convenevole ; ma presupone in ogni modo che i Principi siano in [198] pace, et per questo non è tempo di proponerlo adesso, et pregho V. S. che mai si sappia che da me sia uscito tale Memoriale. Ma con V. S. tratto con tutta fiducia, chè io non vorrei celarle cosa veruna, perchè se ben io non l'ho conosciuta in faccia, tuttavia so che il suo zelo verso la religion catholica è tanto puro, che io non posso dubitar della sua carità. Et sopra questo fundamento, vengho a supplicar V. S. molto Illustre che si degni aiutar, anzi far un'opera pia quale io desidero molto et laquale io non so come fare riuscire, non essendo più che tanto conosciuto in quella Corte. Il negotio non è grande in se, ma, per quanto mi vien detto, non lascia d'esser difficile.

            Habbiamo qui in questa città d'Annessi una devotissima et veramente santissima Congregatione di donne, vedove et vergini, lequali la maggior parte sono nobilissime, et non solamente savoyarde, ma ancora di Borgogna et di Francia. Vivono tutte insieme et in commune, sotto l'ubidientia di una Superiora che esse eleggono ogni terzo [199] anno ; osservano quella obedientia strettamente, fanno ogni giorno l'oratione mentale, fanno visitare et aiutare, per alcune deputate, le povere donne malate della città, con una carità incredibile. Hanno una gentilissima chiesa attaccata alla loro casa, et hanno un coro interiore nel quale ogni giorno cantano l'Officio della Madonna Santissima, con un canto tanto pio et suave, che mettono in devotione ognuno che le sente. Et fra le altre cose usano questa carità, che ricevono nella loro Congregatione le donne che per debolezza di complessione et infermità corporali non possono entrare nelle altre Religioni, purchè habbiano la mente buona et il cuor sincero. Et posso dire in verità che sono di buonissimo odore a tutti, et etiandio alli heretici, che vedendo o vero sapendo come vivono in quella Casa, confessano che tal vita non può essere se non dal Spirito Santo. Et esse pregano particolarmente per la santa Chiesa et per la conversione delli heretici.

            Hora, furono concesse dalla Santità di Nostro Signore alcune Indulgenze a queste Signore et Sorelle, le [200] quali però io non ho voluto che fossero pubblicate, poichè mi è parso che tali Indulgenze siano state concesse come se questa Congregatione fosse una Società, Confraternita, overo Compagnia di donne che vivessero ognuna in casa sua ; il che non è vero, perchè vivono insieme con tanta osservanza religiosa, che non si può nè anco col pensiero imaginare una osservanza più pura et perfetta nella castità, ubedientia et povertà in commune. Et dico in commune, perchè non mendicano nè direttamente, nè indirettamente, anzi vivono di quello che apportano seco.

            Onde adesso desiderando io di farli havere l'Indulgenze conforme all' Instituto loro, non so chi adoprare se non la carità di V. S. molto Illustre, la quale, dove bisognasse, potrà se gli piace farne anco particolar supplica a Nostro Signore, acciò si degni favorire detta Congregatione. Et per questo mando a V. S. la copia dell' Indulgenze che io non ho voluto far pubblicare et la copia dell'Indulgenze che si desiderano, con un Memoriale dell'instituto di questa Casa pia, acciò sappia ogni cosa che a questo negotio sarà necessaria ; dove poi aggiungo [201] un articolo che è importante. Et è che questa Congregatione non havendo i tre voti solenni di ubedientia, castità et povertà, quantunque osservi queste tre virtù strettissimamente, per questo non è una Religione formata, anzi una Congregatione di Oblate. Et forse che Sua Santità haverebbe a piacere che se ne facesse una Religione formata, con obbligo alla clausura secondo l'ordine dato dal Concilio di Trento ; et questo sarebbe a me facilissimo da fare, purchè Sua Santità si contentasse che le cose passassero secondo il Memoriale.

            Hora, che cosa dirà V. S. che io con tanta fiducia vado adoprando la carità sua ? Dica pur, se gli piace, che charitas omnia sustinet, omnia facit et omnia sperat.

            Ho poi sino adesso ricevuti li 75 ducatoni mandati per il signore Desplans, et quando havrò ricevuti li altri [202] 25, mandarò un certificato della ricevuta delli 100 et del sborso che io n'havrò fatto.

            Io mi smenticavo che io scrivo all' Illustrissimo Cardinal Bellarmino et si scrive anco dalli nostri Padri Barnabiti al Procurator generale dell' Ordine loro, acciò, dove fosse bisogno, aiutassero il negotio di quelle Indulgenze ; et spero che la Serenissima Infante Duchessa di Mantova farà scrivere all' Imbasciatore di Sua Altezza acciò faccia anche egli ufficio, essendo essa molto affettionata a detta Congregatione. Et a V. S. s'invieranno tutte le lettere acciò le impieghi secondo che vederà esser necessario.

            Et faccio tutte queste diligentie, perchè essendo costì il [203] signor Philippo de Quoex, che ottenne dette Indulgenze, egli ci scrisse che era cosa difficilissima di ottenere Indulgenze in altro modo ; sebbene io non vedo che vi sia causa veruna legitima di tante difficoltà, poichè se si concedono liberamente Indulgenze alle Compagnie pie, molto maggiormente si dovranno concedere ad una Congregatione di tanta perfettione.

            La peste è di nuovo svegliata nella città di Geneva et tutto il paese vicino sta benissimo, parendo che Iddio voglia castigare quel populo, nemico del suo santo nome et servitio. Utinam castigatio det intellectum !

            Et con questo, pregando sua divina Maestà che a V. S. molto Illustre dia ogni vera felicità, resto eternamente

Suo divotissimo et humile servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli XXVII d'Aprile 1616.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [204]

 

 

 

            Mon très Illustre et très honoré Seigneur,

 

            J'envoie à Votre Seigneurie le Mémoire touchant le mode qui me semble plus convenable pour obtenir la conversion des hérétiques ; toutefois, comme il présuppose de toute façon que les princes jouissent [198] de la paix, ce n'est pas le moment de le proposer : aussi, je vous demande que jamais personne ne sache que ce Mémoire est venu de moi. Mais avec Votre Seigneurie je traite en toute confiance, je ne voudrais rien vous céler ; car, bien que je ne vous connaisse pas personnellement, votre zèle pour la religion catholique est si pur que je ne puis douter de votre charité. Sur ce fondement, je viens supplier Votre très Illustre Seigneurie qu'elle daigne aider, voire même accomplir une œuvre de piété que je désire beaucoup, sans néanmoins savoir comment la faire réussir, n'étant guère connu en cette Cour. La chose n'est pas considérable en soi, mais à ce que l'on me dit, elle ne laisse pas d'être difficile.

            Nous avons en cette ville d'Annecy une très dévote et vraiment très sainte Congrégation de femmes, veuves et vierges, qui pour la plupart sont de très noble extraction, non seulement de la Savoie, mais encore de Bourgogne et de France. Elles vivent toutes ensemble et en communauté, sous l'obéissance d'une Supérieure élue par elles tous les trois ans ; observent strictement cette obéissance, s'adonnent [199] chaque jour à l'oraison mentale, font visiter et secourir avec une charité incroyable, par quelques-unes d'entre elles, les pauvres femmes malades de la ville. Une gracieuse église est attenante à leur maison, avec un chœur intérieur, où elles chantent chaque jour l'Office de la Très Sainte Vierge d'un air si pieux et si doux, qu'elles donnent de la dévotion à tous ceux qui les entendent. Entre autres choses, la Congrégation pratique cette charité, de recevoir les femmes qui, pour la faiblesse de leur complexion ou pour des infirmités corporelles, ne peuvent entrer dans les autres Ordres, pourvu qu'elles aient l'esprit bon et le cœur sincère. En vérité, je puis dire qu'elles sont de très bonne édification pour tous et pour les hérétiques eux-mêmes, lesquels, voyant ou sachant comment elles vivent en cette Maison, confessent que leur genre de vie ne peut venir que de l'Esprit-Saint. Aussi prient-elles particulièrement pour la sainte Eglise et pour la conversion des hérétiques.

            Or, Sa Sainteté a accordé à ces Dames et Sœurs certaines Indulgences, que je n'ai cependant pas voulu faire publier, parce qu'il [200] m'a semblé qu'elles avaient été concédées comme si cette Congrégation eût été une Association, Confrérie ou Compagnie de femmes vivant chacune dans sa maison ; ce qui n'est pas, car elles demeurent au contraire toutes ensemble, avec une observance religieuse telle, qu'on ne saurait, même par la pensée, imaginer une fidélité plus pure et parfaite en chasteté, obéissance et pauvreté qui réduit tout en commun. Et je dis en commun, parce qu'elles ne mendient point, ni directement ni indirectement, mais vivent de ce qu'elles apportent en entrant.

            Je désire donc maintenant leur faire avoir des Indulgences conformes à leur Institut ; mais je ne sais qui employer pour cela, sinon la charité de Votre très Illustre Seigneurie, qui pourra, si bon lui semble, adresser même une supplique particulière au Saint-Père, pour qu'il daigne favoriser cette Congrégation. Dans ce but, je vous envoie une copie des Indulgences que je n'ai pas voulu faire publier et une copie de celles qu'on souhaite, avec un Mémoire de la fondation de cette pieuse Maison, afin que vous sachiez tout ce qui sera requis en cette affaire. J'ajoute encore un point très important : cette [201] Congrégation, n'ayant pas les vœux solennels d'obéissance, chasteté et pauvreté, bien que ces trois vertus s'y observent strictement, n'est pas un Ordre religieux formel, mais une Congrégation d'Oblates. Sa Sainteté aimerait peut-être qu'on en fît un Ordre religieux, avec l'obligation de la clôture selon les prescriptions du Concile de Trente ; cela me serait très facile, pourvu qu'Elle voulût bien agréer que les choses fussent déterminées suivant le Mémoire.

            Mais, que direz-vous, Monsieur, de ce que j'emploie votre charité avec tant de confiance ? Dites hardiment, s'il vous plaît, que la charité supporte tout, fait tout et espère tout.

            J'ai reçu jusqu'ici les soixante-quinze ducatons pour M. Desplans ; [202] lorsque j'aurai reçu les vingt-cinq autres, j'enverrai une attestation de la réception et du déboursement que j'aurai fait de ces cent ducatons.

            J'oubliais de dire que j'écris à l'Illustrissime Cardinal Bellarmin et que nos Pères Barnabites écrivent également au Procureur général de leur Ordre, afin que, s'il en était besoin, ils aidassent pour l'affaire des Indulgences. J'espère aussi que la Sérénissime Infante, duchessse de Mantoue, qui affectionne si fort la Congrégation, fera écrire à l'ambassadeur de Son Altesse de s'employer dans le même but. Toutes ces lettres seront envoyées à Votre Seigneurie pour qu'elle les utilise selon qu'elle le jugera nécessaire.

            Je prends toutes ces mesures parce que M. Philippe de Quoex, [203] qui obtint ces Indulgences, nous manda de Rome qu'il était très difficile d'en obtenir d'autre façon. Cependant, je ne vois pas qu'il y ait une cause légitime pour soulever ces difficultés ; car, puisqu'on accorde si libéralement des Indulgences aux Associations pieuses, à plus forte raison devra-t-on les concéder à une Congrégation d'une si grande perfection.

            La peste s'est de nouveau réveillée à Genève, tandis que tout le pays avoisinant n'est nullement atteint ; aussi semble-t-il que Dieu veuille châtier ce peuple, ennemi de son saint nom. Ah ! si du moins le châtiment lui donnait l'intelligence !

            Sur ce, priant la Majesté divine de combler Votre très Illustre Seigneurie de tout vrai bonheur, je demeure à jamais

Son très dévoué et humble serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le 27 avril 1616. [204]

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MCXCVII. A la Sœur de Blonay maitresse des Novices a la Visitation de Lyon. Parallèle entre la vie selon l'esprit et la vie selon le sens humain

 

Annecy, [fin avril ou commencement de mai] 1616.

 

            Qu'il est bien raysonnable, ma tres chere Fille, que je vous escrive un peu ; et que je le fay de bon cœur ! Pleust a Dieu que j'eusse l'esprit necessaire a vostre consolation.

            Vivre selon l'esprit, ma bienaymee Fille, c'est penser, parler et operer selon les vertus qui sont en l'esprit, et non selon les sens et sentimens qui sont en la chair. De ceux ci il s'en faut servir, il les faut assujettir, et non pas vivre selon iceux ; mais ces vertus spirituelles, il les faut servir et leur faire asservir tout le reste.

            Mays, que sont ces vertus de l'esprit, ma chere Fille ? C'est la foy, qui nous monstre des verités toutes relevees au dessus des sens ; l'esperance, qui nous fait aspirer a des biens invisibles ; la charité, qui nous fait aymer Dieu plus que tout et le prochain comme nous mesmes, d'un amour non sensuel, non naturel, non interessé, mays d'un amour pur, solide et invariable, qui a son fondement en Dieu.

            Voyes vous, ma Fille, le sens humain appuyé sur la chair fait que maintes fois nous ne nous abandonnons pas asses entre les mains de Dieu, nous estant advis que, puisque nous ne valons rien, Dieu ne doit tenir conte [205] de nous, parce que les hommes qui vivent selon la sagesse humaine mesprisent ceux qui ne sont point utiles ; au contraire, l'esprit appuyé sur la foy s'encourage emmi les difficultés, parce qu'il sçait bien que Dieu ayme, supporte et secourt les miserables, pourveu qu'ilz esperent en luy. Le sens humain veut avoir part en tout ce qui se passe, et il s'ayme tant, qu'il luy est advis que rien n'est bon s'il ne s'en est meslé ; l'esprit, au contraire, s'attache a Dieu et dit souvent que ce qui n'est pas Dieu ne luy est rien, et comme il prend part aux choses qui luy sont communiquees, par charité, aussi quitte-il volontier sa part es choses qui luy sont celees, par abnegation et humilité.

            Vivre selon l'esprit, c'est aymer selon l'esprit ; vivre selon la chair, c'est aymer selon la chair, car l'amour est la vie de l'ame, comme l'ame est la vie du cors. Une Seur est bien douce et aggreable, je la cheris tendrement ; elle m'ayme bien, elle m'oblige fort, et je l'ayme reciproquement pour cela : qui ne void que je l'ayme selon les sens et la chair ? car les animaux, qui n'ont point d'esprit et n'ont que la chair et les sens, ayment leurs bienfaiteurs et ceux qui leur sont doux et aggreables. Une Seur est rude, aspre, incivile, mays, au partir de la, elle est tres devote et mesme desireuse de s'adoucir et civiliser ; et je fay tout, non pour playsir que j'aye en elle ni pour interest quelcomque, mays pour le bon playsir de Dieu ; je la cheris, je l'accoste, je la sers, je la caresse : cet amour est selon l'esprit, car la chair n'y a point de part.

            Je suis une pauvre chetifve cadette qui, par ma condition naturelle, suis craintifve, honteuse et desfiante de moy mesme, et pour cela, je voudrois bien qu'on me laissast vivre selon cette inclination, a part, parce qu'il faut faire beaucoup de violence a cette honte impertinente que j'ay et a cette crainte superflue. Qui ne void que ce n'est pas vivre selon l'esprit ? Non certes, ma chere Fille, car tandis que j'estois encor bien jeune et [206] n'avois pas encor d'esprit je vivois des-ja ainsy ; mais, quoy que selon mon naturel je sois honteuse, craintifve, apprehensifve comme une taupe, neanmoins je me veux essayer de surmonter ces passions naturelles, et, petit a petit, faire tout ce qui appartient a la charge que l'obeissance procedante de Dieu m'a imposee. Qui ne void que c'est vivre selon l'esprit ?           

            Ma chere Fille, vivre selon l'esprit, c'est faire les actions, dire les paroles et faire les pensees que l'esprit de Dieu requiert de nous. Et quand je dis faire les pensees, j'entens des pensees volontaires. Je suis triste, et partant je ne veux pas parler : les charretiers et les perroquetz font ainsy ; je suis triste, mais puisque la charité requiert que je parle, je le feray : les gens spirituelz font ainsy. Je suis mesprisee et je m'en fasche : si font bien les paons et les singes ; je suis mesprisee et je m'en resjouis : les Apostres faisoyent ainsy. Vivre donq selon l'esprit, c'est faire ce que la foy, l'esperance et la charité nous enseignent, soit es choses temporelles, soit es choses spirituelles.

            Vives donq toute selon l'esprit, ma tres chere Fille, demeures doucement en paix. Soyes toute asseuree que Dieu vous aydera, reposes vous en toute occurrence entre les bras de sa misericorde et bonté paternelle. Dieu soit a jamais vostre tout, et moy je suis en luy tout vostre, vous le sçaves bien.

            Monsieur vostre pere se porte bien et tout ce qui vous appartient selon le sang ; ainsy en soit il de ce qui vous appartient selon l'esprit. Amen. [207]

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MCXCVIII. A M. Michel Favre. L' auteur du Traitté de l'Amour de Dieu réclame humblement l'examen de son ouvrage.

 

Annecy, commencement de mai 1616.

 

            Monsieur Michel, mon Ami,

 

            Vous remettres nos pauvres cahiers aux pieds de [208] Monseigneur l'Archevesque, s'il est au lieu et en loysir, et s'il veut s'appliquer a cette lecture ; sinon, vous les remettres entre les mains de monsieur de Ville, docteur en sainte theologie, deputé pour l'approbation des livres. Et par son advis, vous presenteres ces cahiers a monsieur Meschatin la Faye, vicaire general en l'archevesché de Lion, et a d'autres Docteurs ; car, comme je me connois et suis tres fautif, et que j'ay peu [209] de loysir pour revoir mes petitz ouvrages, certainement je desire et supplie tres instamment qu'ilz soyent veus a loysir et charitablement examinés par les doctes serviteurs de Dieu.

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. de l'Année Sainte,

conservé à la Visitation d'Annecy.

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MCXCIX. A la Mère de Chantal. Un malade qui suivra les ordonnances de la Mère de Chantal

 

Annecy, [12 ou 13] mai 1616.

 

            Bon soir, ma tres chere Mere. Tenes, voyla des lettres venantes de Lion ; sil y a chose qui merite, vous m'en feres part.

            Je me porte fort bien, ne sentant ni mal ni chose qui le ressemble ; seulement, je me treuve tellement sans appetit, que n'ayant pris qu'un petit bouillon, je voudrois volontier ne rien prendre davantage aujourdhuy, me reservant toutefois de faire ce que ma chere Mere voudra, laquelle je conjure au nom de Dieu, qui sçait bien que je ne mens point, de ne point se mettre en peine de moy, car je me sers (sic) le mieux du monde, hors ce reume qui me fait tousser quelquefois.

            Bon soir donq, ma tres chere Mere, a qui je suis certes, comm'elle sçait, tout parfaitement elle mesme. Vive Jesus ! Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Roussy de Sales,

à Thorens-Sales (Annecy). [210]

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MCC. A Madame de la Fléchère. Un paiement à obtenir. — Comment aider une âme tentée contre sa vocation

 

Annecy, 15 mai 1616.

 

            Je vous escris sans loysir, seulement pour vous dire, ma tres chere Fille, que j'ay receu vos lettres. Si vous venés pour toute cette semaine, ou du moins parmy les festes, je pense que vous treuveres M. Bonfilz ; si moins, il me faudroit envoyer la cedule, et je verrois si je pourrois tirer le payement que vous desirés.

            Nous parlerons, si vous venes, de la chere fille. Helas, que je la regrette si elle se laisse emporter a cette bouffee de tentation ! Mays il ne se faut pas haster, ains il luy faut, sil se peut, laisser autant rouler dans son ame la tentation avant que de l'advoüer, comme on luy a laissé ruminer l'inspiration avant que de la recevoir ; et faut en cela user de charité et de dexterité a ne faire pas semblant de se desfier de sa perseverance. Des plus grans courages que le sien ont esté esbranlés en pareilles occasions ; je ne treuve nullement estrange cette petite atteinte. Dieu fera son ouvrage et en fin, avec sa grace, nous le servirons tous un jour fidelement.

            Je suis, ma tres chere Fille,

Vostre plus affectionné, plus humble, fidele

serviteur et compere.

            XV may 1616.

 

            A Madame

Madame de la Fleschere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [211]

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MCCI. A la Mère de Chantal (Inédite). Le saint Evêque rassure sa fille spirituelle au sujet de sa santé

 

Annecy, 14-16 mai 1616.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Vous series bien brave si vous esties un peu bien paysible et bien douce sur cette petite incommodité. Elle consiste toute en ce que j'ay le palais de la bouche fort enflé, et qui me donne de la douleur quand je crache ou que j'avale. Cela m'a donné la fievre encor ce soir, avec beaucoup d'inquietude ; mais ce matin je me porte bien de tout le reste, hormis de la bouche, et en somme je sens perceptiblement que ceci n'est rien et, pour un peu de retraitte, j'en seray quite. Le bouillon va bien ; je le prendray autant amer qu'on voudra.

            Demeures bien en paix avec Nostre Seigneur, qui seul doit estre le tout de nostre seul cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Grand-Séminaire de Montréal (Canada). [212]

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MCCII. A la même (Fragment). L'amour vrai, indépendant de toutes circonstances et manifestations extérieures. — Regarder et aimer le prochain dans la poitrine du Sauveur

 

Annecy, [15-17 mai] 1616.

 

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            Quand sera ce que cet amour naturel du sang, des convenances, des bienseances, des correspondances, des sympathies, des graces, sera purifié et reduit a la parfaite obeissance de l'amour tout pur du bon playsir de Dieu ? Quand sera ce que cet amour propre ne desirera plus les presences, les tesmoignages et significations exterieures, ains demeurera pleinement assouvi de l'invariable et immuable asseurance que Dieu luy donne de sa perpetuité ? Que peut ajouter la presence a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ? Quelles marques peut on requerir de perseverance en une unité que Dieu a creee ? La distance et la presence n'apporteront jamais rien a la solidité d'un amour que Dieu a luy mesme formé.

            Quand sera ce que nous serons tous destrempés en douceur et suavité envers nostre prochain ? Quand verrons-nous les ames de nos prochains dans la sacree poitrine du Sauveur ? Helas ! qui regarde le prochain hors [213] de la, il court fortune de ne l'aymer ni purement, ni constamment, ni esgalement ; mays la, mays en ce lieu la, qui ne l'aymeroit ? qui ne le supporteroit ? qui ne souffriroit ses imperfections ? qui le treuveroit de mauvaise grace ? qui le treuveroit ennuyeux ? Or, il y est ce prochain, ma tres chere Fille, il y est dans le sein et dans la poitrine du divin Sauveur ; il y est comme tres aymé et tant aymable, que l'Amant meurt d'amour pour luy, Amant duquel l'amour est en sa mort et la mort en son amour.

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MCCIII. A la même. Dépouillement intérieur auquel le Saint exhorte la Mère de Chantal. — Admirables renoncements

 

Annecy, 18 mai 1616.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je sçai bien qu'il me faudra demeurer encor aujourd'huy en solitude et silence, et peut estre demain : si cela est, je prepareray mon ame, comme la vostre, ainsy que je vous dis.

            Je veux bien que vous continuies l'exercice du despouillement de vous mesme, vous laissant a Nostre Seigneur et a moy. Mais, ma tres chere Mere, entrejettés, [214] je vous prie, quelques actions de vostre part, par maniere d'oraysons jaculatoires, en approbation du despouillement, comme par exemple : Je le veux bien, Seigneur, tirés, tirés hardiment tout ce qui revest mon cœur. O Seigneur, non, je n'excepte rien, arrachés moy a moy mesme. O moy mesme, je te quitte pour jamais, jusques a ce que mon Seigneur me commande de te reprendre. Cela doit estre fortement, mays doucement entrejetté.

            Encor ne faut il pas, s'il vous plaist, ma tres chere Mere, prendre aucune nourrice ; ains, comme vous voyes, il faut quitter celle que neanmoins vous aures, et demeurer comme une pauvre petite chetifve creature devant le throsne de la misericorde de Dieu ; et demeurer toute nue, sans demander jamais ni action ni affection quelcomque pour la creature, et neanmoins vous rendre indifferente a toutes celles qu'il luy plaira vous ordonner, sans vous amuser a considerer que ce sera moy qui vous serviray de nourrice ; car, comme vous voyes, si vous prenies une nourrice a vostre gré, vous ne sortiries pas de vous mesme, ains auries tous-jours vostre conte, qui est neanmoins ce qu'il faut fuir sur toutes choses.

            Ces renoncemens sont admirables : de sa propre estime, mesme de ce que l'on estoit selon le monde (qui n'estoit en verité rien, sinon en comparayson des miserables), de sa propre volonté, sa complaysance en toutes creatures et en l'amour naturel, et en somme tout soy mesme, qu'il faut ensevelir dans un eternel abandonnement, pour ne le voir ni sçavoir plus comme nous l'avons veu et sceu, ains seulement quand Dieu le nous ordonnera et selon qu'il le nous ordonnera. Escrivés moy comme vous treuveres bonne cette leçon.

            Dieu me veuille a jamais posseder. Amen. Car je suis sien ici et la, ou je suis en vous, comme vous sçaves, tres parfaitement ; car vous m'estes indivisible, hormis en l'exercice et prattique du renoncement de tout nous mesmes pour Dieu. [215]

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MCCIV. A la même. Bonheur de la possession de Jésus seul par le dénuement total du créé

 

Annecy, 19 mai 1616.

 

            O Jesus, que de benediction et de consolation a mon ame de sçavoir ma Mere toute desnuee devant Dieu ! Il y a long tems que j'ay une suavité nompareille quand j'oys chanter ce respons : Nu je suis sorty du ventre de ma mere, et nu je retourneray la. Le Seigneur me l'a donné, le Seigneur me l'a oste : le nom du Seigneur soit beni.

            Quel contentement a saint Joseph et a la glorieuse Vierge allant en Egypte, lhors qu'en la pluspart du chemin ilz ne voyoient chose quelcomque sinon le doux Jesus ! C'est la fin de la Transfiguration, ma tres chere Mere, de ne voir plus ni Moyse, ni Elie, ains le seul Jesus. C'est la gloire de la sacree Sulamite de pouvoir estre seule avec son seul Roy, pour luy dire : Mon Bienaymé est a moy, et moy je suis a luy. Il faut donq demeurer a jamais toute nue, ma tres chere Mere, quant a l'affection, bien qu'en effect nous nous revestions ; car il faut avoir nostre affection si simplement et absolument unie a Dieu, que rien ne s'attache a nous. O que bienheureux fut Joseph l'ancien, qui n'avoit ni boutonné ni aggrafé sa robbe, de sorte que, quand on le voulut attraper par icelle, il la lascha en un moment.

            J'admire avec suavité le Sauveur de nos ames, sorti nu du ventre et du sein de sa Mere et mourant nu sur la croix, puis tout nu remis dans le giron de sa Mere pour [216] estre enseveli. J'admire la glorieuse Mere qui naquit nue de maternité et fut desnuee de cette maternité au pied de la croix, et pouvoit bien dire : Nue j'estois de mon plus grand bonheur quand mon Filz vint en mes entrailles, et nue je suis quand, mort, je le reçoy dans mon sein. Le Seigneur me l'a donné, le Seigneur me l'a osté : le nom du Seigneur soit beni.

            Je vous dis donq, ma chere Mere : que beni soit le Seigneur qui vous a despouillee ! O que mon cœur est content de vous sçavoir en cet estat si desirable ! et je vous dis comme il fut dit a Isaïe : Marchés et prophetisés toute nue ces troys jours. Perseverés, en cette nudité, de demeurer aupres de Nostre Seigneur ; il n'est plus besoin que vous facies des actes, s'il ne vous vient au cœur, ains que seulement vous chanties, si vous pouves, doucement le cantique de vostre nudité : Nue je suis nee du ventre de ma mere, et ce qui s'ensuit. Ne faites plus aucun effort ; mais, fondee sur la resolution d'hier, allés, ma tres chere Fille, et oyés, et inclines vostre aureille ; oubliés toute la peuplade des autres affections, et la mayson de vostre pere, car le Roy a convoité vostre nudité et simplicité. Demeurés en repos la, en esprit de tres simple confiance, sans seulement regarder ou sont vos vestemens ; je dis, regarder avec attention ou soin quelcomque.

            Bon jour, ma tres chere Mere. VIVE JESUS, desnué de pere et de mere sur la croix ; vive sa tressainte nudité ! VIVE MARIE, desnuee de filz au pied de la croix !

            Faites doucement les insensibles acquiescemens de vostre nudité ; ne faites plus d'effortz, soulagés vostre cors suavement. VIVE JESUS ! Amen.

FRANÇS, E. de Geneve. [217]

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MCCV. A la même. Vouloir les vertus selon que Dieu les veut de nous. — Se reposer en Notre-Seigneur ; en lui, oublier toutes choses. — L'intime du cœur du saint Evêque

 

Annecy, 21 mai 1616.

 

            Tout cela va fort bien, ma tres chere Mere. C'est la verité, il faut demeurer en cette sainte nudité jusques a ce que Dieu vous reveste. Demeures la, dit Nostre Seigneur a ses Apostres, jusques a ce que d'en haut vous soyes revestus de vertu. Vostre solitude ne doit point estre interrompue jusques a demain apres la Messe.

            Ma tres chere Mere, il est vray, vostre imagination a tort de vous representer que vous n'aves pas osté et quitté le soin de vous mesme et l'affection aux choses spirituelles ; car n'aves vous pas tout quitté et tout oublié ? Dites ce soir que vous renonces a toutes les vertus, n'en voulant qu'a mesure que Dieu vous les donnera, ni ne voulant avoir aucun soin de les acquerir qu'a mesure que sa Bonté vous employera a cela pour son bon playsir.

            Nostre Seigneur vous ayme, ma Mere ; il vous veut toute sienne. N'ayes plus d'autres bras pour vous porter que les siens, ni d'autre sein pour vous reposer que le sien et sa providence ; n'estendes vostre veuë ailleurs et n'arrestes vostre esprit qu'en luy seul ; tenes vostre volonté si simplement unie a la sienne en tout ce qu'il luy plaira faire de vous, en vous, par vous et pour vous, et en toutes choses qui sont hors de vous, que rien ne soit entre deux. Ne penses plus ni a l'amitié ni a l'unité que Dieu a faite entre nous, ni a vos enfans, ni a vostre cors, ni a vostre ame, en fin a chose quelcomque ; car [218] vous aves tout remis a Dieu. Revestes vous de Nostre Seigneur crucifié, aymes le en ses souffrances, faites des oraysons jaculatoires la dessus. Ce qu'il faut que vous facies, ne le faites plus parce que c'est vostre inclination, mais purement parce que c'est la volonté de Dieu.

            Je me porte fort bien, graces a Dieu. Ce matin j'ay fait commencement a ma reveuë, que j'acheveray demain. Je sens insensiblement au fond de mon cœur une nouvelle confiance de mieux servir Dieu en sainteté et justice tous les jours de ma vie ; et si, je me treuve aussi nu, graces a Celuy qui est mort nu pour nous faire entreprendre de vivre nus. O ma Mere, qu'Adam et Eve estoyent heureux tandis qu'ilz n'eurent point d'habitz !

            Vivés toute heureusement paysible, ma tres chere Mere, et soyes revestue de Jesus Christ Nostre Seigneur. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

 

MCCVI. A la même. Les enfants portés entre les bras de Dieu. — Souverain degré de la pureté de l'amour

 

Annecy, 21 mai 1616.

 

            Je n'escris pas, non, car apres le repas cela ne se doit pas, ma tres chere Mere ; mais je vous donne tres affectionnement le bon soir, priant Dieu que, vous ayant reduit a l'amiable tressainte pureté et nudité des enfans, il vous prenne meshuy entre ses bras comme saint Martial, pour vous porter a son gré a l'extreme perfection de son amour. Et prenés courage, car s'il vous a [219] desnuee des consolations et sentimens de sa presence, c'est affin que sa presence mesme ne tienne plus vostre cœur, mays luy et son playsir ; comme il fit a celle qui, le voulant embrasser et se tenir a ses pieds, fut renvoyee ailleurs : Ne me touche point, luy dit il, mais va, dis le a Simon et a mes freres. Or sus, nous en parlerons. Bienheureux sont les nus, car Nostre Seigneur les revestira.

            Cette Bonté ne veuille plus permettre que j'aye si peu de sainteté en une profession et en un aage ou j'en devrois tant avoir. Ma Mere, vivés toute gaye devant Dieu, et le benisses avec moy es siecles des siecles. Ainsy soit il.

FRANCS, E. de Geneve.

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MCCVII. A Madame Louise de Ballon Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. Pourquoi Dieu nous fait attendre la délivrance de nos imperfections. — Petit exposé doctrinal sur l'Eucharistie. — Les Anges et le Saint-Sacrement.

 

Annecy, Fête-Dieu [fin mai-juin 1613-1616.]

 

            Vostre cœur sera pur, ma chere petite Fille, puisque vostre intention est pure, et les pensees vaines qui vous [220] surprennent ne le sçauroyent souiller en sorte quelcomque. Demeures en paix et supportes doucement vos petites miseres. Vous estes a Dieu sans reserve, il vous conduira bien. Que s'il ne vous delivre pas si tost de vos imperfections, c'est pour vous en delivrer plus utilement et vous exercer plus longuement en l'humilité, affin que vous soyes bien enracinee en cette chere vertu.

            Qui reçoit la tressainte Communion, il reçoit Jesus Christ vivant : c'est pourquoy son cors, son ame et sa divinité sont en ce divin Sacrement ; et d'autant que sa divinité est celle la mesme du Pere et du Saint Esprit, qui ne sont qu'un seul Dieu avec luy, qui reçoit la tressainte Eucharistie reçoit le cors du Filz de Dieu et, par consequent, son sang et son ame, et par consequent, la tressainte Trinité. Mays neanmoins, ce divin Sacrement est principalement institué affin que nous receussions le cors et le sang de nostre Sauveur, avec sa vie vivifiante : comme les habillemens couvrent principalement le cors de l'homme, mais parce que l'ame est unie au cors, ilz couvrent par consequent l'ame, l'entendement, la memoire et la volonté. Alles bien simplement en cette croyance, et salues souvent le cœur de ce divin Sauveur qui, pour nous tesmoigner son amour, s'est voulu couvrir des apparences de pain, affin de demeurer tres familierement et tres intimement en nous et pres de nostre cœur.

            Voyons bien en esprit les saintz Anges qui environnent ce tressaint Sacrement pour l'adorer, et en cette sainte [221] octave respandent plus abondamment des inspirations sacrees sur ceux qui, avec humilité, reverence et amour, s'en approchent. Ma chere Fille, ces divins Espritz vous apprendront comme vous feres pour bien celebrer ces jours solemnelz, et sur tout l'amour interieur qui vous fera connoistre combien est grand l'amour de nostre Dieu qui, pour se rendre plus nostre, a voulu se donner en viande pour la santé spirituelle de nos cœurs, affin que, les nourrissant, ilz fussent plus parfaitz.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCCVIII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Tendre au même but, sans vouloir « faire tout ce que les autres font. » — Se conduire selon la Règle, la grâce, l'obéissance

 

Annecy, juin 1616.

 

            Ma tres chere grande Fille,

 

            Selon mon advis, il n'y aura point d'inconvenient de laisser communier cette bonne Seur ; ains il faut, s'il est possible, arracher aux Seurs de la Congregation cette imperfection ordinaire aux femmes et filles, de la vaine et jalouse imitation. Il les faut affermir, s'il est possible, a ne vouloir pas toutes faire tout ce que les autres font, ains seulement a vouloir tout ce que les autres veulent : c'est a dire, a ne faire pas toutes les mesmes exercices, fors ceux de la Regie, ains que chacune marche selon le [222] don de Dieu ; mais que toutes ayent cette unique et simple pretention de servir a Dieu, ayant ainsy toutes une mesme volonté, une mesme entreprise, un mesme projet, avec une grande resignation d'y parvenir une chacune selon les moyens que la Superieure et le Pere spirituel jugeront expediens. En sorte que celles qui communient plus souvent n'estiment pas moins les autres qu'elles, puisqu'on s'approche maintes fois plus pres de Nostre Seigneur en s'en retirant avec humilité, qu'en s'en approchant selon nostre goust propre ; et celles qui ne communient pas si souvent, ne se laissent point emporter en la vaine emulation. Il est vray qu'il ne faut pas permettre que la Regie soit outrepassee, sinon rarement, et pour des sujetz pareilz a celuy cy.

            Ma tres chere Fille, que nous serons heureux si nous sommes fideles ! Man ame salue cordialement vostre esprit, que Dieu benisse de sa tressainte main. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCCIX. A Madame de la Fléchère. Multiples démarches du Saint pour les affaires de sa fille spirituelle. — Encore Mme du Châtelard et sa vocation. — Paternelles excuses

 

Annecy, 11 juin 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            J'ay bien receu toutes vos lettres, et eusse respondu si ceux qui les ont apportees m'en eussent donné la commodité. J'ay parlé a M. de la Roche, mais il partit tost apres, sans pouvoir voir M. de Monregard. Je m'asseure que M. Flocard vous fera response. [223]

            Voyla le monitoire que vous desiries. Je parleray a M. Bonfelz quand il viendra. J'ay escrit un billet a la dame Ennemonde ; je verray si on pourroit loger son filz.

            Mme du Chastelard est a la Visitation, qui proteste grandement de n'avoir jamais eu un seul brin de pensee contraire a la sainte inspiration qu'elle avoit eue et laquelle elle sent plus forte que jamais ; et vrayement, c'est une bonne ame qui est en une bonne voye. Elle attend monsieur de Mont Saint Jean pour prendre le tems de sa retraitte, et cependant elle sera icy encor quelques jours.

            J'escris un billet sur le sujet de la chere fille, et m'en vay ce mesme matin a Sainte Catherine. Ma tres chere Fille, il faut bien supporter le Pere qui ne fait pas trop bien son devoir paternel, quoy qu'il aye un cœur non pareil pour sa tres chere fille, a laquelle il souhaite toutes saintes benedictions.

            Je m'asseure que nostre Mere vous escrira qu'il faut faire traitter Charles par les medecins, affin que l'enfleure de son ventre ne prenne pas suite ; pour le reste, il se porte bien.

            11 juin 1616.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à la Visitation d'Annecy. [224]

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MCCX. A la même. L'esprit humain en face da la tentation. — Danger de retarder l'exécution des bons désirs. — Compassion affectueuse de François de Sales pour un courage défaillant ; ses espérances

 

Annecy, 11 juin 1616.

 

            Quant a la chere fille, je ne m'en metz pas fort en peine, quoy que je luy desire fort le bonheur auquel elle a esté appellee ; car d'un costé, j'espere que Dieu luy redonnera le courage necessaire a l'execution de son inspiration, n'estant pas grande merveille que son ame se soit un peu ralentie parmi les tracas que les mondains luy ont donné, et qu'elle se soit ressentie de la commune condition de l'esprit humain, sujet a la tentation de varier et chanceler lhors quil donne loysir a l'ennemi de l'attaquer ; et d'autre part, sil arrivoit que la tentation l'emportast, j'espere qu'elle ne l'emporteroit jamais du tout hors de la resolution qu'ell'a faite de servir fort affectueusement Dieu. Et en ce cas, bien que je serois tous-jours marri de la voir un peu ravalee de son plus parfait dessein, si est ce que je ne laisserois pas de l'aymer tres cherement, et il me sera toute ma vie impossible de m'empescher de l'affectionner parfaitement en Nostre Seigneur.

            Mays, comme je vous dis, si les plus fortz espritz, lhors qu'ilz different beaucoup l'execution de leurs bonnes resolutions, sont tentés de les quiter, il ne faut pas s'estonner que cette chere fille ayt esté touchee de cette attaque, a laquelle j'ay neanmoins bonne esperance qu'elle ne cedera pas enfin ; ains, ayant un peu repris haleyne, elle viendra plus forte, plus resolue et plus ardente que jamais. Salues-la, si vous le treuves bon, de ma part, quand vous la verres ou luy escrires. [225]

            Vives cependant toute a Dieu pour le louer a toute eternité, ma tres chere Fille. Amen.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCXI. A Madame Colin (Inédite). Remerciements pour un beau présent.

 

Annecy, 13 juin 1016.

 

            Madamoyselle,

 

            Je vous remercie bien humblement de la souvenance que vous aves de moy, tesmoignee par vostre lettre et vostre beau present, lequel certes, estant de prix, j'ay disputé en mon esprit si je devois l'accepter ; et ne l'eusse nullement fait, si ce n'eut esté de peur de contrister vostre charité, laquelle neanmoins en cela je treuve excessive et vous supplie de la moderer, au moins envers moy, qui, au demeurant, vous porteray a jamais dedans mon esprit pour vous souhaiter le comble de toutes benedictions, et a tout ce que vous cherisses le plus.

            Vives toute a Nostre Seigneur, ma chere Fille, et me croyes en luy,

Vostre humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIII juin 1616, Annessi.

 

            A Madamoyselle

Madamoyselle Colin.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine Collonge,

aumônier de la Visitation de Chambéry. [226]

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MCCXII. A Madame de la Fléchère (Inédite). Une rencontre qui ne serait pas à propos. — Différentes nouvelles

 

Annecy, 25 juin 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je ne pense pas quil fust a propos de faire cette premiere veuë ainsy courtement, outre que ces filles ne font quasi que de partir d'icy, ou elles ont demeuré 15 jours, et chacun voudroit sçavoir le pourquoy de leur retour ; et puisque vous reviendres icy bien tost, nous en parlerons avec la Mere, et on verra ce qui sera plus expedient.

            J'ay esté, de vray, entre sain et malade quelques jours, mais je n'ay pourtant eu qu'un acces de fievre. Je seray bien ayse d'accommoder ces deux parties dont vous m'escrives, mais je ne puis les faire venir s'il n'y a requeste de l'une des parties, ou de toutes deux, pour cela.

            Vives tous-jours toute a Nostre Seigneur, ma tres chere Fille, et me recommandes souvent a sa misericorde et bonté. Je suis inviolablement vostre.

            J'escrivis a M. Cochet, et a madame la Comtesse [227] aussi, pour la petite seur Gavent, mais la responce n'est qu'une remise.

            Je suis a jamais vostre, ma tres chere Fille. Amen.

            XXIIIII juin 1616, Annessi.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

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MCCXIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Envoi de la Préface et de l'Oraison dédicatoire du Traitté de l'Amour de Dieu

 

Annecy, vers le 27 juin 1616.

 

            Voyla la Preface et le projet de l'Orayson : voyes la et me la renvoyes ; que je l'aye a un' heure et demi pour le plus tard, affin que je la face transcrire. Escrives moy vostre petit sentiment.

            Dieu vous benisse, ma tres chere Mere. Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Sérioh, curé de Saint-Vit (Doubs). [228]

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MCCXIV. A la même. Un aumônier qui sera « bravement » remplacé par « un pauvre Evesque »

 

Annecy, [mai-juillet 1616.]

 

            Penses, ma bien chere Mere, si je fus hier bien mortifié que n'eu pas seulement le loysir de vous envoyer un petit bon soir. Du moins, bonjour pour ce matin, ma tres chere Mere, et je vous demande si vous pourres avoir un P. Barnabite, car M. Roland est a conter de l'argent. Que sil ne se peut bonnement, renvoyes moy, et je vous prouvoyeray bravement, et, tout au fin pis, ce sera d'un pauvre Evesque que vous aymes comme vous mesme ; aussi est il en tout, vostre.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Alzano (Italie).

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MCCXV. A Madame de la Fléchère. Affaires et nouvelles. — Une prétendante pour le monde et une prétendante pour le cloître

 

Annecy, commencement de juillet 1616.

 

            Vous n'aures pas si tost monsieur de Charmoysi, ma tres chere Fille, car il est si galleux et plein de foroncles [229] quil ne peut bouger. Or, Dieu vous aydera en tout, sans doute, puisque vous aves toute vostre confiance en luy.

            M. Bonfilz est a Chamberi. Le P. Commissaire vous escrit la ci jointe par laquelle vous verres ce quil desire.

            Je croy bien quil se pourra faire que Mlle de Chantal vienne quand on vestira Mlle d'Avise, et seroit a propos de faire la veue ; mays je n'ay point veue (sic) nostre Mere despuis vostre depart qu'une seule fois a la Messe, et je luy parleray et vous advertiray asses a tems. Elle fait prou, la pauvre chere niece, et je croy qu'on l'a mis des hier a l'essay pour commencer tous les exercices.

            Je ne receu qu'hier bien tard vostre lettre et celle de monsieur de Mont Saint Jean, et des-ja l'autre jour que nostre Mere me le fit sçavoir, je luy escrivis en un billet ce quil me sembloit estre a propos de respondre, et je croy qu'elle vous l'aura communiqué.

            Je vous escris par cette mauvaise commodité qui me presse sans merci. Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma tres chere Fille.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [230]

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MCCXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Le « petit empressement il de Mme de la Fléchère. — Une visiteuse qu'il faudra bien accueillir

 

Annecy, commencement de juillet 1616.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Vous verres par ces deux lettres le petit empressement que Mme de la Flechere a pour marier son neveu a nostre fille ; il luy est advis qu'il ne faut qu'estre filz de nostre Mere pour estre bien heureux. Or, elle m'en escrit comme si je luy avois promis quelque chose, ou qu'elle se fut fort avancee avec moy en paroles ; et il y a au fin moins 6 moys que je n'en ay rien appris. Mays il faut treuver bon tout cela, et qu'elle s'addresse plus tost a moy qu'a vous, car aussi faut-il. Toutefois je ne sçai que luy dire sur sa proposition, si vous ne le me dites. Je vous expliqueray sa premiere lettre demain a quelqu'heure, Dieu aydant. Ce pendant, escrives moy vostre conception, affin que je face repartir le laquay, lequel est arrivé tandis que j'estois occupé parmi cetté bonne compaignie que nous avons eu a disner.

            Si la bonne Mme de Rochefort vous va voir, faites-la entrer et caresses-la bien, car cet (sic) une bonne fille ; ma Seur Claude Simplicienne est sa voysine, et [231] Mme de la Forest, de sa connoissance. Je ne sçai si Mme de la Forest vous aura point parlé de ces amours que la bonne seur affectionne si fort.

            Or, bon soir, ma tres chere Mere ; Dieu vous comble de benedictions comme moymesme. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nice. [232]

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MCCXVII. A la Sœur Coton, Novice de la Visitation de Lyon. Désirer l'amour infiniment désirable. — La contrition doit toujours être accompagnée de confiance.

 

Annecy, juillet 1616.

 

VIVE JESUS !

 

            Je fus certainement consolé, ma tres chere Seur, de la lettre que vous m'escrivistes l'autre jour, y voyant de [232] bonnes marques du desir que vous aves d'aymer Dieu de toute vostre ame. Que vous puis-je dire, sinon que vous perseveries a desirer l'amour qui ne peut jamais estre asses desiré, estant infiniment desirable ?

            Pour l'absolution de vos pechés de tant d'annees que vous me demandies, ma tres chere Fille, vous deves sçavoir que Dieu, par sa bonté, les aura effacés au mesme instant que vous luy voulustes donner vostre cœur, par la resolution que son inspiration vous fit prendre de ne vivre plus que pour luy. Neanmoins, ma chere Seur, vous pourres utilement repeter souvent la priere de ce Penitent qui disoit : Seigneur, laves moy davantage de mon iniquité et me nettoyes de mon peché ; pourveu que ce soit avec une vraye et simple confiance en cette souveraine Bonté, vous asseurant que sa misericorde ne vous manquera pas.

            Soyes donq bien toute a Dieu, marches en simplicité dans le chemin ou la Providence vous a mise ; elle vous tiendra de sa main et vous conduira au port que vous desires de l'aymable eternité, pour laquelle vous aves esté creee. Pries reciproquement pour mon ame.

FRANÇS, E. de Geneve.

Dieu soit beni. [233]

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MCCXVIII. A M. Michel Favre (Inédite). Les retards d'un voiturin. — Deux fautes notables à corriger au Traittè de l'Amour de Dieu. — Pourquoi le Saint redoute les excès de courtoisie de M. Rigaud. — Messages et commissions. — Envoyer un exemplaire de l'ouvrage à l'Archevêque de Vienne

 

Annecy, 8 juillet 1616.

 

            Monsieur Michel, mon Ami,

 

            Je suis marri de la peine en laquelle monsieur Rigaud s'est mis pour la Præface, que je m'asseure vous aurés recëue des maintenant par un voiturin qui porte une charge de soye a M. Magnin, qui m'a promis de faire rendre le paquet soudain quil seroit arrivé. Et vous treuveres les lettres et la Præface mesme de longue datte, par ce que tout estoit prest des la veille de saint Pierre, que le mesme voiturin devoit partir, mais alla despuis retardant jusques a mardi passé ; et si j'eusse treuvé commodité plus tost, la chose eut encor esté plus avancée. Mays ce que monsieur Rigaud m'avoit assigné la fin de l'impression au 20 de ce moys, m'a empesché d'aller plus viste ; mays il me pardonnera bien cette faute.

            Et a propos de faute, il y en a deux notables au livre, dont l'une est de l'imprimeur, qui a obmis une ligne entiere ; l'autre est de moy, qui ne sçai ou j'avois l'esprit quand j'escrivis les [quatre] vers [qui sont] en la page 725, ligne 8, desquelz je vous envoye la correction, et vous prie qu'en toute façon on les oste pour y mettre [234] ceux que je vous envoye ; car ces vers ainsy quilz sont, sont capables de fascher plusieurs lecteurs et les degouster.

            J'ay encor fait un' autre faute remarquable et digne de mon inadvertence ordinaire : c'est qu'au septiesme Livre, le tiltre du Livre et le tiltre du premier chapitre sont de mesme (en la page 369), la ou le tiltre du chapitre devoit estre :

 

COMME L'AMOUR FAIT L'UNION DE L'AME AVEC DIEU EN L'ORAYSON.

 

Mays pour celleci, il n'importe pas tant comme de celle des vers, a laquelle il faut tout a fait remedier. Il y a bien quelques autres-fautes, mais il en faut remettre la correction a la 2e impression que, Dieu aydant, l'on fera.

            Salues bien fort monsieur Rigaud, lequel, quoy que je desire bien de voir pour l'amitié quil me porte, neanmoins je ne voudrois pas d'ailleurs quil prit la peine de venir, de peur de son incommodité.

            Nous vous attendrons donq dans dix ou douze jours, et nos cheres Seurs, que je salue de tout mon coeur.

            Je voudrois bien avoir un livre intitulé : Adagia [235] sacra Martini del Rio, Societatis Jesu ; je croy que M. Cardon les a imprimés.

            J'ay sceu la courtoysie que M. Rigaud use a l'endroit des serviteurs de ceans ; cela m'oblige fort, mais j'ay peur quil n'en face trop, et cela me tiendra retenu a ne demander pas certains autres livres que je desirois, lesquelz je ne sçaurois pas cotter par ce que je ne sçai pas leur tiltre, dautant que ça esté le P. Grangier qui m'en a donné l'envie lhors quil passa icy.

            Si je ne vous escris plus avant vostre depart, je vous prie de saluer le R. P. Recteur et le P. Grangier, et les PP. Monet et Fichet ; item, le P. Philippe, monsieur de Saint Nizier et tous ceux qui me font la faveur de m'aymer.

            Je vous escrivis pour avoir un petit Combat spirituel [236] de ceux qui sont imprimés a Paris, par ce que tout y est, car si ilz estoit (sic) imprimés a Lyon avec tout le mesme, ce me seroit tout un.

            Si monsieur de Medio n'avoit pas achetté les litz pour mes nieces, je le prie de ne les pas achetter encor jusques a ce que je luy escrive. Cependant, salues-le tres fort de ma part, et madamoyselle Colin et madame Vulliat.

            Je voudrois bien que l'on envoyast de ma part un livre a Monseigneur de Vienne, mon Archevesque, car il prendroit avec rayson en mauvaise part si, luy estant ce que je luy suis, je ne luy en offrois pas un. A cett' intention, je vous envoye une lettre pour luy, que monsieur de Medio prendra la peine de luy faire tenir. Pour les autres a qui je desire qu'on en presente, comme la [237] Reyne et quelques Princesses, cela se fera a loysir, et suffit que ce soit avant que ces Traittés se publient a Paris.

            Si monsieur Rigaud veut absolument venir, nous le traitterons avec tout le cœur, car en verité, il m'oblige fort. Dieu soit avec vous. Amen.

            Le 8 juillet 1616.

 

            A Monsieur

[Monsieur] Michel Favre.

Chez monsieur Rigaud.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Venise.

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MCCXIX. Au Cardinal Robert Bellarmin (Minute). Eloge des deux premières Communautés de la Visitation. — Un mot de saint Grégoire. — Chant doux et grave des Sœurs. — L'avis de l'Archevêque de Lyon ; condescendance du Fondateur. — Trois particularités qu'il faudrait faire approuver par le Saint-Siège. — Raisons de ces demandes.

 

Annecy, 10 juillet 1616.

 

            Illustrissime et Reverendissime Domine in Christo mihi colendissime,

 

            Urbi et orbi ignotus, orbi et Urbi notissimum et amantissimum [238] Cardinalem, secundum eam quæ in Christo est charitatem, precibus confidenter aggredior.

            Habemus hic et Lugduni unam et alteram virginum et [239] viduarum Congregationem, quæ, licet verius Oblatæ quam veri nominis Religiosæ aut Moniales censendæ sint, tamen castitatem ac sacram pudicitiam sanctissime colunt, obedientiam simplicissime amplectuntur, paupertatem religiosissime sequuntur. Et quamvis ex earum ritu clausuræ non sint addictæ, eam nihilominus ex animi fervore propemodum servant perpetuam, quandoquidem nunquam, nisi gravissimis et piissimis causis impellentibus, extra domum pedem efferunt ; sed statutis horis, iisque apte per totum diem dispositis, Officium parvum Beatissimæ Virginis simul in choro recitant, cantu ad pietatis regulas tam fœliciter formato, ut vix dici queat, num gravitatem suavitas, vel suavitatem gravitas superet. Orationi vero illi angelicæ, quam mentalem vocant, duabus item horis, una matutina, alia vespertina, maximo cum fructu operam navant, ac, ut uno verbo concludam, illas mihi referre videntur fœminas de quibus Sanctus Gregorius Nazianzenus ad Hellenium tam magnifice loquitur, ut eas cœlestia et pulcherrima Christi sidera nominare non vereatur. [240]

            Verum, cum non ita pridem Reverendissimum Dominum Archiepiscopum Lugdunensem salutandi gratia adiissem, verbaque simul de rerum nostrarum ecclesiasticarum statu misceremus, incidit inter alia sermo de istis duabus Congregationibus mulierum, quarum odor suavissimus est in utraque diæcesi, ut proinde earum recta gubernatio maximi omnino videatur esse momenti.

            Cumque ille suggereret operæ pretium fore, ut imprimis eas ad Regulam aliquam religiosam ex iis quæ ab Ecclesia approbatæ sunt, et ad clausuram ac vota solemnia amplectenda induceremus, ego quoque in eam sententiam facile descendi, tum ob viri singularem in me auctoritatem, atque perspectam omnibus peritiam et pietatem, tum ob nominis Religioni splendorem, quem magno ornamento istis, alioquin piissimis, Congregationibus futurum existimabam. Ita ergo inter nos statutum est, atque ubi id aggredi cœpimus, miram in eis et suavissimam ad obediendum animorum promptitudinem et facilitatem invenimus.

            Tria tantum habent in usu peculiaria pietatis officia, [241] quæ summopere illis cordi sunt ; et quæ si ab Apostolica Sede concedantur, nihil in hac status mutatione durum, nihil insuave futurum est. Ea autem sunt ejusmodi, quæ, quantum existimo, cum clausura, aut statu religioso mulierum minime pugnent ; quæque peritis rerum nostrarum Gallicarum æstimatoribus non solum non imminuere, sed etiam plurimum promovere pietatem videantur.

            Primum est, ut ad Officium clericale quod magnum vocant non obligentur, sed tantum ad Officium parvum Beatissimæ Virginis. Hujus autem earum desiderii ratio est, quia in illis Congregationibus plerumque recipiuntur mulieres jam adultæ, quæ Officium magnum, cum illius rubricis, vix ac ne vix quidem addiscere possent. Deinde, quia breve illud Officium Beatæ Virginis magna vocum, accentuum pausarumque distinctione celebrant, quod nequaquam, si longius Officium recitandum foret, præstare possent. Quod ideo maxime consideratione dignum est, quia inter omnes totius orbis mulieres, nullæ sunt quæ [242] ineptiore latini sermonis pronunciatione utantur quam Gallicæ, quas proinde impossibile esset accentuum quantitatum et rectæ pronunciationis leges in tanta Officiorum, Lectionum et Psalmorum varietate observare. Unde dolendum est tantam in plerisque monasteriis mulierum pronunciationis imperitiam audiri, ut etiam alioquin cordatis auditoribus interdum risum, sciolis vero et hæresi infectis cachinnum moveant et scandalum.

            Secundum est, quod viduas interdum etiam aliquot annis, in habitu seculari, sed tamen modestissimo, secum ad Congregationis pia officia exercenda habitare permittant. Verum, non sane quidem omnes viduas, sed eas tantum quæ cum Religionem ingredi cupiant, interim dum de nuncio seculo ac nuptiarum interpellatoribus remittendo serio cogitant, thæsaurum castitatis, quem in vasis fictilibus portant, abscondere prudenter quærunt, ne in manibus illum portantes in conspectu filiorum hominum, latronum deprædationi objiciant. [243]

            Hujus autem desiderii ratio est, quia in istis regionibus tanta libertate viri viduas, quamvis piissimas, colloquiis et irritamentis secularibus infestant, ut quæ veram viduitatem colere volunt, vix id tuto præstare possint ; quibus hac via optime consulitur. Cumque hujusmodi viduæ obedientiam et exactam propemodum clausuram observent (vix enim semel bisve quotannis ad domestica negocia componenda illis egredi contingit), nihil omnino dispendii, plurimum vero compendii huic consuetudini inesse existimandum est. Imo vero multo minus ea periculum habet, quam quæ in plerisque piissimis monasteriis viget, ut Sorores conversæ negociorum gerendorum gratia egredi et regredi possint, neque multo plus difficultatis quam illa, quæ tamen satis trita est, ut puellæ educationis gratia in monasteriis recipiantur. Quid enim interest num puella educationis, vel vidua castitatis gratia, in monasterio degat ? Quæ omnia maxime vera existimabit quisquis harum regionum Gallicarum mores et ingenia recte perspexerit. [244]

            Tertium est, quod non solum viduas hujusmodi quæ serio seculo renunciare intendunt, sed interdum alias etiam conjugatas admittunt ; eas, scilicet, quœ cum velint novam in Christo vitam instituere, atque adeo confessiones, quas vocant generales, præviis aliquod exercitiis spiritualibus facere, opus habent in remotum a secularibus locum tantisper aliquot diebus secedere. Et sane, quam uberes fructus hæc sacra paucorum dierum hospitalitas afferat, nemo satis pro merito dixerit ; per eam enim non quieti tantum, sed et pudori, verecundiæ ac honestati mulierum consulitur, dum ad fenestellam craticulis ferreis munitam, pro confessionibus Sororum audiendis efformatam, confessarios accerserunt, ibique documenta salutis audiunt, quæ postea per quietem cum aliqua ex Sororibus animo revolvunt.

            Porro, si aliqua causa pia subsit propter quam interdum mulieres Monialium claustra ingredi possint (sunt autem aliquot), hæ duæ inter præcipuas numerandæ sunt ; [245] quas tamen ita obtinere æquum est, si ab Ordinario ejusve Vicario generali scripto probentur, et quamdiu ex hujusmodi praxi nihil detrimenti disciplinæ regulari accedet. Quod si ex præteritis de præsentibus et futuris conjectura sumenda sit, nihil omnino sanctius, nihil utilius ; quinimmo, quia res omnino fœlicissimum hactenus habuit successum, in posterum eumdem quoque habituram sperandum est.

            Cæterum, habet Reverendissimus Dominus Archiepiscopus Lugdunensis intercessorem potentissimum, Christianissimi scilicet Regis oratorem. Habent etiam Sorores hujus civitatis validissimas preces Serenissimæ Ducis Mantuæ viduæ, quæ eas plurimum diligit. Ego vero, Cardinalis amplissime, te unico intercessore utor, [246] tum quia te solum ex augustissimo illo Apostolico Collegio novi, tum quia de rebus istis nostris cismontanis optime judicare potes, et plerisque illud suggerere, aliter hic, aliter ibi, rem divinam esse promovendam, pro morum ac regionum varietate ; tum quia de tua erga hujus diæcesis miserabilis commiseratione libri tui Controversiarum, de tua vero erga pias animas benevolentia, novissimus ille et amabilis nimis tuus Benjamin, dubitare non sinunt. Quare, de eximia illa Illustrissimæ Dominationis Vestræ in bonos bonorumque conatus propensione confisus, eam enixe rogo et obtestor, ut pro sua prudentia, negotium, sua qua pollet auctoritate, promoveat et conficiat. [247]

            Vale, clarissime, amplissime et Illustrissime Præsul, et me pro Christi amore excusatum et amatum velis, rogo supplex et obtestor.

F., E. Gebennensis.

            Annessii Gebennensium, X Julii.

 

 

 

            Illustrissime et Révérendissime Seigneur, et par moi très vénéré dans le Christ,

 

            Ignoré de Rome et du monde, je viens, selon la charité qui est [238] dans le Christ, présenter à un Cardinal très connu et très aimé du monde et de Rome une confiante prière.

            Nous avons, tant ici qu'à Lyon, deux Congrégations de vierges [239] et de veuves qui, bien que méritant plus exactement le nom d'Oblates que celui de Religieuses ou de Moniales, ne laissent pas de pratiquer très saintement la chasteté et la céleste pureté, d'embrasser en toute simplicité l'obéissance et de suivre très religieusement la pauvreté. Sans que leur Règle les assujetisse à la clôture, la ferveur de leur âme la leur fait observer presque perpétuelle, car il leur faut des raisons très graves et très saintes pour mettre le pied hors de leur maison. Par contre, à des heures diversement et convenablement réparties le long de la journée, elles récitent ensemble, au chœur, le petit Office de la Bienheureuse Vierge, et avec un chant si heureusement adapté aux règles de la piété, qu'il serait difficile de dire si la douceur l'emporte sur la gravité, ou la gravité sur la douceur. Quant à cette prière angélique qu'on appelle oraison mentale, elles y consacrent pareillement, et avec le plus grand fruit, deux heures, l'une le matin, l'autre le soir. Et, pour conclure d'un mot, elles me paraissent rappeler ces femmes dont saint Grégoire de Nazianze parle en termes si magnifiques à Hellénius, n'hésitant pas à les appeler de célestes et très belles étoiles du Christ. [240]

            Or, il n'y a pas bien longtemps, étant allé saluer Mgr le Révérendissime Archevêque de Lyon, et nous étant tous deux entretenus de l'état de nos affaires ecclésiastiques, la conversation tomba, entre autres choses, sur ces deux Congrégations de femmes, qui sont en si bonne odeur dans l'un et l'autre diocèse, qu'il semblerait de toute importance de leur donner une constitution régulière.

            Et comme l'Archevêque faisait remarquer l'avantage qu'il y aurait à les amener tout d'abord à embrasser une Règle religieuse parmi celles que l'Eglise a approuvées, avec la clôture et les vœux solennels, je me suis, moi aussi, facilement rallié à cette opinion, tant à cause de l'autorité particulière qu'a sur moi ce grand personnage, de son expérience et de sa piété bien connues de tous, qu'à cause de la gloire attachée à ce titre d'Ordre religieux dont il semble que ces Congrégations, d'ailleurs très pieuses, recevraient un grand lustre. Ainsi fut-il donc décidé entre nous. Et nous étant mis à l'œuvre, ce fut merveille que la douce et facile inclination de cœur vers l'obéissance que nous rencontrâmes chez les Sœurs.

            Les devoirs religieux qui remplissent leur vie n'ont que trois [241] particularités, mais qui leur tiennent extrêmement à cœur, et dont la concession par le Siège Apostolique enlèverait à ce changement d'état tout ce qu'il pourrait avoir de dur ou d'amer. Or, ces particularités sont de telle nature, qu'à mon avis, elles ne s'opposent nullement à la clôture et à l'état religieux des Instituts de femmes, et que, si nous en croyons les gens les plus au courant de notre situation en France, elles y auraient pour effet, non d'amoindrir la piété, mais plutôt de l'exciter grandement.

            Le premier point, c'est de n'être pas obligées à l'Office des clercs, à savoir au grand Office, mais seulement au petit Office de la Bienheureuse Vierge. Et voici le motif de ce désir : ces Congrégations admettent fort souvent des personnes déjà d'un certain âge, qui ne pourraient qu'à grand'peine s'habituer au grand Office avec toutes ses rubriques. En outre, ce petit Office de la Sainte Vierge est par elles récité avec une scrupuleuse observance des tons, accents et pauses, ce qu'elles ne pourraient absolument pas s'il leur fallait réciter un Office plus long. Cela est d'autant plus digne d'être pris en considération, que, de toutes les femmes du monde entier, il n'en [242] est point qui prononcent le latin aussi défectueusement que les françaises, à qui il serait vraiment impossible, dans une telle variété d'Offices, de Leçons et de Psaumes, d'observer exactement les lois de l'accentuation et de la prononciation. C'est en effet une grande pitié que la prononciation que l'on entend dans la plupart des monastères de femmes, et dont l'étrangeté va jusqu'à exciter le rire chez des auditeurs d'ailleurs bien disposés, et la moquerie, sinon le scandale, chez les demi-savants et les hérétiques.

            Un second point, c'est la permission qu'elles accordent à des veuves de venir, pendant des années parfois, habiter avec elles, en costume séculier, très modeste il est vrai, pour se livrer aux pieux exercices de la Congrégation ; et cela, non pas sans doute à toutes les veuves, mais à celles-là seules qui, désireuses d'entrer en Religion, et, en attendant, songeant d'une manière sérieuse à donner congé au siècle et aux sollicitations matrimoniales, cherchent prudemment à cacher ce trésor de la chasteté, qu'elles portent dans des vases fragiles, de crainte que, le portant en leurs mains sous le regard des enfants des hommes, elles ne l'exposent à devenir la proie des voleurs. [243]

            Et voici la raison de ce désir : telle est, dans ces pays-ci, la liberté hardie des hommes à harceler les veuves, même les plus pieuses, de leurs conversations et provocations mondaines, que celles qui veulent pratiquer la véritable viduité, ont de la peine à le faire en toute sécurité ; à quoi on obvie très heureusement par ce moyen. L'obéissance et la clôture presque complète à laquelle ces veuves s'astreignent (car à peine leur arrive-t-il de sortir une ou deux fois par an pour régler leurs affaires domestiques), nous autorisent à croire que la pratique dont nous parlons, loin d'avoir des inconvénients, offre au contraire plusieurs avantages. Elle présente même beaucoup moins de péril que celle qui, dans la plupart des monastères les plus pieux, permet aux Sœurs converses d'aller et de venir pour des raisons d'affaires ; et la difficulté n'y est guère plus grande que dans la coutume, pourtant généralement admise, de recevoir des jeunes filles dans les monastères pour y faire leur éducation. Qu'importe-t-il, en effet, qu'une jeune fille soit reçue dans un couvent pour y être instruite, ou une veuve pour y conserver la chasteté ? Ce sont là des considérations auxquelles souscrira quiconque sera bien au courant des mœurs et des habitudes de nos régions françaises. [244]

            Troisième point. Outre les veuves dont nous venons de parler et qui se proposent sincèrement de renoncer au siècle, il leur arrive aussi d'admettre des femmes engagées dans les liens du mariage, qui, voulant entreprendre une vie nouvelle dans le Christ, et faire, avec la préparation de quelques exercices spirituels, ce qu'on appelle une confession générale, ont besoin de se retirer pour plusieurs jours en quelque lieu éloigné des bruits du monde. Quels fruits abondants produit cette sainte et courte hospitalité, on ne saurait assez le dire ; car ce n'est pas là seulement une question de repos, mais de condescendance au sentiment de pudeur, de réserve et d'honnêteté, naturel à leur sexe, que l'on ménage en les mettant en rapport avec leurs confesseurs par une petite fenêtre munie d'un treillis de fer, pratiquée tout exprès pour les confessions des Sœurs ; là, elles reçoivent des enseignements salutaires qu'elles peuvent ensuite, avec quelqu'une des Sœurs, méditer à loisir.

            Or, s'il existe des raisons de piété qui autorisent les femmes à franchir de temps en temps la clôture des couvents de Religieuses (et il en existe), il convient de compter ces deux-là parmi les [245] principales, à condition toutefois qu'on n'en use qu'avec l'approbation écrite de l'Ordinaire ou de son vicaire général, et pour autant que ces pratiques ne porteront aucun préjudice à la discipline régulière. Que s'il est permis de tirer du passé des conjectures pour le présent et pour l'avenir, il n'est certainement rien de plus saint, rien de plus utile ; aussi faut-il espérer que, n'ayant eu jusqu'à ce jour que les plus heureux résultats, il en sera de même dans la suite.

            Au reste, Mgr le Révérendissime Archevêque de Lyon possède un intercesseur d'un très grand crédit dans la personne de l'Ambassadeur du Roi très chrétien ; et les Sœurs de cette ville peuvent elles-mêmes compter sur les prières très puissantes de la Sérénissime Duchesse douairière de Mantoue qui les aime beaucoup. Pour moi, très éminent Cardinal, c'est à votre unique intercession que j'ai [246] recours. Vous êtes, en effet, le seul membre de cet auguste Collège apostolique que j'aie l'honneur de connaître ; et étant à même d'apprécier parfaitement nos affaires de ce côté des Alpes, vous pouvez faire entendre aux autres que le progrès des choses divines doit être procuré, ici d'une manière, là d'une autre, selon les différences de mœurs et de pays. Enfin, comme garant de votre commisération à l'égard de ce pauvre diocèse, j'ai vos livres des Controverses, et, pour gage de votre bienveillance à l'égard des âmes dévotes, j'ai votre dernier-né et tant aimable Benjamin ; ce qui ne me laisse aucun doute.

            Aussi, me confiant aux excellentes dispositions de Votre Illustrissime Seigneurie pour les gens de bien et leurs efforts pour le bien, je lui demande instamment et la supplie, m'en rapportant à sa prudence, d'appliquer à la poursuite et au bon succès de cette affaire toute l'autorité qu'elle possède. [247]

            Adieu, très célèbre, très grand et très illustre Prélat ; veuillez, pour l'amour du Christ, m'excuser et m'aimer : je vous en prie et supplie humblement.

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Genevois, 10 juillet.

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Autre minute de la lettre précédente (Fragment inédit)

 

            Illustrissime et Reverendissime Domine in Christo colendissime,

 

            Orbi et Urbi ignotus, ego qui minime sum dignus vocari Episcopus et simpliciter ambulans omnium mihi totique orbi notissimum et illustrissimum Cardinalem, [248] secundum eam quæ in Christo est charitatem, aggredior confidenter.

            Habemus hic quamdam viduarum ac virginum Congregationem, quæ licet verius Oblatæ quam proprii nominis Moniales esse videantur, tamen tantam pietatem undique spirant, ut quemadmodum de similibus Sanctus Gregorius Nazianzenus olim asseruit, ego quoque de istis dicere non verear : Mihi quidem etsi parvus est hujusmodi mulierum numerus, cælestibus pulcherrimisque Christi syderibus adeo gestio atque exulto, ut pro paucis his de virtutis præstantia, cum multo pluribus contentionem venire non dubitem.

            Colunt omnes castitatem sanctissime, obedientiam simplicissime, paupertatem religiosissime ; nam meum et tuum, frigida illa verba, non solum inter eas nemo audit, sed nec etiam in cor earum ascendit. Et modestiam ac verecundiam christianam tanta animi contentione complectuntur, ut quamvis clausuræ ex earum [249] ritu non sint alligatæ, clausuram nihilominus ex animi fervore propemodum servent perpetuam, cum nunquam, nisi ex gravissimis et piissimis causis extra domum pedem effectant (sic), nunquam autem sine urgentissimis, necessariis et a nobis scripto probatis causis viros in domum admittant.

            Habent ecclesiam et in ea altare exterius ad Missarum celebrationem, et chorum interius in quo quotidie statutis horis Officium Beatissimæ Virginis simul [concinunt], cantu ad pietatis regulas tam fœliciter formato, ut vix dici queat num psalmodiæ gravitatem suavitas, vel suavitatem gravitas superet.

            Sunt præterea addictissimæ orationi illi angelicæ quam mentalem vocant et, ut paucis concludam, sponsæ Christi sunt antiquas illas Paulas, Marcellas, Eustochios, Melanias imitatione representantes. [250]

            Tria autem, aut quatuor habent in usu pecularia (sic), quæ plerisque viris rerum nostrarum transmontanarum peritis æstimatoribus, maxime ad pietatem promovendum conducere videntur.

            Primum, mulieres seculares in suam domum interdum admittunt, non passim omnes, sed eas tantum quæ cum velint generales confessiones et exercitia quæ vocant spiritualia facere, opus habent in remotum a negotiis secularibus locum tantisper aliquot diebus secedere. Et sane, quam uberes fructus istarum hæc sacra hospitalitas afferat, nemo satis exprimere queat ; magna enim libertas qua in istis regionibus viri mulieribus mixti vivunt, plerumque impedit mulieres ne rite ad contritionem intimamque pœnitentiam per exercitia se inter domesticos præparare valeant, quibus propterea hac via succurritur. Deinde prospicitur etiam earum pudori ac verecundiæ dum peccata sua ad craticulas et fenestellas pro confessionibus Sororum Oblatarum [251] audiendis confessarios constitutas accersunt, neque quicquam in ea re istis maxime in partibus periculi unquam esse posse videtur.

            Secundum est, quod viduas interdum etiam aliquot mensibus secum habitare permittunt, sed eas tantum quæ cum veræ viduæ esse velint, dum de nuntio seculo ac nuptiarum interpellatoribus remittendo cogitant, thesaurum quem in vasis fictilibus portant, abscondere quærunt, ne in manibus illum portantes, a latronibus illas depredari contingat. Atque in hac etiam hospitalitate cum nihil periculi, plurimum sane compendii, attenta harum regionum conditione esse compertum est.

            Tertium, non Officium ecclesiasticum, sed tantum Officium Sanctissimæ Deiparæ recitant, quod ideo faciunt quia plerumque inter eas recipiuntur jam ætatis provectæ quæ Officium magnum vix addiscere possent ; deinde, quia breve illud Officium, magna vocum pausarumque [252] distinctione adhibita facile observant : quod nequaquam in magno Officio recitando præstare possent.

            Quartum est, quod incorrigibiles ejicere possunt, ea tamen lege ut prius Episcopum moneant, ejusque decreta expectent, et quicquid propter ejiciendam receperint, eidem restituant : quod quidem nunquam hactenus contigit. Cætera vero omnia, nihil omnino habent peculiare.

            Illa autem ita proposui quia, si istis servatis, vellet Summus Pontifex eas veri nominis Religionem amplecti, ego nullo negotio rem totam peragerem, eas Regulæ Sancti Augustini subjiciendo, et ad clausuram secundum Concilii Tridentini placita reducendo.

            Sin minus, Sua Sanctitas, quæ, quia omnium curam habet, omnibus omnia fieri debet, eas earumque Ecclesiam dignetur Indulgentiis cohonestare, et ad majores in pietate progressus excitare sua paterna et Apostolica Benedictione, cum earum mulierum ac virginum maxima pars sit nobilissima, et illustribus parentibus [253] ortarum et tota illa Congregatio etiam hæreticis sit in honore, dum illius pietas omnem etiam pietatis inimicorum pervicaciam superet.

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Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine Collonge, aumônier de la Visitation de Chambéry.

 

 

 

            Illustrissime et Révérendissime Seigneur, très vénéré dans le Christ,

 

            Ignoré du monde et de Rome, très indigne d'être appelé évêque, mais marchant en simplicité, j'aborde avec confiance, selon la charité [248] qui est dans le Christ, un Cardinal, de tous le plus illustre, et le plus connu de moi et du monde entier.

            Nous possédons ici une Congrégation de veuves et de vierges qui, bien qu'elles semblent être en vérité plutôt des Oblates que des Moniales proprement dites, respirent pourtant une telle piété, que je ne crains pas d'en dire ce que saint Grégoire de Nazianze affirmait jadis de leurs pareilles : N'ayant dans mon diocèse qu'un petit nombre de ces femmes, je suis tellement fier et joyeux de posséder ces célestes et très belles étoiles du Christ, que, pour l'excellence de la vertu, je ne redouterais pas la comparaison de ma petite troupe avec d'autres bien plus nombreuses.

            Elles observent très rigoureusement la chasteté, très simplement l'obéissance, très religieusement la pauvreté. Le mien et le tien, — ces froides paroles — non seulement on ne les saisit pas sur leurs lèvres, mais elles n'arrivent pas à leur cœur. Et elles embrassent [249] d'une telle ardeur la modestie, la réserve chrétienne que, bien que non obligées à la clôture par une Règle, elles n'en gardent pas moins, par suite de leur ferveur d'esprit, une clôture presque perpétuelle. Jamais, en effet, sans des motifs très graves et très pieux, elles ne mettent le pied hors de leur maison ; et jamais non plus elles n'en permettent l'entrée à aucun homme, sauf des cas d'extrême urgence et nécessité, reconnus tels par un écrit de notre main.

            Elles ont une église, et dans cette église un autel extérieur pour la célébration de la Messe, et, à l'intérieur, un chœur où elles se réunissent chaque jour à des heures fixées pour chanter en commun l'Office de la Bienheureuse Vierge. Leur chant est si heureusement adapté aux règles de la piété, qu'on ne saurait dire si, dans leur psalmodie, la douceur l'emporte sur la gravité, ou la gravité sur la douceur.

            En outre, elles sont très adonnées à cette prière angélique qu'on appelle oraison mentale. Pour conclure en peu de mots, ce sont des épouses du Christ, vivantes images de ces illustres dames de l'antiquité chrétienne : les Paule, les Marcelle, les Eustochium, les Mélanie. [250]

            Cependant, trois ou quatre usages leur sont particuliers, qui semblent fort propres, au jugement de la plupart de ceux qui connaissent nos mœurs de ce côté-ci des monts, à promouvoir la piété.

            Premièrement, elles admettent parfois chez elles des séculières, non pas toutes et au hasard, mais seulement celles qui, voulant faire des confessions générales et vaquer aux exercices qu'on appelle spirituels, ont besoin, dans ce but, de se retirer durant quelques jours dans un endroit éloigné des tracas du monde. Et certes, quelle abondance de fruits produit cette sainte hospitalité, nul ne saurait l'exprimer. En effet, la grande liberté qui unit la vie des hommes, en ces contrées, à celle des femmes, empêche le plus souvent celles-ci de se préparer, dans l'intérieur de leur famille, par des exercices convenables, à la contrition et à une intime douleur de leurs fautes. On leur rend ainsi service. De plus, on pourvoit également à leur modestie et à leur réserve ; car, aux confesseurs appelés, elles accusent leurs péchés à travers les grilles et les petites fenêtres [251] arrangées à cette fin pour les confessions des Sœurs Oblates. En cela, aucun danger, surtout en ces pays-ci, ne semble à craindre.

            Le second usage est qu'elles permettent parfois à des veuves d'habiter chez elles, même durant plusieurs mois ; à des veuves, dis-je, qui, voulant être des veuves véritables, cherchent à cacher, pendant quelque temps, pour dire adieu au monde et aux solliciteurs en mariages, le trésor qu'elles portent dans des vases d'argile ; de peur que, le portant dans leurs mains, au vu de tous, il ne leur arrive d'en être dépouillées par des larrons. Et dans ce genre d'hospitalité non plus, comme on n'a trouvé (vu les mœurs de ces régions) aucun péril, on y a aussi trouvé beaucoup d'avantages.

            Le troisième point consiste en ce qu'elles ne récitent pas l'Office ecclésiastique, mais seulement celui de la Très Sainte Mère de Dieu : ce qu'elles font, parce qu'on reçoit fréquemment chez elles des sujets d'âge avancé, qui pourraient bien malaisément apprendre le grand Office. D'autre part, elles récitent ce petit Office facilement, marquant avec une parfaite netteté les mots, les accents [252] et les pauses ; ce qui leur serait impossible dans la récitation du grand Office.

            En quatrième lieu, elles peuvent rejeter les sujets incorrigibles, à la Condition toutefois d'avertir préalablement l'Evêque, d'attendre sa décision, et de restituer à la personne renvoyée tout ce qu'elles en avaient reçu. Ce fait d'ailleurs ne s'est jamais produit jusqu'à ce jour. Tout le reste de leurs observances n'offre absolument rien à signaler.

            J'ai proposé tout ceci parce que, si, tout en maintenant ces diverses prescriptions, le Souverain Pontife voulait qu'elles se constituassent en Ordre religieux, je réaliserais facilement son désir en les soumettant à la Règle de saint Augustin et en les réduisant à la clôture selon l'esprit du Concile de Trente.

            Que du moins Sa Sainteté, qui a la charge de tous et doit se faire tout à tous, daigne leur accorder des Indulgences et en enrichir leur église ; qu'Elle daigne les encourager à progresser dans la piété par sa paternelle et Apostolique Bénédiction ; car la plupart de ces femmes et de ces vierges sont de haute noblesse et issues de parents [253] illustres, et cette Congrégation tout entière est respectée des hérétiques eux-mêmes, tant sa piété sait triompher de l'obstination des ennemis même de la piété.

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MCCXX. A M. Melchior de Cornillon, son Beau-Frère. « La plus favorable condition » que nous puissions attendre de la mort. — Remercier Dieu quand il nous laisse ceux que nous aimons ; acquiescer à sa volonté lorsqu'il nous les ôte.

 

Annecy, 13 juillet 1616,

 

            Monsieur mon cher Frere,

 

            La longueur du tems que monsieur vostre pere a vescu et les dernieres langueurs qui vous ont, il y a quelque tems, annoncé son trespas et menacé de son absence future, vous auront donné sujet de vous resoudre en la perte du bonheur que vous avies de le sentir encor [254] en ce monde ; car en somme, puisque nul n'est exempt de la mort, la plus favorable condition que nous puissions avoir d'elle, c'est quand elle nous laisse longuement jouïr de ceux a qui nous appartenons.

            Il faut donq loüer Dieu et le benir de la faveur qu'il vous a faite de vous avoir longuement maintenu ce pere, et acquiescer a la volonté par laquelle il vous l'a osté maintenant. Pour moy, je ne veux point icy user des termes ordinaires avec vous ; le lien qui me tient attaché a vostre amitié et service vous servira de gage et d'asseurance que je rendray bien mon devoir a prier pour le defunct et honnorer sa memoire, et, quant au reste, je suis,

            Monsieur mon Frere,

Vostre plus humble frere et fidelle serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 13 julliet 1616, Annessi.

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MCCXXI. A M. Claude Feydeau Doyen de Notre-Dame de Moulins. Remerciements à un protecteur du futur monastère de la Visitation de Moulins, auteur de « belles oraysons. »

 

Annecy, 17 juillet 1616.

 

            Monsieur,

 

            Ces bonnes Seurs de la Visitation qui iront la commencer une nouvelle Congregation, ne pourront qu'estre [255] grandement consolees, puisque vous les protegeéres au nom de Monseigneur l'Archevesque de Lyon, par l'authorité episcopale ; et loue Dieu de l'affection que vous tesmoignes a ce bon œuvre, duquel j'espere que vous aures contentement. [256]

            Cependant je vous rens graces des belles oraysons que vous m'aves communiquees, et du tiltre des beaux livres que vous aves ornés de vostre labeur, lesquelz je m'essayeray de voir, et, en correspondant a vostre dilection, tesmoigner, si jamais j'en ay le pouvoir, que je suis,

            Monsieur, …

 

            A Monsieur

Monsieur Feydeau, Docteur en Theologie,

Doyen de N. Dame de Moulins.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Orléans. [257]

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MCCXXII. Au même (Fragment). Le Saint recommande ses Filles au délégué de l'Archevêque de Lyon

 

Annecy, vers le 22 juillet 1616.

 

            Puisque Monseigneur de Lyon vous a establi son vicaire pour l'establissement et le progres de la Congregation de la Visitation de Moulins, c'est donq a vous, Monsieur, que j'addresse ces quatre lignes, affin que sous vostre authorité spirituelle, elles servent a ce dessein Dieu, qui, comme je l'espere, benira leur bonne volonté et leur desir…

 

Revu sur le texte inséré dans les Annales de la Visitation de Moulins,

conservées au Monastère de Nevers.

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MCCXXIII. A la Mère de Bréchard Supérieure de la Visitation de Moulins. Un service apostolique. — Quand est bonne la défiance de soi ; quand redoutable. — Dieu ne laisse jamais succomber ceux qui se confient en lui. — Accord de l'humilité, de l'obéissance et de la simplicité. — Avantages des infirmités corporelles. — Quelle est la plus rare vertu. — Sur quoi doit se fonder la charité envers le prochain. — Bénédiction paternelle

 

Annecy, 22 juillet 1616.

 

            Le service que vous alles rendre a Nostre Seigneur et a sa tres glorieuse Mere, est apostolique ; car vous alles [258] assembler, ma tres chere Fille, plusieurs ames en une Congregation, pour les conduire, comme une nouvelle bande, a la guerre spirituelle contre le monde, le diable et la chair, en faveur de la gloire de Dieu ; ou plustost, vous alles former un nouvel essaim d'abeilles qui, en une nouvelle ruche, fera le mesnage du divin amour, plus delicieux que le miel.

            Or, alles donq toute courageuse, en une parfaite confiance en la bonté de Celuy qui vous appelle a cette sainte besoigne. Quand est ce qu'aucun espera en Dieu et qu'il fut confus ? La desfiance que vous aves de vous mesme est bonne tandis qu'elle servira de fondement a la confiance que vous deves avoir en Dieu ; mais si jamais elle vous portoit a quelque descouragement, inquietude, chagrin et melancholie, je vous conjure de la rejetter comme la tentation des tentations ; et ne permettes jamais a vostre esprit de disputer et repliquer en faveur de l'inquietude ou de l'abbattement de cœur auquel vous vous sentires penchee, car cette simple verité est toute certaine : que Dieu permet arriver beaucoup de difficultés a ceux qui entreprennent son service, mays jamais pourtant il ne les laisse tomber sous le faix tandis qu'ilz se confient en luy. C'est, en un mot, le grand mot de vostre affaire, de ne jamais employer vostre esprit pour disputer en faveur de la tentation du descouragement, sous quel pretexte que ce soit, non pas mesme quand ce seroit sous le specieux pretexte de l'humilité.

L'humilité, ma tres chere Fille, fait refus des charges, mais elle n'opiniastre pas le refus ; et estant employee par ceux qui ont le pouvoir, elle ne discourt plus sur son indignité quant a cela, ains croit tout, espere tout, [259] supporte tout avec la charité ; elle est tous-jours simple. La sainte humilité est grande partisane de l'obeissance, et comme elle n'ose jamais penser de pouvoir chose quelcomque, elle pense aussi tous-jours que l'obeissance peut tout ; et comme la vraye simplicité refuse humblement les charges, la vraye humilité les exerce simplement.

            Vostre cors est imbecille, mays la charité, qui est la robbe nuptiale, couvrira tout cela. Une personne imbecille excite a un saint support tous ceux qui la connoissent et donne mesme une tendreté de dilection particuliere, pourveu qu'elle tesmoigne de porter devotement et amiablement sa croix. Il faut estre egalement franche a prendre et demander les remedes, comme douce et courageuse a supporter le mal. Qui peut conserver la douceur emmi les douleurs et alangourissemens, et la paix entre le tracas et multiplicité des affaires, il est presque parfait ; et bien qu'il se treuve peu de gens, es Religions mesmes, qui ayent atteint a ce degré de bonheur, si est ce qu'il y en a pourtant et y en a eu en tout tems, et faut aspirer a ce haut point.

            Chacun presque a de l'aysance a garder certaines vertus et de la difficulté a garder les autres, et chacun dispute pour la vertu qu'il observe aysement et tasche d'exagerer les difficultés des vertus qui luy sont malaysees. Il y avoit dix vierges, et n'y en avoit que cinq qui eussent l'huyle de la douceur misericordieuse et debonnaireté. Cette egalité d'humeur, cette douceur et suavité de cœur est plus rare que la parfaite chasteté, mais elle n'en est que plus desirable. Je la vous recommande, ma tres chere Fille, parce qu'a icelle, comme a l'huyle de la lampe, tient la flamme du bon exemple, n'y ayant rien qui edifie tant que la charitable debonnaireté.

            Tenes bien la balance droitte entre vos filles, a ce que les dons naturelz ne vous facent point distribuer iniquement vos affections et bons offices. Combien y a-il de personnes maussades exterieurement, qui sont tres aggreables aux yeux de Dieu ! La beauté, la bonne grace, le bien parler donnent souvent des grans attraitz aux personnes qui vivent encor selon leurs inclinations ; la [260] charité regarde la vraye vertu et la beauté cordiale, et se respand sur tous sans particularité.

            Alles donq, ma chere Fille, a l'œuvre pour laquelle Dieu vous a esleuë. Il sera a vostre dextre, affin que nulle difficulté ne vous esbranle ; il vous tiendra de sa main, affin que vous suivies sa voye. Ayés donq un grand courage, non seulement grand, mais de grande haleine et de grande duree, et pour l'avoir, demandés-le souvent a Celuy qui seul le peut donner ; et il le vous donnera, si en simplicité de cœur vous correspondes a sa grace. L'amour, paix et consolation du Saint Esprit soit a jamais en vostre ame. Amen.

            Vous estes ma fille, et d'une dilection paternelle je vous donne la sainte benediction. De Dieu benite soyes vous en allant, en demeurant, en servant Dieu, en servant le prochain, en vous humiliant jusques dans vostre neant, en vous relevant jusques dedans vostre Tout ; et Dieu soit uniquement vostre tout, ma tres chere Fille. Amen.

FRANCS, E. de Geneve.

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MCCXXIV. A la Soeur Bailly, Religieuse de la Visitation (Inédite). Bonheur, qualités et vertus d'une fondatrice d'une Maison religieuse.

 

Annecy, 22 juillet 1616.

 

            Vous estes bien heureuse, certes, d'aller servir a la fondation d'une nouvelle Congregation de servantes de [261] Dieu, car c'est un office angelique. Contribues y donq de bon cœur vostre personne et tout ce qui en depend ; joignés l'humilité a la sainte confiance et allegresse d'esprit, vous resouvenant qu'en l'ancienne Loy on recevoit au Tabernacle l'offrande de ceux qui, n'ayans autre chose, presentoyent de bon cœur des poilz de chevre pour faire le cilice duquel le Tabernacle estoit couvert. Alles joyeusement donq, et, telle que vous estes, offres-vous humblement a ce saint service de Nostre Seigneur.

            Aymés perseveramment vostre propre abjection ; cherisses le mespris et caresses les croix que Dieu peut estre permettra vous arriver. Tenes vous ferme en la sainte douceur, et Dieu vous benisse a jamais, ma tres chere Fille, comme en son nom je vous benis. Amen, ainsy soit il.

FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Rome. [262]

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MCCXXV. A la Soeur Humbert, Religieuse de la Visitation. Assurance et remède contre les tentations. — Ne pas s'affliger de ce qui ne peut séparer de Notre-Seigneur. — Souhaits et bénédictions.

 

Annecy, 22 juillet 1616.

 

            A ma tres chere Fille, ma Seur Marie Avoye Humbert.

 

            Ne vous troubles nullement pour ces imaginations et pensees estranges ou terribles qui vous arrivent, car, selon la veritable connoissance que j'ay de vostre cœur, je vous asseure devant Nostre Seigneur que vous n'en pouves encourir aucun peché. Et pour vous affermir en cette creance, a la fin de vostre exercice du matin, desadvoués par une courte et simple aversion toutes sortes de pensees qui sont contraires a l'amour celeste, comme disant : Je renonce a toutes cogitations qui ne sont pas pour vous, o mon Dieu ; je les desadvoue et rejette a jamais. Puys, lhors qu'elles vous attaquerons (sic), vous n'aures rien a dire, sinon par fois : O Seigneur, je les ay rejettees, vous le sçaves. Quelquefois, vous bayseres vostre croix, ou feres quelqu'autre signe que vous confirmes vostre desaveu. Et ne vous fasches point, ne vous tormentes point, puisque tout cela non seulement ne vous separe point de Nostre Seigneur, mais vous donne sujet de vous unir de plus en plus a sa misericorde.

            Alles donq doucement et suavement en paix, servir Dieu et Nostre Dame ou vous estes appellee par leur volonté, et la grace et consolation de son Saint Esprit soit a jamais avec vous. Amen. [263]

            Ma très chere Fille, vives en Dieu doucement et simplement, avec un continuel amour de vostre propre abjection, et un grand courage a servir Celuy qui, pour vous sauver, est mort en la .

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nevers.

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MCCXXVI. A la Soeur de la Croix, Religieuse de la Visitation. Pourquoi la destinataire a été choisie pour une fondation, malgré sajeunesse.

 

Annecy, 22 juillet 1616.

 

VIVE JESUS !

 

            Vous estes employee bien jeune a de grandes œuvres : cela vous doit faire humilier profondement, et vous faire resoudre a fidellement obeir aux Regles et a vostre Superieure ; car c'est pour [ce] service qu'on vous a choisie, affin que, comme d'autres serviront de bon exemple aux filles plus avancees en aage qui se rangeront a la Congregation, vous servies aussi de patron aux plus jeunes ; ce qui est extremement important, car Dieu ayme tres particulierement les premices des annees et desire qu'elles luy soyent consacrees. Alles donq bien sagement, ma chere Fille ; faites que vostre humilité, obeissance, douceur et [264] modestie serve de miroir aux jeunes et de consolation aux autres.

            Dieu soit a jamais avec vous et vous veuille benir de sa dextre. Amen. Vive Jesus !

FRANÇS, E. de Geneve.

 

            A ma tres chere Fille,

Ma Seur Jeanne Marie de la Croix, ma Niece.

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MCCXXVII. Au Chanoine Roland Viot Prévot de l'hospice du Grand-Saint-Bernard. Un accommodement dont le Saint espère bientôt la conclusion.

 

Annecy, 23 juillet 1616.

 

            Monsieur,

 

            Encor qu'en l'assemblee que nous avons tenue maintenant, le different que nous avons n'ayt pas esté du tout terminé, si est ce toutefois que l'accommodement en a esté tellement acheminé, qu'il sera aysé, au premier rencontre, de le parachever, ainsy que monsieur Pergod et le sieur Enpio vous en feront plus amplement le [265] recit. A quoy servira beaucoup le desir extreme que j'ay de vous honnorer et conserver vostre amitié, laquelle je vous supplie me departir continuellement, puisque, vous souhaitant toute sainte benediction, je veux estre toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre plus humble, tres affectionné confrere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            23 julliet 1616.

 

            A Monsieur

Monsieur le Prevost de St Bernard.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'Hospice du Grand-Saint-Bernard.

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MCCXXVIII. A Madame de la Fléchère. Troubles à Annecy. — Arrivée de Bonfils. — Nouvelles de la Visitation

 

Annecy, 24 ou 25 juillet 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous escris hors d'haleyne, allant dire la Messe solemnelle et prescher.

            Nous avons icy M, de Charmoysi et M. de Vallon, et sommes grandement embarassés de ces troubles. [266] M. Bonfilz s'estoit retiré a Sessel aupres de Sa Grandeur, mais il revint hier bien tard, et croy que c'est pour apporter quelque parole et s'entremettre a l'accommodement de ce mal heur.

            Les Seurs partirent vandredi, le reste se porte bien et la niece triomphe.

            Dieu nous veuille donner l'esprit de son saint et pur amour. Amen. Je salue de tout mon cœur vostre chere compagne, et tres humblement madame la Contesse et sa digne trouppe.

VIVE JESUS !

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la comtesse Balbo, à Turin. [267]

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MCCXXIX. A la même. Le prince héritier de la couronne de Savoie. — Deux visiteuses attendues au monastère d'Annecy. — Une heureuse novice. — Arrestation de Bonfils ; souhaits du Saint pour le prisonnier

 

Annecy, 14 août 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous escrivis des-ja l'autre jour la lettre ci jointe, mais l'homme qui accompaigna monsieur de Monthouz, qui m'avoit rendu la vostre, ne vint point prendre ma lettre, que je sache. Despuis, comme vous aves sceu, Monseigneur le Prince vint icy, a la bonté duquel je suis infiniment obligé, et avec tout le reste du païs je dois mille et mill'actions de graces a la divine Providence qui nous a donné un homme tant plein de vertu et de benedictions pour dominer un jour entre nous. Il failloit que mon cœur rendit ce tesmoignage a celuy de ma tres chere fille, de la consolation que j'ay de voir ce Prince tant rempli de la sainte crainte de Dieu.

            Vous pourres venir icy a vostre gré, car nostre Mere n'aura point de plus grand playsir que de vous voir, et ne croy pas quil y ayt aucun danger en chemin ; et ne faut non plus faire difficulté pour madamoyselle de Beaufort. Mays voÿés vous, ma tres chere Fille, [268] vous sçaves bien cela, que la Visitation est toute vostre, et nostre Mere et toutes les Seurs, et a madamoyselle de Beaufort, ainsy que vous le jugeres a propos.

            La chere niece est si grandement consolee, que son ame est comme une petite pouponne aux mammelles de la douceur caeleste. Je ne luy ay point parlé qu'une fois il y a trois semaines, mais je n'ay pas laissé de connoistre la bonté que Dieu exerce en elle. En somme, Dieu est bon, et bienheureux est le cœur qui l'ayme.

            Le sieur Bonfilz a esté saysi ce soir passé, environ les onze heures, et mené prisonnier a Chamberi ou Miolans, par ordre de Monseigneur le Prince. On a quant et quant cacheté ses coffretz et son logis ; cela rendra plus malaysé vostre payement. Je parleray a Messieurs de la justice, pour voir ce qui se pourroit faire pour vostre payement. Ce bon homme ne me voyoit point, des il y a quelque tems, et avoit protesté a Sessel de ne me vouloir jamais aymer, sans quil eut ni rayson ni sujet quelcomque de faire telle declaration ; c'est pourquoy, quoy que diverses fois il fut venu icy, je n'avois pas eu moyen de luy parler de vostre affaire. Hier seulement, en passant, il me saluâ et moy luy. Helas, ma tres chere Fille, Dieu sçait si je luy souhaite les biens infinis de la paix, consolation et grace du Saint Esprit. Mays a vous, ma tres chere Fille, cela ne se peut dire [269] combien mon ame en souhaite, et a nostre chere seur de Mieudri.

            Annessi, le XIIII aoust 1616.

            Je salue tres humblement madame la Comtesse et mesdames ses filles et les miennes, car il faut dire ainsy.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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MCCXXX. A la Mère de Chantal. Oraison du Saint la veille de l'Assomption. — Marie, morte d'amour, nous fasse vivre en l'amour ! — Glorieuse date de la naissance de François de Sales. — Le rameau de la colombe au milieu du déluge

 

Annecy, 15 août 1616.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je considerois au soir, selon la foiblesse de mes yeux, cette Reyne mourante d'un dernier acces d'une fievre plus suave que toute santé, qui est la fievre d'amour, laquelle, desseehant son cœur, en fin l'enflamme, l'embrase et le consomme, de sorte qu'il exhale son saint esprit, lequel s'en va droit entre les mains de son Filz. Ah ! veuille cette Sainte Vierge nous faire vivre, par ses prieres, en ce saint amour ! Qu'il soit a jamais le tres unique objet de nostre cœur ; que puisse nostre unité rendre a jamais gloire a l'amour divin, qui porte le sacré nom d'« unissant. »

            Je n'ay pas une si heureuse naissance, ma tres chere [270] Mere, que d'avoir paru en ce monde au jour auquel la tres sainte Vierge nostre Reyne parut au Ciel

En son beau vestement de drap d'or recarne,

Et d'ouvrages divers a l'esquille semé,

ainsy que nous dirons Dimanche, jour auquel je nasquis, avec cette gloire que ç'a esté entre les octaves de cette grande Assomption. Ah Dieu ! ma tres chere Mere, que je veux approfondir creusement nostre cœur devant cette Dame eslevee, affin qu'il luy playse le remplir de cette surabondante rosee d'Hermon, qui distille de toutes parts de sa sainte plenitude de graces.

            Oh, quelle perfection toute souveraine de cette colombe, au prix de laquelle nous sommes des corbeaux ! Helas ! parmi le deluge de nos miseres, j'ay souhaitté qu'elle treuvast le rameau de l'olive du saint amour, de la pureté, de la douceur, de l'orayson, pour le rapporter en signe de paix a son cher Colombeau, a son Noé.

            VIVE JESUS, VIVE MARIE, le support de ma vie ! Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCCXXXI. Au duc Roger de Bellegarde. L'amour parfait exclut les défiances. — La « coustume des peres. » — Un livre qui suppléera à la rareté des lettres. — Eloge du prince de Piémont

 

Annecy, 15 août 1616.

 

            Il ne faut jamais, certes, Monsieur, puisque j'ay lhonneur que vous soyes mon tres cher filz, il ne faut point faire d'excuses quand vous ne m'escrives pas ; car je ne puis non plus douter de vostre amour filial envers moy, que je ne puis vivre sans sentir continuellement dedans mon cœur les eslans de l'amour paternel envers vous. Les defiances n'ont point de lieu ou l'amour est parfait. [271] Mays il est vray toutefois, Monsieur mon Filz, que vos lettres m'apportent tous-jours une delectation extreme, y voyant, ou du moins entrevoyant, les traitz de vostre bonté naturelle et de la sainte charité de vostre ame, qui produit et nourrit la douceur de vostre dilection filiale que vous respandes sur moy et qui me remplit de suavité. Faites donq, Monsieur mon Filz, faites souvent, je vous supplie, cette grace a mon esprit, mais seulement pourtant, quand vous pourrés bonnement sans vous incommoder ; car, quoy que vos lettres me soyent plus delicieuses que je ne puis dire, si elles vous coustoyent de l'incommodité elles me seroyent douloureuses, aymant plus vostre playsir que le mien, selon la coustume des peres.

            Et moy ce pendant, Monsieur mon tres cher Filz, affin de suppleer en quelque sorte les defautz que le manquement de commodités me pourroyent (sic) faire faire de vous escrire souvent, je vous envoye le livre de l'Amour de Dieu que j'ay n'a guere exposé aux yeux du monde ; et vous supplie que si quelquefois l'affection que vous aves pour moy, vous donnoyt quelque desir d'avoir de mes lettres, vous prenies ce Traitté et en lisies un chapitre, vous imaginant que s'il y a point de Theotime au monde auquel s'addresse (sic) mes paroles, vous estes celuy entre tous les hommes, qui estes mon plus cher Theotime.

            Le libraire a laissé couler plusieurs fautes en cet œuvre, et moy aussi plusieurs imperfections ; mays sil se treuve des besoignes parfaites en ce monde, elles ne doivent pas estre cherchees en ma boutique. Si vous lises celle ci de suite, elle vous sera plus aggreable a la fin.

            Nous avons icy despuis trois jours Monseigneur le Prince de Piemond, qui me fit lhonneur de venir descendre chez moy tout a l'improuveu, estant venu par les postes, luy septiesme ; despuys, il a esté logé au chasteau. C'est le plus doux, gracieux et devot Prince [272] qu'on puisse voir ; un cœur plein de courage et de justice, une cervelle pleine de jugement et d'esprit, un'ame qui ne respire que le bien et la vertu, l'amour de son peuple et sur tout la crainte de Dieu. Vous sçaures, je m'asseure, avant la reception de la presente, les causes de sa venue.

            Reste, Monsieur mon tres cher Filz tres honnoré, que je vous souhaite toutes les benedictions celestes ; et c'est la respiration ordinaire de mon cœur, puisque j'ay la faveur et le bonheur d'estre advoüé vostre Pere, et que je dois estre et suis a jamais,

Vostre tres humble, tres dedié et tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XV aoust 1616, Annessi.

            Monsieur, c'est tout a la haste que j'escris, et je m'asseure que de Lyon vous recevres un autre livre, selon l'ordre que j'en avois donné. O mon Dieu, que je me res-jouis de la grossesse de madame vostre seur, qu'on m'asseure.

 

Revu sur l'Autographe qui se conservait à Evian, chez les Missionnaires

de Saint-François de Sales. [273]

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MCCXXXII. Au Prince de Piémont Victor-Amédée. Un dessein sur Genève

 

Annecy, 23 août 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Vostre Altesse aura memoire que je luy dis dans sa chambre, qu'il y avoit un homme lequel, des quelques annees, avoit desiré de proposer quelque dessein pour Geneve a Son Altesse. Maintenant donq il est revenu a moy, qui le rens porteur de cette lettre, affin que si Vostre Altesse le treuve a propos, elle l'escoute sur ce sujet ; car a cette seule intention je l'ay renvoyé vers [274] elle, a laquelle faysant tres humblement la reverence, je suis,

            Monseigneur,

Tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve,

            23 aoust 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCXXXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'avis du Saint sur un projet au sujet de Genève. — Témoignage en faveur de son auteur

 

Annecy, 29 août 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Il y a deux ans que ce porteur m'a communiqué un dessein qu'il a pour le service de Vostre Altesse, et sur la commodité de la presence de Monseigneur le Prince, il le luy a declaré ; et croy que mesme il aura receu commandement de le representer a Vostre Altesse, bien qu'a mon advis il ne soit pas tems de rien toucher du costé auquel le dessein vise. Mays, en toute façon, j'atteste en bonne foy que despuis que j'en ay eu la communication, ce porteur n'a cessé de desirer de le proposer, et s'est engagé en la trouppe delaquelle il est, expres pour avoir sujet et moyen d'approcher Vostre Altesse, ainsy qu'il m'a tous-jours asseuré et qu'il a desiré que je fisse sçavoir a Vostre Altesse, a laquelle je fay tres humblement la reverence et suis,

            Monseigneur,

Tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIX aoust 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [275]

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MCCXXXIV. Au même. François de Sales offre à son prince le Traitté de l'Amour de Dieu

 

Annecy, 6 septembre 1616.

 

            Monseigneur,

 

            J'offre a Vostre Altesse un Traitté de l'Amour de Dieu que j'ay mis en lumiere ces jours passés ; non que je l'estime digne des yeux d'un si grand Prince, mays affin qu'en ce que je puis, je face hommage a Vostre Altesse luy presentant les fruitz de mes labeurs, comme issus d'une personne qui ne pensera jamais d'avoir rien de plus cher en ce monde que l'honneur d'estre advoüé,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 6 septembre 1616.

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MCCXXXV. A la Mère de Chantal (Fragment). Une des joies du Saint dans le Ciel. — Fleurs à jeter sur le berceau de Marie.

 

Annecy, 7 septembre 1616.

 

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            Je vis en esperance, ma tres chere Fille, que si mon ingratitude ne me forclost point du Paradis, je jouiray un [276] jour par complaysance de la gloire eternelle en laquelle vous vous plaires par jouissance, apres avoir saintement porté la croix en cette vie, que le Sauveur vous a imposee, du soin de le servir fidellement en vostre personne et en la personne de tant de cheres Seurs, qu'il veut estre vos filles en ses entrailles.

            Je les salue, ces tres cheres filles, en l'amour de la tres sainte Vierge, sur le berceau de laquelle je les invite de jetter tous les matins des fleurs pendant cette sainte octave : des saintz soucys de la bien imiter, des pensees de la servir a jamais, et sur tout des lis et des roses de pureté et ardente charité, avec les violettes de la tres sacree et tres desirable humilité et simplicité.

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FRANÇS, E. de Genève.

            Ce 7 septembre 1616.

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MCCXXXVI. A la Mère de Bréchard Supérieure de la Visitation de Moulins. Les débuts de la fondation du monastère de Moulins. — Quels sont les signes de la bonté d'une œuvre. — La tentation des « anges terrestres. » — Encouragements à la générosité et à la confiance

 

Annecy, 19 septembre 1616.

 

            Je n'ay receu aucune de vos lettres, ma tres chere Fille, despuis vostre depart ; cela, je vous prie, que veut il dire ? Or, je sçai bien neanmoins que vostre charité est invariable.

            Mays j'apprens par lettres venues de Lyon, que vous estes malade, et un peu mesme estonnee de n'avoir pas [277] treuvé les choses en si bons termes comme nostre desir nous le faysoit imaginer. Voyla, ma tres chere Fille, des vrays signes de la bonté de l'œuvre : l'acces y est tous-jours difficile, le progres un peu moins, et la fin bienheureuse. Ne perdes point courage, car Dieu ne perdra jamais le soin de vostre cœur et de vostre trouppe, tandis que vous vous confieres en luy. La porte des consolations est malaysee ; la suite sert de recompense. Ne vous degoustes point, ma chere Fille, et ne laisses point affoiblir vostre esprit entre les contradictions. Quand fut ce que le service de Dieu en fut exempt, sur tout en sa naissance ?

            Mais il faut que je vous die naïfvement ce que je crains plus que tout en cette occurrence : c'est la tentation des aversions et repugnances entre vous et nostre [Sœur des Gouffiers], car c'est la tentation qui arrive ordinairement es affaires qui dependent de la correspondance de deux personnes ; c'est la tentation des anges terrestres, puisqu'elle est arrivee entre les plus grans Saintz, et c'est nostre imbecillité, de tous tant que nous sommes enfans d'Adam, qui nous ruine, si la charité ne nous en [278] delivre. Quand je voy deux Apostres se separer l'un de l'autre pour n'estre pas d'accord au choix d'un troisiesme compaignon, je treuve bien supportables ces petites repugnances, pourveu qu'elles ne gastent rien, comme cette separation-la qui ne troubla point la mission apostolique. Si quelque chose de tel arrivoit entre vous deux, qui estes filles, cela ne seroit pas estrange, pourveu qu'il ne durast pas. Mays neanmoins, ma tres chere Fille, rehausses vostre esprit, et voyes que vostre action est de grande consequence. Souffrés, ne despités point, adoucisses tout, regardes que c'est la besoigne de Dieu a laquelle cette dame s'employe selon son sentiment, et vous selon le vostre, et que toutes deux vous deves entreporter et entresupporter pour l'amour du Sauveur. Deux ou trois annees se passent bien tost, et l'eternité demeure.

            Vostre maladie corporelle sert de surcharge, mais l'assistance promise aux affligés vous doit grandement fortifier. En somme, gardes vous bien des descouragemens. Croyes-moy, il faut semer en travail, en perplexité, en angoisse, pour recueillir en joye, en consolation, en bonheur, et la sainte confiance en Dieu adoucit tout, impetre tout et establit tout.

            Je suis tout vostre, certes, ma tres chere Fille, et je ne cesse point de prier Dieu qu'il vous face sainte, forte, constante et parfaite en son service. Je salue tres cordialement nos cheres Seurs, et les conjure de prier Dieu pour mon ame, inseparable de la vostre et des leurs en la dilection qui est selon Jesus, nostre Sauveur.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCCXXXVII. A Madame des Gouffiers, a Moulins. L'union, condition de la force. — Les renardeaux dans les vignes. — Se garder de la prudence humaine

 

Annecy, 19 septembre 1616.

 

            Cette grande chere Fille qui n'escrit point meriteroit qu'on la laissast aussi en son silence ; mays mon affection ne le permet pas. Et que vous diray-je donq, ma tres chere Fille ? Je vous recommande la confiance en Dieu, la parfaite simplicité, la sincere dilection.

            Vous aves la ces pauvres cheres Seurs, lesquelles sont sous vostre credit, et dependent de vostre assistance au progres du service pour lequel elles sont allees : unissés vos cœurs et foibles forces, car par l'union vous prendres des forces invincibles.

            Nostre Mere vous dira peut estre, si elle en a le lovsir, la crainte que j'ay que les renardeaux n'entrent dans cette petite nouvelle vigne pour la demolir ; je veux dire les aversions et repugnances, qui sont les tentations des Saintz. Estouffés les en leur naissance ; tenes vostre charité bandee et tenes pour suspect tout ce qui sera contraire a l'union, au mutuel support, a la reciproque estime que vous deves avoir les unes envers les autres. Gardes vous de la prudence humaine, que Nostre Seigneur estime folie, et travaillés en paix, en douceur, en confiance, en simplicité.

            Si tost que vous aures fait ce que vous aves a faire, vous feres bien d'achever vostre affaire particuliere. [280] Vives toute dans les entrailles de la charité divine, ma tres chere Fille, a qui je suis de tout mon cœur

Vostre serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            Le 19 septembre 1616.

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MCCXXXVIII. A Sœur Françoise de Cerisier, Clarisse d’Annecy. Charitable intervention du Saint dans une affaire.

 

Annecy, 26 septembre 1616.

 

            Ma tres chere Cousine,

 

            J'ay parlé au R. P. Gardien, par le commandement de Son Altesse, et il m'a dit quil attendoit dans peu de jours le P. Provincial, a la venue duquel la resolution se fera sans replique, et Son Altesse luy recommandera l'affaire, selon que ce matin elle me l'a dit. Pour moy, je treuve bon que vous voyies une fin de cette poursuite, et il ne tiendra pas aux prieres que j'en feray au P. Provincial et au P. Gardien.

            Vives tous-jours toute a Dieu, et me recommandes [281] souvent a sa misericorde et a la charité de la Rde Mere, afin qu'elle me face part de ses prieres, et a celle des autres Seurs.

Vostre tres humble cousin et frere en N. S.,

FRANCS, E. de Geneve.

            XXVI septembre 1616.

 

Seur Françoise de Cerisier,

            Religieuse de Ste Claire.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Dole.

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MCCXXXIX. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Démarche du Fondateur auprès des syndics pour garantir les matériaux de l'église de la Visitation

 

Annecy, commencement d'octobre 1616.

 

            Nous ferons parler aux scindiques, ma chere Mere ; car, quant a Son Excellence, il ne faut pas, en cette [282] presse, l'incommoder. Pour la chaux et le sable, il sera malaysé de la garentir, mais il faudra la faire appretier. Sil failloit employer quelqu'un pour le bois du clocher, ce seroit M. de Monthouz ; mais je m'en vay envoyer parler aux scindiques.

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Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Routier, curé de Saint-Nizier, à Lyon.

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MCCXL. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier (Inédite). La fidélité d'un porteur de lettrés qui ne doit pas être suspectée. — Nouvelles de guerre

 

Annecy, 5 octobre 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Ce jeune homme de cette ville allant a Tolose pour y estudier en droit, je ne puis que je ne vous salue tres [283] humblement par la commodité quil me donne de vous faire presenter ces quatre lignes, auxquelles je joins une lettre de nostre grand amy, que j'aurois bien apprehension d'envoyer avec les marques d'avoir esté declose (comme en effect elle me fut rendue telle), si je n'estois asseuré de la confiance que vous aves en ma fidelité. Je l'ay donq fait fermer de mon cachet, affin que, si d'adventure le paquet s'ouvroit, comme fit celuy dans lequel elle me fut addressee, elle ne fust pas ouverte par le froissement du port ; car c'est ainsy qu'elle fut declose, et non par la malice du porteur, qui me rendit tout le paquet debiffé, mais en sorte que je conneus quil ny avoit point touché.

            Nous sommes a la veille de recevoir bravement nos ennemis, silz sont resolus, comm' on nous menace, de venir a nous, et esperons que Dieu regardera nostre innocence. On ne laisse pas pourtant de travailler a la reunion des Princes, sous le credit desquelz on nous dit que tout ce malheur nous est preparé. [284]

            Dieu, par sa bonté, nous veuille donner sa tressainte paix, et vous conserver a longues annees, Monseigneur, a qui je suis,

Tres humble et tres obeissant confrere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            5 octobre 1616.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Montpellier.

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MCCXLI. A Madame de la Fléchère. Départ du prince de Piémont, — Condition pour obtenir un bénéfice. — Nouvelles différées

 

Annecy, 6 octobre 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Le Prince part aujourdhuy et M. de Charmoisy le suit pour la conduite de l'artillerie. Au retour, je tireray quelque resolution du tems auquel on pourra terminer l'affaire que vous aves avec M. de Monregard. Cependant, ces bons Peres vous consoleront, et j'escris [285] a M. Rivolat quil s'exerce a faire la Doctrine chrestienne ; cela le disposera a pouvoir obtenir quelque benefice et a le servir.

            Je vous salue de tout mon cœur, lequel, comme vous sçaves, souhaite mille et mille benedictions au vostre, auquel je diray a nostre premiere veue deux nouvelles pour Rumilly qui luy seront des plus aggreables. Mays il y faut tant de secret, que je ne les veux pas escrire.

            Ce VI octobre 1616.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

MCCXLII. A Madame des Gouffiers. Difficultés et épreuves de la Visitation de Moulins. — La présence de la Mère de Chantal indispensable à Annecy. — Que Mme des Gouffiers supporte courageusement le fardeau que sa bonne volonté lui a fait désirer. — Pourquoi le Fondateur ne veut pas multiplier les Maisons de sa Congrégation

 

Annecy, 8 octobre 1616.

 

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vigne ; et voyla que ces infirmités se sont interposees, qui la tiennent au lit et hors du train requis ; et a cela surviennent des aversions et repugnances, [286] infirmités spirituelles. Or sus, embarqués pourtant que l'on est, il ne faut pas perdre courage, mais user de toute la dexterité possible pour empescher que nos imbecillités ni (sic) scandalisent point ceux du monde. Et puis que le P. Recteur propose un expedient, il le faut prendre tel quil le dit, hormis qu'apres avoir envoyé a vostre choix ce qui sera plus propre pour cette Mayson-la et pour Rion, vouloir encor faire faire des absences a nostre Mere, c'est dire quil faut demanteler cette Mayson et la laisser a la merci des vens ; car, comme vous sçaves, il y a peu de Meres et beaucoup de filles, [287] dont les unes sont des-ja venues, les autres viendront au premier jour, et il faut une Mere icy qui suffise a tout ; laissant a part les grandes bonnes affaires qui sont par deça pour cette Congregation, ausquelles nostre seule Mere peut respondre.

            Ce pendant donq, supportes, ma tres chere Fille, le fardeau que vostre bonne volonté au service de Dieu vous a fait desirer et prendre sur vos espaules, lesquelles seront asses fortes pour cela si vous vous appuyes un peu sur la Croix de Nostre Seigneur, en laquelle il a porté sur les siennes le faix de tant d'iniquités et miseres. Si vous juges avec le P. Recteur quil soit expedient que vous venies vous mesme, nous vous verrons, et parlerons plus clairement des raysons que nous avons de ne vouloir pas meshuy multiplier les familles de cette Congregation, jusques a ce que nous ayons des meres de famille convenables. Mays tenes vostre cœur en charité, c'est a dire, supportes le prochain, car ce support est la charité, et la charité, ce support.

            Pries bien Dieu pour moy, et saches que je suis invariablement vostre, de toute mon affection.

            Le VIII octobre 1616.

 

A ma tres chere Fille en N. S.,

            Madame de Gouffiez.

            A Moulins.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Reims. [288]

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MCCXLIII. A la Mère de Bréchard Supérieure de la Visitation de Moulins. La « plus excellente leçon de la doctrine des Saintz. » — Souhaits de François de Sales à une fille de son cœur.

 

Annecy, 8 octobre 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

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            Les aversions et repugnances dequoy on nous escrit nous exercent un peu. O Dieu ! quand sera-ce que le support du prochain aura sa force dans nos cœurs ? C'est la derniere et plus excellente leçon de la doctrine des Saintz : bienheureux l'esprit qui la sçait. Nous desirons du support en nos miseres, que nous treuvons tous-jours dignes d'estre tolerees ; celles du prochain nous semblent tous-jours plus grandes et pesantes.

            Dieu vous face sainte, ma tres chere Fille, et toute vostre chere troupe. Dieu soit exalté en vos miseres, sur le throsne de sa bonté et le theatre de vostre pure et sincere humilité. Dieu vous face tout faire pour sa gloire, affin qu'un jour vous en soyes couronnee.

            Ma tres chere Fille, vous estes la fille de mon cœur, et je ne laisseray jamais de souhaiter que vous soyes la fille du cœur de Dieu, qui nous a donné des cœurs affin que nous fussions ses enfans, en l'aymant, benissant et servant es siecles des siecles.

            VIVE JESUS !

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 8 octobre 1616. [289]

 

MCCXLIV. A M. Claude de Blonay (Inédite). Résolution prise dans une assemblée présidée par le prince de Piémont. — La communiquer au Conseil de la Sainte-Maison de Thonon

 

Annecy, 10 octobre 1616.

 

            Monsieur,

 

            Il y a quelques jours que Son Altesse fit un' assemblee pour prendre les resolutions convenables a la reparation des Monasteres, tant en ce qui regarde les bastimens temporelz qu'aussi en ce qui regarde l'edifice spirituel de la discipline reguliere.

            Et quant a la premiere, sadite Altesse a ordonné que, venant a vaquer des prebendes, on les retienne vaquantes jusques a ce que autrement soit prouveu. Je le dis au P. D. Fulgence avant son depart ; mais sachant quil y a une place vacante maintenant, je vous prie de la [290] retenir vacante, c'est a dire, de faire que le Conseil, auquel il appartient de prouvoir, sursoye. Et pourres, sur cette lettre que je vous fay, en parler audit Conseil de la part de Son Altesse, puisqu'elle m'a commandé d'y tenir main, et que je le prie tenir…, suppliant Monseigneur lArchevesque de le faire, comme je fay par la lettre ci jointe, en vous tesmoignant que je desire que vous y ayes l'œil entant quil vous compete, vous parlant de la part de Son Altesse, et au Conseil par vostre entremise, et n'adjoustant plus rien, sinon que je suis,

            Monsieur,

Vostre plus humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            X octobre 1616, Annessi.

 

            Monsieur

Monsieur de Blonnay,

            Prefect de la Ste Mayson.

 

Revu sur une copie conservée à Rome, dans les Archives des RR. PP. Barnabites. [291]

 

MCCXLV. A M. Laurent Scotto (Inédite). Pouvoirs spirituels donnés au destinataire.

 

Annecy, 12 octobre 1616.

 

            Molto Reverendo Signor osservandissimo,

 

            Io non son huomo di ceremonie, massime con V. S. molto Reverenda, laquale io credo certo che me voglia bene sinceramente, sì come io desidero di servirla di cuore. Onde non accadeva usar meco scuse sopra la sua inopinata partenza.

            Si prevaglia poi dell'authorità che Iddio mi ha concessa, per le confessioni et assolutioni di quelle anime, [292] chè io volontieri con lei la communico e glie ne dò quella parte che secondo la prudenza sua giudicarà esser necessaria per gloria di Dio e salute del prossimo, acciochè con maggior animo Ella adopri il sacro talento che dal Signor gli è stato dato.

            Et fratanto, pregandogli ogni vero contento, resto

Suo affettionatissimo fratello et servitore in Christo,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            XII ottobre 1616, in Annessi.

 

            All' Illustre et molto Rdo Sigr,

Il Sigr Lorenzo Scoto, Cappellan di S. A. Sma,

            che Dio salvi.

            A Clermont.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin. [293]

 

 

 

            Très Révérend et très honoré Seigneur,

 

            Je ne suis pas homme de cérémonies, surtout avec Votre très Révérende Seigneurie qui, j'en suis sûr, m'aime sincèrement, de même que, de tout cœur, je désire la servir. C'est pourquoi, vous n'aviez nul besoin d'user d'excuses avec moi pour votre départ inopiné.

            Veuillez donc vous prévaloir, pour les confessions et absolutions de ces âmes, de l'autorité que Dieu m'a donnée, et que très volontiers [292] je vous communique et dépars dans la mesure où votre prudence le jugera nécessaire à la gloire de Dieu et au salut du prochain, afin qu'avec plus d'ardeur vous employiez le talent sacré que le Seigneur vous a confié.

            Sur ce, vous souhaitant tout vrai bonheur, je demeure

Votre très affectionné frère et serviteur dans le Christ,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            12 octobre 1616, à Annecy.

 

            A l'Illustre et très Révérend Seigneur,

Monsieur Laurent Scoto, Chapelain de S. A Sme,

            que Dieu sauve.

            A Clermont. [293]

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MCCXLVI. A M. Claude-Amédée Vibod. Le Saint réclame une lettre écrite par Charles-Emmanuel au Vice-légat d'Avignon au sujet des étudiants au collège de Savoie.

 

Annecy, 13 octobre 1616.

 

            Monsieur,

 

            Je vous supplie de me faire la charité que je puisse avoir la lettre que Son Altesse a accordee au Vice Legat d'Avignon, en recommandation de l'affaire que la Sainte Mayson de Thonon, mon Chapitre et moy y avons, sur le sujet des places du college d'Annessi, ou de Savoye, fondé audit Avignon, qui appartient a la nation de Savoye, affin que nous soyons remis en possession de les avoir. [294]

            Je vous envoyeray le Memorial, et M. Boschiz me fit la faveur de me promettre l'expedition de ladite lettre, laquelle nous desirons avoir, affin de faire partir au plus tost le personnage que nous envoyons pour faire la sollicitation.

            Ce pendant, je vous conjure de m'aymer tous-jours, de me tenir en la bonne grace dudit seigneur Boschiz, que je salue humblement, et de me croire,

            Monsieur,

Vostre bien humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 13 octobre 1616, Annessi.

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MCCXLVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Contribution payée à Son Altesse par le clergé du diocèse de Genève

 

Annecy, 21 octobre 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Ce clergé s'est accommodé avec toute sorte d'humilité et de respect a ce qu'il a pleu a Vostre Altesse de me commander, marris que nous sommes tous de ne pouvoir asses dignement tesmoigner l'infinie affection que nous [295] avons a son service. Dieu neamoins la sçait, et la void es continuelz souhaitz que nous faysons, affin quil luy playse de combler Vostre Altesse de prosperité, et sur tout que sa dilection regne a jamais au milieu de vostre cœur.

            Monseigneur, c'est le souverain bonheur que peut demander pour Vostre Altesse,

Son tres humble, tres fidele et tres obéissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            21 octobre 1616.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCXLVIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Un fermier qui promet ce qui n'est pas à lui. — Supplique des Religieux de Talloires.

 

Annecy, 26 octobre 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Les Religieux de Talloyres sachans que le fermier de [296] leur Prieur commendataire a promis de fournir trois cens couppes de froment pour l'armee, et qu'il prætend a cet effect employer le bled de sa ferme, ilz supplient tres humblement Vostre Altesse qu'il luy playse de commander qu'avant toute chose les præbendes destinees a la nourriture des Religieux seront reservees, affin que le divin service soit continué, attendu que ledit fermier n'a peu promettre ce qui est aux Religieux. Et moy j'intercede pour eux, estimant que Vostre Altesse l'aura aggreable, comme,

            Monseigneur, de

Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            26 octobre 1616, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [297]

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MCCXLIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Requête en faveur des étudiants savoyards au collège d'Avignon

 

Annecy, 29 octobre 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Le college d'Annessi fondé en Avignon recourt par un sien deputé, natif de Chamberi, a nostre Saint Pere le Pape affin d'obtenir de Sa Sainteté quelque digne remede contre les desordres qui y sont survenus au prejudice des sujetz de Vostre Altesse, qui est le mesme sujet pour lequel elle avoit escrit ces jours passés au Vice Legat du comtat d'Avignon ; qui me fait la supplier tres humblement d'employer pour ce bon œuvre la mesme faveur a Romme qu'elle avoit accordé pour Avignon.

            Et tandis, je prie Dieu qu'il comble Vostre Altesse de toute sainte prosperité, et luy faysant la deuë reverence, je demeure,

            Monseigneur,

Son tres humble, tres obeissant et tres fidele serviteur et orateur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le 29 octobre 1616.

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MCCL. A M. Claude-Amédée Vibod. L'affaire du collège de Savoie à Avignon portée en Cour de Rome. — Message pour M. Boschi

 

Annecy, 29 octobre 1616.

 

            Monsieur,

 

            Vous sçaures par ce porteur que toute l'affaire icy avance ; il nous faut changer de methode et recourir a Romme, ou il va luy mesme en qualité de deputé du college. Or, il y aura besoin donq, peut estre, de la faveur de Son Altesse, a laquelle aussi je la demande tres humblement par une lettre ; et croy que, selon sa bonté et la providence par laquelle elle veut et peut, elle l'accordera tres volontier.

            Reste que monsieur Boschiz nous gratifie aussi de son assistance, laquelle je requiers par vostre entremise, le saluant humblement de tout mon cœur ; car, quant a vous, Monsieur, je ne veux pas, en cett' occasion, employer mes prieres pour impetrer vostre courtoysie, sçachant que l'amour du bien de la patrie vous donnera asses d'affection. Mays je vous supplie de continuer envers moy vostre bienveuillance, qui suis

Vostre humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            .. octobre 1616. [299]

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MCCLI. A un gentilhomme. L'Evêque de Genève expose ses motifs d'accéder aux volontés de Son Altesse au sujet de l'impôt sur le clergé.

 

Annecy, 31 octobre 1616,

 

            Monsieur,

 

            Deux motifs m'ont porté, avec tout ce clergé, d'accorder sans scrupule l'ayde et secours de moyens que Son Altesse a desiré de nous. L'un a esté, que il y a environ sept a huit ans, que Sa Sainteté accorda a sadite Altesse la decime de six ans sur le clergé de ses Estatz, de laquelle comme Son Altesse n'a rien exigé, aussi ne nous l'a elle pas encor quitté ; de sorte qu'a bon compte nous luy donnons celle ci, bien que nous ne l'ayons pas fait sonner, de peur que cela n'esmeut les humeurs de messieurs les financiers de vouloir ci apres exiger le reste, car ce sont des gens grandement esveillés pour telles occasions.

            L'autre motif est que les Docteurs limitent le chap. Clericis, in 6. de Immunitate Ecclesiarum, a ce qu'il n'opere pas es cas de quelque grande necessité publique ; car alhors, les laicz estantz espuisés et ny ayant pas loysir [300] de recourir au Pape, l'Evesque peut ordonner une contribution aux clercz de son diocæse, ainsy que remarque Sylvester en sa Somme, verbo Immunitas, primo [cap.,] § 20, qui incipit : « Quartum. De concernentibus, » suivy par le Pere Joan. Azor, Jesuite, lib. V Institutionum moralium, c. 13, § « Octavo quæritur, » qu'il faut lire et peser, car il nous a semblé qu'il parloit en nostre propre cas. Joint qu'icy on ne traite pas d'imposer ni par voye de prest ni autrement, puisque ce n'est qu'un simple secours pour un cas particulier et qui ne tire nulle consequence.

            Voyla donq nos fondemens, sur lesquelz nous avons accordé, contre nos propres commodités, ce que Son Altesse desiroit, et moy le premier ay payé ma quote en blé, quoy que je n'abonde pas.

            Pour le reste, je ne manqueray pas de rendre aupres de Monseigneur le Prince, tesmoignage de l'estime que j'ay tous-jours faite de la grandeur de vostre vertu, lhors [301] que nous aurons le bien de l'approcher ; car je suis d'un cœur entier, Monsieur,

Vostre plus humble, tres asseuré serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            31 octobre 1616.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Lyon-Fourvière.

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MCCLII. A Madame de la Fléchère. Aimable invitation de François de Sales à la destinataire

 

Annecy, [octobre ou novembre 1616.]

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je me suis advisé des hier qu'il sera bon que, venant a Sainte Claire, devant et apres vous venies vous chauffer avec nous, et disner, et tout ; car cela nous fera grand bien a tous, et de mesme quand vous viendres voir la mayson. Mais je vous advertiray du jour quant a ce second point, et vous m'advertires quant au premier.

            Je prie Nostre Seigneur que, de plus en plus, il nous fortifie en la resolution de ne vivre que pour son tressaint amour. Bonjour, ma tres chere Fille mienne. [302]

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MCCLIII. A M. Barthélémy Flocard. Préliminaires de la paix. — Prochain départ du Saint pour Grenoble.

 

Annecy, 7 novembre 1616.

 

            Monsieur,

 

            Je vous remercie tres humblement de la peine que vous aves prise de m'escrire pour un si bon sujet. Il y a troys jours que l'on nous parle de cet accommodement, et chacun l'accommode a sa guise et selon que la preoccupation des affections suggere. Dieu, par sa bonté, nous [303] donne une vraye paix, en laquelle il soit servi et honnoré d'un chacun.

            J'espere d'aller bien tost faire la reverence a Son Altesse, car voyci le tems de l'Advent qui m'appelle a Grenoble, ou je ne dois m'acheminer qu'apres avoir demandé les commandemens d'icelle ; et j'auray alhors le contentement de vous voir et d'apprendre plus particulierement les circonstances de ce traitté, la nouvelle duquel me fait escrire un mot a monsieur de Monthouz, affin quil face expedier l'affaire des Dames de la Visitation tandis que le beau tems dure et qu'on peut prendre la mesure des bastimens.

            Dieu vous benisse, Monsieur, et je suis de tout mon cœur et sans fin,

Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VII novembre 1616.

            Si monsieur le collateral de Quoex est encor la, je vous supplie quil sache par vostre courtoysie que je le salue humblement et tres affectionnement.

 

            A Monsieur

Monsieur Flocard,

            Collateral au Conseil de Genevoys.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Collège municipal d'Alassio (Nice). [304]

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MCCLIV. A Madame Guillet de Monthoux. Remplir son devoir de bon cœur, par amour, mais sans empressement. — Grand prix de la paix dans une famille. — Faire ce que l'on peut, et laisser le reste à Dieu.

 

Annecy, 10 novembre 1616.

 

            Encor ne vous escris je pas a loysir, ma tres chere Fille, bien que je responde tard a vostre lettre. Or sus, vous voyla donq dans le mesnage, et il n'y a remede. Il faut que vous soyes ce que vous estes : mere de famille, puisque vous aves un mary et des enfans, et il le faut estre de bon cœur et avec l'amour de Dieu, ains pour l'amour de Dieu, ainsy que je le dis asses clairement a Philothee, sans s'inquieter ni empresser que le moins qu'il sera possible.

            Mais je voy bien, chere Fille, qu'il est un peu malaysé d'avoir soin du mesnage en une mayson ou il y a mere et pere ; car je n'ay jamais veu que les peres, et sur tout les meres, layssent le gouvernement entier aux filles, encor que quelquefois il seroit expedient. Pour moy, je vous conseille de faire le plus doucement et sagement que vous pourres ce qui vous est recommandé, sans [305] jamais rompre la paix avec le pere et cette mere ; car il vaut mieux que les affaires n'aillent pas si bien, et que ceux a qui l'on a tant de devoir soyent contens. Et puis, si je ne me trompe, vostre humeur n'est pas faite pour la conteste. La paix vaut mieux qu'une chevance. Ce que vous verres pouvoir estre fait avec amour, il le faut procurer ; ce qui ne se peut faire que par desbat doit estre laissé, quand on a affaire avec des personnes de si grand respect.

            Je ne doute point qu'il ne se passe des aversions et repugnances en vostre esprit ; mays, ma tres chere Fille, ce sont autant d'occasions d'exercer la vraye vertu de douceur ; car il faut faire bien, et saintement, et amoureusement ce que nous devons a un chacun, quoy que ce soit a contrecœur et sans goust.

            Voyla, ma tres chere Fille, ce que je vous puis dire pour le present, adjoustant seulement que je vous conjure de croire fermement que je vous cheris d'une dilection parfaite et vrayement paternelle, puisqu'il a pleu a Dieu de vous donner envers moy une confiance si entiere et filiale ; mais continues donq bien, ma tres chere Fille, a m'aymer cordialement.

            Faites bien la sainte orayson ; jettes souvent vostre cœur entre les mains de Dieu, reposés vostre ame en sa Bonté et mettes vostre soin sous sa protection, soit pour le voyage du cher mary, soit pour le reste de vos [306] affaires. Faites bien ce que vous pourres, et le reste laisses le a Dieu, qui le fera ou tost ou tard selon la disposition de sa providence.

            Je voudrois bien sçavoir qui sont ces curés desquelz on murmure contre moy et mon frere ; car, tant qu'il nous sera possible, nous tascherons de remedier aux desordres, s'ilz se treuvent. Je suis cependant bien ayse que le vostre soit honneste homme et sage.

            En somme, soyes a jamais toute a Dieu, ma tres chere Fille, et je suis tout en luy,

Vostre plus humble cousin et serviteur tres affectionné,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 10 novembre 1616.

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MCCLV. A Madame de la Fléchère. Une lettre écrite à l'improviste. — Comment la Mère de Chantal désignait Mme de la Fléchère. — « Tout pour Dieu : l'amour et le cœur qui ayme. »

 

Annecy, [novembre 1616.]

 

            Cette digne porteuse vous dira comme je vous escris a l'improuveüe, ma tres chere Fille, et si soudainement que je ne sçai que dire, sinon que vous seres la tres bien venue, que c'est un grand bien a nostre Charles d'avoir un bon maistre, que je suis plus vostre que mien et ne cesse jamais de vous souhaiter mille et mille faveurs du [307] Ciel, sur tout le saint, puissant, doux et tranquille amour de nostre Dieu.

            Nostre madame de Chantal vous desire. La derniere fois qu'elle me parla, vous voulant nommer et vostre nom ne luy venant pas en bouche : « La chere seur, » dit elle, « qui vous ayme si parfaitement. » Je vous demande qui eüt entendu ce langage sinon moy, qui vous nommay d'abord. Or sus, tout est pour Dieu : l'amour et le cœur qui ayme. A Dieu soit honneur, gloire et louange eternellement.

            Voyla une lettre pour la seur, qui est vielle, mais ell'a besoin de l'avoir ; je la luy envoyay par un prestre de Seyserieu qui, l'ayant treuvee partie, me la rapporta, et maintenant je ne puis luy escrire.

            VIVE JESUS !

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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MCCLVI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Entremise de l'Evêque de Genève en faveur d'un ami.

 

Annecy, 18 novembre 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Je supplie tres humblement Vostre Altesse de se resouvenir de la faveur qu'il luy a pleu d'accorder a monsieur le President de Sautereau, sur la recommandation [308] que monsieur le mareschal Desdiguieres luy en a faite. Et continuant d'invoquer Dieu sur Vostre Altesse, je luy fay tres humblement la reverence, comme estant,

            Monseigneur,

Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le XVIII novembre 1616.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Biblioteca Civica.

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MCCLVII. A M. Annibal Boschi. Aumônes du prince de Piémont aux Clarisses et aux Cordeliers d'Annecy. Un galérien qui doit payer sa grâce par des œuvres pies.

 

Annecy, 18 novembre 1616.

 

            Monsieur,

 

            Il pleut a Son Altesse de me commettre pour voir l'estat des bastimens de Sainte Claire de cette ville, et [309] sur le rapport que je luy fis de la ruyne dont ilz estoyent menacés, sa bonté s'estendit a leur vouloir donner 300 ducatons pour la reparation necessaire. Et pour l'assignation de cette somme-la, monsieur de Monthouz me dit avant hier que Son Altesse avoit accordé le rappel des galeres en faveur d'un certain notaire ou chatelain, que je pense estre du quartier d'Aiguebelle, a la charge quil donneroit les troys cens ducatons dont il est question pour cett'œuvre pie, et qu'il serviroit deux ans aux bastimens de la Sainte Mayson de Thonon. C'est pourquoy, ce bon Pere confesseur des Dames de Sainte Claire va pour voir s'il pourra tirer l'asseurance de ladite somme ; en quoy je vous supplie tres humblement de l'assister, comme aussi de luy faire delivrer le mandat des trente vaisseaux que saditte Altesse a ouctroyé pour le couvent de Saint François.

            Je sçai que vostre pieté vous portera asses a tous ces bons offices, sans que j'y employe mon intercession ; mais puisque elle m'est demandee, je ne la puis refuser, mesme sachant que vous me faites lhonneur de m'aymer, [310] lequel je vous conjure de me continuer, ainsy que je veux estre a jamais, Monsieur,

Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            XVIII novembre 1616, Annessi.

 

            A Monsieur

Monsieur Boschiz, Conseiller d'Estat

et Secretaire des commandemens de S. A.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le vicomte de la Villarmois, au château de Montgoger (Indre-et-Loire).

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MCCLVIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. La reconnaissance du Saint s'unit à celle des Pères Barnabites.

 

Annecy, 19 novembre 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Ces Peres vont pour rendre graces a Vostre Altesse du soin qu'elle a de bien establir leur Congregation en ce pais. Et par ce que je voy combien Dieu en sera glorifié et le peuple edifié, j'en remercie tres humblement de rechef Vostre Altesse avec eux, la suppliant de continuer en ce tressaint zele, comme je ne cesseray jamais de luy souhaiter la perfection des graces celestes, non plus que d'estre, Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur

et serviteur de Vostre Altesse,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le 19 novembre 1616.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [311]

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MCCLIX. A Madame de la Fléchère. Une quittance à retrouver. — Visite de Mme de Blonay

 

Annecy, 19 novembre 1616.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je feray selon le contenu de vostre lettre, si l'occasion s'en presente par la venue de M. de Charmoysi, et encor, passant a Chamberi, je confereray avec M. le President pour sçavoir ce qui se pourra faire. J'ay des-ja un peu cherché la quittance de Bonfilz et ne l'ay sceu treuver ; mon frere dit quil ne l'a point aussi. Mays je chercheray tant, que nous la treuverons, puis que jamais je n'ay perdu aucun papier d'importance.

            Vous sçaures tous-jours de nos nouvelles et par mes lettres et par celles de nostre Mere.

            Nous avons eu icy madame de Blonnay qui estoit venue voir sa seur, et s'en est retournee aujourdhuy.

            Dieu vous veuille a jamais benir, ma tres chere Fille, des benedictions de son tressaint amour. Je suis en luy, d'un cœur non pareil,

Vostre tres humble serviteur et pere.

            XIX novembre 1616.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [312]

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MCCLX. A M. Jean Massen (Inédite). Recommandation en faveur d'un étudiant en théologie.

 

Annecy, 23 novembre 1616.

 

            Monsieur,

 

            Estant obligé de souhaiter l'advancement aux lettres et a la vertu de Nicolas Grillet, qui m'appartient en parentage, et le voyant maintenant sur les rangs pour entrer au cours de la sainte theologie, je supplie vostre charité de luy estre propice et l'assister de vostre soin et faveur speciale, affin quil puisse reuscir tel que nous desirons le voir un jour, propre a servir Dieu et la sainte Eglise en ce diocese, ou il importe tant, a cause du voysinage.

            Et par ce que vostre zele vous donnera asses de mouvement a ce bon œuvre, sans que j'y employe davantage de prieres, je ne m'estendray pas plus avant, ains vous asseurant de mon humble affection a vous honnorer, et [313] vous desirant mille et mille benedictions, je demeureray,

            Monsieur,

Vostre plus humble, tres affectionné confrere

et serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIII novembre 1616, Annessi.

 

            A Monsieur

President au College de Savoye.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

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MCCLXI. A M. René Gros de Saint-Joyre. Remerciements et félicitations pour la communication d'un ouvrage. — La « tare » que la modestie du Saint y découvre

 

Annecy, 23 novembre 1616.

 

            Monsieur,

 

            Vous me favorises trop de me communiquer si liberalement vos beaux ouvrages. Celuy cy que je vous [314] renvoye, tesmoigne combien vous estes riche d'inventions et d'affections pour bien cultiver la pieté. Seulement y voy-je une tare : que vostre desir d'animer un chacun au saint amour, vous a rendu trop favorable a la bonne volonté que j'ay eue d'y exciter les nations de la langue françoise, par le Traitté que j'ay nagueres mis en lumiere, lequel je suis pourtant bien ayse qu'il vous aggree, estimant que vostre jugement luy pourra donner acces et rendre ses documens plus utiles a plusieurs ames.

            Vives heureux en ce divin amour, Monsieur, et continues d'aymer

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIII novembre 1616, Annessi.

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MCCLXII. A la Mère de Chantal. Comment procéder pour l'achat de maisons nécessaires à l'agrandissement du monastère de la Visitation

 

Annecy, [15-23 novembre 1616.]

 

            Voyla les lettres ; mais j'ay oublié de vous dire, ma tres chere Mere, que quand monsieur le President vous parlera des maysons et que vous viendres a traitter de l'estimation des maysons, il seroit bon d'obtenir de luy qu'assemblant les expertz, il leur face prester serment, et leur fasse prendre les resolutions, parties absentes.

            Bon soir, ma tres chere Mere, Dieu vous benisse. Si je puis, demain je vous iray dire une Messe.

 

Revu sur l'Autographe qui appartenait aux PP. Missionnaires de Saint-François de Sales, à Annecy. [316]

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MCCLXIII. A la même (Inédite). Débuts de l'Avent à Grenoble. — Messages d'un père pour ses filles

 

Grenoble, 3 décembre 1616.

 

            Ce ne sont jamais que troys paroles de ce Pere ; certes, ma tres chere Mere, il n'a pas de loysir pour plus. Il commence seulement a s'apprivoyser parmi ce peuple. Dans quelque tems il vous escrira, sil y a chose qui vous puisse consoler, car je vous asseure, ma tres chere Mere, que ce pauvre Pere la vous porte dans son cœur comme son esprit propre.

            Voyla des lettres pour vous. Je salue la tres chere toute bienaymee Marie Aymee ; elle sçait bien qu'elle est la fille de mon cœur, et l'autre chere fille Françon, et toutes nos cheres Seurs. Dieu soyt a jamais, ma tres chere Mere, nostre tres unique tout. Amen.

            Samedi, III decembre 1616.

 

A ma tres chere Mere,

            Nostre Mere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Cracovie. [317]

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MCCLXIV. A la même (Inédite). Une lettre faite entre deux sermons. — Les fruits spirituels qui se préparent pour le prochain Carême. — Salutations et souhaits affectueux

 

Grenoble, 8 décembre 1616

 

            C'est tous-jours quand je puis, ma tres chere Mere, que je vous escris, et voyci la quatriesme, aussi courte que les autres, comm'estant escritte entre deux sermons : l'un que je viens de faire en l'eglise cathedrale, delaquelle Nostre [Dame] est le Patron, et l'autre que je vay faire dans trois heures, en un'eglise, hors ville, ou le tiltre est avec Indulgence pleniere. Nos sermons vont asses bien. Hier nous commençames a confesser quinze ou vingt dames, tres devotes pour la plus part, et j'entrevoy, ce me semble, un peu de fruit pour le Caresme. Ce sont nos nouvelles, et je benis Dieu pour les vostres.

            Je salue vos hostesses du tems de vostre lettre, si vous [318] les revoyes, madame de Monthouz et les autres. Item, sur tout ma chere Marie Aymee, certes ma toute chere seur, de laquelle je prie Dieu vouloir estre protecteur et de son petit.

            Dieu soit a jamais nostre amour, ma tres chere Mere, et vous comble de sa tressainte consolation. Amen. Je suis en luy vostre, tout entierement et absolument, et, puis quil luy a pleu, comme vostre ame, vous mesme.

            Je suis vostre serviteur.

            En haste, VIII decembre, jour de la tressainte Conception.

            Je salue nos Seurs et mes freres, ausquelz je n'escris point.

 

            A Madame

Madame de Chantal, Supere de la Visitation.

            Annessi.

 

Revu sur un fac-simile de l'Autographe qui appartenait à M. le comte de Villers-Masbourg, au château de Schâloen (Limbourg Hollandais).

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MCCLXV. A Monseigneur Fenouillet, Évêque de Montpellier (Inédite). Le duc de Montmorency gagné par Mgr Fenouillet à l'estime de l'Evêque de Genève. — Témoignages qu'il en donne. — Déplaisir du Saint de n'avoir pu, à son gré, le payer de retour. — Lesdiguières en route pour le Piémont

 

Grenoble, 17 décembre 1616.

 

            Monseigneur,

 

            Je n'ay garde que je n'employe cette si bonne commodité de vous bayser les mains, quand ce ne seroit que [319] pour vous remercier tres humblement de l'honneur que je receus de monsieur de Montmorency en son passage par cette ville, puisquil me declara que vous luy avies donné l'affection de me le faire, par l'honnorable mention que vous luy avies quelquefois fait de moy. Je suis tous-jours honteux quand je pense a l'exces de la faveur que ce seigneur me fit, et confus dequoy ayant esté a son logis pour luy faire la reverence et espié toutes les commodités qu'il pouvoit y avoir, je n'ay peu onques avoir ce bonheur. Mais je croy que M. le President [du Faure] [320] luy aura fait sçavoir ma diligence, et neanmoins je vous supplie, Monseigneur, de luy faire sçavoir le desplaysir que j'ay pour ce sujet, et que j'ay bien conscience du respect que je doy a sa grandeur et a ses merites, et de l'extreme obligation que j'ay a son excessive bonté. Vous aves de l'interest en ce point, Monseigneur, puisque c'est sur l'estime que vous luy avies donnee de moy, quil m'a favorisé. « Amare et sapere, vix cœlitibus conceditur. » Vous luy en avies trop dit et il en a trop fait, et moy je suis demeuré court et n'en ay pas asses fait, faute certes d'avoir bien peu le faire.

            Vous sçaures toutes nos nouvelles et que M. le Mareschal part demain et que la paix est desesperee en Piemont. Reste que je prie Dieu pour vostre prosperité, me disant a jamais,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 17 decembre 1616.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Montpellier. [321]

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MCCLXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Que doit faire une âme continuellement attirée par Dieu à se reposer dans le sein de sa Providence. — Le fondement de la joie paisible et dévote

 

Annecy, [1616.]

 

            Que peut on dire a l'ame que Dieu a tiree il y a si long tems et attire continuellement a se reposer dans le sein de sa providence, sinon : Demeurés la, ma Fille, et vous tenes a recoy au plus secret lieu de ce saint tabernacle, vous laissant absolument manier au gré de Celuy qui daigne prendre soin de vous. Ayés seulement celuy de luy plaire, par cette entiere dependance et confiance en son amour, et par la suave vigilance que vous deves avoir d'avancer ses cheres espouses a la pureté de son divin service, par une exacte observance, vous rendant extremement attentive a la douceur et support, sans crainte d'exceder en ces saintes vertus. Soyes genereuse, allegre et suave en cet exercice, et vous y treuveres abondamment les graces de nostre bon Dieu, ainsy que je l'en prie de toute mon ame qui cherit la vostre tres parfaitement.

            Pries pour celuy qui est vostre sans reserve. Dieu soit beni. Amen.

            Soyes tous-jours joyeuse de cette joye paisible et devote qui a pour fondement l'amour de sa propre abjection, et nourrisses une douce et paisible humilité de cœur, qui vous face aggreer toutes sortes de souffrances et d'abjections, comme n'estant digne d'autre chose.

 

Revu sur un ancien Ms. conservé à la Visitation d'Annecy. [322]

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MCCLXVII. A la même (Fragment inédit)

 

Annecy, [1613-1616.]

 

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            Ma tres chere Mere, dites moy sil est vray ; et cependant, mille et mille fois le bon soir, et cent et cent mille benedictions sur le cœur de ma tres chere Mere et le mien. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Salo (Italie). [323]

Année 1617

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MCCLXVIII. A la Mère de Chantal. Le premier acte d'une journée fait selon l'inclination du Saint

 

Annecy, commencement de janvier [1014-1617.]

 

            Graces soyent a Dieu, ma tres chere Mere ! sinon des que je commence a vous escrire ce billet, je n'ay rien fait de toute la journee selon mon inclination. Sa divine Majesté me veuille bien assister, affin que ces petitz, mays frequens exercices me rendent bien mortifié.

            Je suis consolé d'avoir vostre sainte Paule vefve pour patronne ; Dieu nous face la grace de bien imiter en nostre unité cette sainte vefve et son cher Pere. Demeurés en paix, ma tres chere Mere, et reposes vostre cœur sur la poitrine du Sauveur.

            O Dieu, qu'il faut faire de resignations pour la gloire de ce grand amour divin ! mais ce n'est rien, en comparayson de ces anciens hommes et femmes apostoliques.

            Je suis tres uniquement vostre, ma tres chere Mere.

            VIVE JESUS !

FRANÇS, E. de Geneve. [324]

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MCCLXIX. Au Chanoine Denis de Granier (Inédite). Le destinataire est prié de vouloir bien résigner sa place de chanoine en faveur d'un digne ecclésiastique.

 

Annecy, 5 janvier 1617.

 

            Monsieur,

 

            Sur la vacance d'un canonicat de nostre Eglise, au (sic) voys du Chapitre se sont presentés deux personnages [325] …, l'un et l'autre desirés de cette compaignie ; et apres l'election faite en faveur de l'un, il est resté audit Chapitre un grand desir de pouvoir encor avoir l'autre, pour les bonnes qualités qui sont en luy. Sur quoy, quelques-uns se sont advisés que vous avies une place, laquelle vous estes resolu de ne vouloir point remplir de vostre personne, ainsy que vous l'aves declaré, et que le tems escoulé des l'impetration d'icelle fait asses connoistre. Et pour cela, ilz se sont addressés a moy, affin que, tant au nom dudit Chapitre qu'au mien, je vous priasse de la remettre a ce digne ecclesiastique, qui estant de bonne vie, docteur es droitz et en theologie, sera grandement utile a cett'Eglise.

            Or, je croy que vous ne douteres pas que sil vous [326] playsoit de la garder et nous faire jouir du fruit de vostre residence, nous ne le souhaitassions plus que toute autre chose ; mays puisque elle vous est tout a fait inutile, et a l'Eglise, presupposé la resolution que vous aves faite, je pense que vous treuveres bon nostre desir et le seconderes, comme juste quil est, selon Dieu et les loix. Je sçai que vous avies eü intention d'en gratifier le frere de monsieur Greffiez, auquel je ne voudrois en rien præjudicier, ains l'ayder et servir de mon pouvoir. Mays n'y ayant nulle apparence de faire reuscir sa praetention de ce costé la, je ne pense pas que cela vous doive plus arrester de nous donner, au lieu de vous que nous desirions (sic) plus que tous, quelqu'un qui, en quelque sorte, vous puisse dignement representer : dequoy donq je vous prie avec tout ce venerable Chapitre, ne doutant point que, selon vostre prudence, zele et pieté, vous ne vous disposies a suivre nos desirs.

            Atant, je me recommande a vos prieres, vous asseurant que de tout mon cœur je seray tous-jours,

            Monsieur,

Vostre plus humble, tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Monsieur, en cas que vous facies ce que nous demandons, il ne sera besoin sinon de faire la resignation en mes mains, c'est a dire une procure ad resignandum pure et simpliciter entre mes mains, ou de mon Vicaire [327] general ; car par apres, le moys qui vient, auquel je suis en mon alternative je prouvoirois celuy dont il est question, qui s'appelle monsieur Questan, bourgeois de cette ville.

            Veille des Roys 1617.

 

            A Monsieur

Monsieur [de Granier, Docteur] en theologie

             … ville.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Marseille.

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MCCLXX. A la Mère de Chantal. Affaires à régler entre les deux Fondateurs de la Visitation

 

Annecy, commencement de janvier 1617.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je n'ay sceu prendre le contentement que je desirois de vous voir moy mesme, occupé par les visites. Je ne [328] sçai si aures parlé a M. le Collateral de la difficulté des 800 florins. En voyci un'autre : M. de la Roche desireroit mettre sa seconde fille en la Congregation et constituer sa dote des a present, avec celle de ma Seur Claude Agnes, sur les biens quil vous vend a la charge qu'en cas qu'elle ne perseverast, on rendroit tant. Vous y penseres un peu, et nous en parlerons passé demain ; et ce soir, si je puis en passant, je vous salueray, puisque demain je vay a Sainte Catherine.

            Dieu vous benisse, et tout ce que vous estes icy et la.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Hélène de Thiollaz, au château de Monpont, près d'Annecy. [329]

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MCCLXXI. Au duc de Nemours, Henri de Savoie (Inédite). Regrets de l'Evêque de Genève d'avoir quitté Annecy avant l'arrivée du prince. — Le duc de Nemours, futur fondateur de l'église des Barnabites. — Dieu « donne sejour dans son temple æternel a ceux qui luy en font icy bas des temporelz. » — Reconnaissance des Religieux et du peuple

 

Annecy, 8 janvier 1617.

 

            Monseigneur,

 

            L'ors que Vostre Grandeur vint en cette ville, je me treuvay si pressé de l'assignation præfigee pour les sermons de l'Advent a Grenoble, que je ne peu attendre le bonheur de vostre arrivee ; dont j'eu un extreme desplaysir, mais addouci neanmoins par l'esperance qui me restoit, qu'a mon retour je pourrois en quelque sorte regaigner cet honneur. Et maintenant, deceu en mon attente, je ne puis me contenir que je ne me pleigne de mon malheur et que, pour me soulager au mieux que je puis, je ne vous supplie tres humblement, Monseigneur, que si les occurrences m'esloignent de vostre œïl, il vous playse me tenir præsent en vostre grace, que j'estime l'un des meilleurs et plus desirables honneurs que je puisse posseder en ce monde.

            Ce pendant, Monseigneur, les Peres Barnabites m'ayant communiqué l'intention que Vostre Grandeur a de faire [330] bastir leur eglise, m'ont aussi donné une grande consolation ; car je sçai que Dieu benit ceux qui luy edifient des maisons, qu'il glorifie ceux qui l'honnorent et qu'il donne sejour dans son temple æternel a ceux qui luy en font icy bas des temporelz. Tout ce pais, Monseigneur, et les circonvoysins vous en auront un'obligation immortelle ; et par ce moyen, Vostre Grandeur adorera et priera Dieu continuellement a jamais, en la personne de ces bons et devotz Religieux et de tous ceux qui, par leur zele, s'assembleront en ce saint lieu pour y sanctifier le nom divin. Mays en particulier, Monseigneur, je vous en fay tres humble remerciment au nom de tous ceux qui, estans vos tres humbles et tres obeissans sujetz et serviteurs, sont mes diocæsains, ausquelz je ne manqueray pas de representer la singuliere redevance qu'ilz en auront a vostre pieté ; non plus que ces bons Peres ne manqueront pas de rendre memorable a toute leur illustre et devote Congregation la grandeur des bienfaitz dont vous les aves favorisés, Monseigneur, qui n'aves pas seulement voulu les recevoir en vostre ville, qui est leur premier logement deça les mons, mais de plus, leur aures basti le lieu sacré qui sera le plus grand moyen de bien rendre le service auquel leur vie est destinee.

            Dieu remplisse a jamais Vostre Grandeur de ses graces ; c'est le souhait perpetuel, Monseigneur, de

Vostre tres humble et tres obeissant

orateur et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            8 janvier 1617, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme veuve de Marcassus, à Monfort (Gers). [331]

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MCCLXXII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. L'imprudence d'un jeune homme. — Avis du Saint sur cette affaire.

 

Annecy, 17 janvier 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Vostre Altesse me renvoya une requeste par laquelle elle estoit suppliee, de la part de damoyselle Marceline de Marcilli, ditte Belot, de luy prouvoir sur les promesses que le sieur de Chasse, filz de monsieur le President de Sautereau, luy avoit faites pour mariage, affin que je fisse ce que j'estimerois estre convenable pour ce regard et que je donnasse mon advis a Vostre Altesse sur le contenu de la supplication.

            Et pour obeir, Monseigneur, a son decret, estant a Grenoble, je conferay avec le susdit seigneur Præsident de Sautereau de ce sujet, pour apprendre de luy son intention, laquelle il m'expliqua, se louant infiniment de la justice et equité dont Vostre Altesse l'avoit gratifié luy faysant rendre la promesse faite par son filz, lequel estant en la puissance de son pere, et d'un tel pere, ne pouvoit nullement s'engager en un mariage si deshonnorable, au præjudice de la reputation de sa famille. De sorte que. non seulement il ne croyoit pas que cette femme peut rien prætendre par rayson, mais tenoit pour certain qu'elle pourroit estre recherchee par justice, [332] d'avoir seduit et attiré un jeune garçon, enfant de telle famille, a des promesses si præjudiciables et conceües en termes si extravagans. Que si ce n'eut esté la crainte de donner de l'importunité a Vostre Altesse, il l'eut supplié de commander que punition en fut faite.

            N'ayant donq rien fait de ce costé, il reste que je die mon advis, puis qu'il a pleu a Vostre Altesse de me le commander. Et c'est, Monseigneur, qu'il suffit bien que l'on tolere ces femmes scandaleuses en la republique, sans qu'on leur permette d'entreprendre sur les maysons honnorables et dignes de recommandation, par les infames attraitz desquelz elles charment la foible et legere jeunesse ; et la condition d'espouser ou doter n'est ordonnee que pour les filles d'honneur qui ont esté deceües, non pour les femmes deshonnestes qui ont deceu. Celle ci, comme je m'asseure Vostre Altesse aura des-ja sceu, venoit de faire un enfant d'un estranger quand elle tira promesse de ce jeune gentilhomme ; et bien que la charité ayt quelquefois porté des gens de qualité a prendre en mariage des femmes perdues pour les sauver, si est ce qu'il n'en faut pas tirer consequence pour ceux qui, n'estans pas a eux mesme (sic), sous prætexte de charité violeroyent la justice et l'equité, introduisans en leurs familles des personnes dangereuses contre le gré de ceux qui sont les peres et maistres de la famille, mays sur tout en un aage qui n'a pas ordinairement en consideration ni la charité, ni la prudence requise pour exercer une charité en laquelle il faut avoir egard a plusieurs circonstances.

            Je prie Dieu sans cesse, Monseigneur, quil comble [333] Vostre Altesse de ses plus desirables benedictions, et suis infiniment,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVII janvier 1617, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant aux Religieuses de l'Adoration réparatrice,

à Paris.

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MCCLXXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Des sujets fidèles méritent les faveurs de leur Prince

 

Annecy, 18 janvier 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Je joins ma tres humble supplication a celle que cette ville d'Annessi fait a Vostre Altesse, pour la continuation des privileges dont ell'a ci devant joüi, attestant que, si la fidelité et ardente affection des sujetz doit attirer les faveurs du Prince, cette communauté, Monseigneur, sera donq en singuliere recommandation aupres [334] de Vostre Altesse, pour la prosperité delaquelle je prie continuellement la divine Majesté, comme je dois, estant,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVIII janvier 1617, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCLXXIV. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Changement de confesseur au monastère de Lyon. — Trois retraitantes en celui d'Annecy. — Rapide passage en ce monde d'une petite nièce du Saint

 

Annecy, 21 janvier 1617.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous voy, certes, asses occupee parmi tant d'occurrences ; Dieu soit a jamais vostre force.

M. l'Aumosnier m'escrit que Monseigneur l'Archevesque le vous oste ; je croy que ce ne sera pas sans vous bien pourvoir. Je crains pourtant la varieté des opinions au maniement des ames ; mays Dieu aura soin de vostre chere trouppe, affin qu'elle aille tous-jours le mesme chemin, puisque c'est celuy auquel il l'a mise.

            Nostre Mere ne sçait pas que j'escrive. Elle n'est pas sans affaires, mays bonnes et aggreables, ayant [335] madame la Comtesse de Tournon et ses deux filles, qui font les exercices et preparent leur confession generale.

            Hé Dieu, quelles nouvelles du Puy d'Orbe ! cela me traverse le cœur. O qu'il faut bien regarder a qui l'on donne acces en telles maysons, et quelles hantises, quelz devis on admet !

            La chere seur de la Valbonne pensoit venir, mais le frere n'a pas voulu. Il y a obeissance en leur monastere ; ouy, et mortification. Mais celle ci est bien plus grande a Sales, ou ma seur a fait sa troisiesme couche d'une fille, laquelle, une heure apres son Baptesme, est morte. Pour moy, je n'en aurois nul sentiment, si ce n'est pour compatir un petit avec la mere.

            Vivés tous-jours toute a Dieu, ma tres chere Fille : c'est le continuel souhait de mon cœur qui cherit le vostre incomparablement.

            VIVE JESUS !

FRANCS, E. de Geneve.

            21 janvier 1617.

 

            A ma tres chere Fille en N. S.,

Ma Seur Marie Jacqueline Favre,

            Superieure de la Congon de la Visitation.

            A Lion.

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MCCLXXV. A la Mère de Chantal. Un souhait de Job et celui de François de Sales, à propos d'un anniversaire

 

Annecy, 23 janvier 1617.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Vous m'aves fait playsir en me faysant sçavoir que c'est aujourd'huy le jour de vostre naissance, car je n'y pensois pas. Job desiroit que le jour de sa naissance perist, et moy je souhaitte que le jour qui a veu naistre ma tres chere Mere soit conté entre les jours heureux et benis es siecles des siecles. Cependant, ces jours de nos naissances doivent nous humilier, en nous faysant voir le neant d'ou nous venons, et nous encourager, en nous faysant voir la fin pour laquelle Dieu nous a donné commencement.

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. de l'Année Sainte, conservé à la Visitation d'Annecy.

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MCCLXXVI. A la Mère Claudine de Blonay abbesse de Sainte-Claire d'Évian (Inédite). Le saint Evêque s'excuse aimablement de son retard à écrire. — Il promet de s'employer auprès du prince de Piémont pour les Clarisses. — Raisons divines des maladies et des guérisons. — Salutations affectueuses

 

Annecy, 24 janvier 1617.

 

            Vous aves rayson, ma tres chere Seur, d'avoir une parfaitte confiance en moy, qui aussi, de mon costé, vous honnore et cheris de tout mon cœur avec toute vostre benite compaignie ; mays j'ay bien tort, certes, [337] d'avoir tant tardé a vous respondre sur la demande que vous me faysies. Vous estes bonne, et vous m'excuseres bien, je m'en asseure, puisque ma faute ne procede pas de mon affection, [mais] de ma memoire, laquelle s'estant reservé ce devoir pour m'en faire souvenir a mon retour en cette ville, s'en oublia par la multitude du tracas qui m'accabla a mon arrivee.

            Si, en la place du chasteau, il y a de l'eau et dequoy vous bien accommoder, je pense qu'il ne seroit pas difficile d'obtenir de Son Altesse ce que vous aves projetté ; et pour moy, je vous serviray tres affectueusement en cela, comme en toutes autres occasions, esperant que si nous avons la paix, vous seres grandement soulagees du Prince, qui me le dit, estant icy. Le bon Dieu, auquel vous serves, disposera par sa providence de tout ce qui sera requis pour vous loger un peu mieux en terre et tres heureusement au Ciel.

            Si j'eusse sceu ce qui arriva despuis, j'eusse fait du Jubilé selon vos souhaitz ; toutefois, Dieu n'a pas laissé de vous bien consoler par autre voye. Il soit a jamais beni, et encor dequoy il envoye souvent des maladies a ses servantes pour les rendre participantes de sa croix, et les guerit aussi souvent pour les rendre en quelque chose participantes de sa resurrection. [338]

            Mes cheres Filles, qui sont les vostres, m'obligent beaucoup d'avoir du soin pour moy en leurs prieres ; je les conjure seulement de continuer. Que si le parentage de quelqu'unes avec moy les rend un peu plus affectionnees a me faire cette charité, je leur en seray d'autant plus redevable, et en remercieray Dieu qui a enté l'amitié spirituelle sur le devoir temporel. Je les salüe toutes tres cordialement, et leurs noms sont escritz dans mon cœur : de ma Seur Beatrix, Anne, Marie Magdeleine, de ma Seur Symon, Pernette, Christine, de Blonay, Pernette ; en somme, toutes, laissant a part ma Seur Claire, qui sçait bien que je luy escris, ni je n'oublie pas ma Seur Estienne. En somme, de rechef, toutes nommees et non nommees, je les cheris de tout mon cœur qui leur souhaitte, et a leur Reverende Mere, ma Seur, la grace, paix et consolation du Seigneur, et suis sans fin, ma tres chere Seur,

Vostre tres humble frere et serviteur,

FRANCS. E. de Geneve.

            XXIIII janvier 1617, Annessi.

 

            A la Rde Mere en N. S.,

La Seur Claudine de Blonay,

            Abbesse de Ste Claire d'Evian.

 

Revu sur une ancienne copie appartenant à M. Levesque, bibliothécaire du Séminaire de Saint-Sulpice, à Paris. [339]

MCCLXXVII. A une religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. En échange d'un bouquet. — Une prière que le Saint ne ferait pas. — Le choix de sainte Catherine de Sienne. — Chant du rossignol dans son buisson. — Envoi du Traitté de l'Amour de Dieu. — Sentir des répugnances à la vertu n'est pas manquer d'amour

 

Annecy, [fin janvier 1617 ou février 1618.]

 

            Que nostre cher Jesus crucifié soit a jamais un bouquet entre vos mammelles, ma tres chere Fille. Ouy, çar ses doux sont plus desirables que les œilletz, et ses espines que les roses. Mon Dieu, ma Fille, que je vous souhaitte sainte, et que vous soyes toute odorante des senteurs de ce cher Sauveur ! C'est pour vous remercier de vostre bouquet, et vous asseurer que les petites choses me sont grandes quand elles sortent de vostre cœur, auquel le mien est tout dedié, je vous en asseure, ma tres chere Fille.

            Le Pater que vous dites pour le mal de teste n'est pas defendu ; mays mon Dieu, ma Fille, non, je n'aurois pas le courage de prier Nostre Seigneur, par le mal qu'il a en la teste, de n'avoir point de douleurs en la mienne. A il enduré affin que nous n'endurions point ? Sainte Catherine de Sienne voyant que son Sauveur luy presentoit deux couronnes, une d'or, l'autre d'espines : O je veux la douleur, ce dit elle, pour ce monde ; l'autre sera pour le Ciel. Je voudrois employer le couronnement de Nostre Seigneur pour obtenir une couronne de patience autour de mon mal de teste.

            Ne manger point chose qui ait eu vie, les vendredis de Caresme, n'est pas mal fait non plus, mais cela tire un [340] peu a la vanité d'esprit, quand cela se fait par le rapport de ce qui l'a euë ; mays quand cela se fait par mortification, cela est bon. Vivés toute entre les espines de la couronne du Sauveur, et comme un rossignol dans son buisson, chantés, ma Fille : VIVE JESUS !

            J'ay suivy vostre desir, mais vous verres que ce papier du livre a beu tout ce que j'y ay escrit ; et je croy, certes, que vostre cœur en fera de mesme, car c'est le vin delicieux de l'ame, qui l'enivre et ravit saintement, que ce divin et celeste amour. Chemines tous-jours en cette confiance ; et, en observant une amoureuse fidelité et loyauté envers ce cher Sauveur, ne vous mettes point en crainte de ne pas asses bien faire : non, ma Fille ; mays advoüant vostre bassesse et abjection, rejettes vostre soin spirituel en la bonté divine qui aggree nos petitz et chetifz effortz, pourveu qu'ilz soyent faitz avec humilité, confiance et fidelité amoureuse. Or, j'appelle amoureuse, la fidelité par laquelle, a nostre escient, nous ne voudrions rien oublier de ce que nous estimerions estre plus aggreable a l'Espoux, parce que nous aymons ses contentemens plus que nous ne craignons ses chastimens.

            Cette chair est admirable a ne vouloir rien de piquant ; mais la repugnance que vous aves ne tesmoigne pourtant point aucun manquement d'amour ; car, comme je pense, si nous » croyions qu'estant escorchés il nous aymeroit plus, nous nous escorcherions, non pas sans repugnance, mays malgré la repugnance. J'appreuverois que, par maniere d'essay, on taschast deux ou troys fois de se surmonter avec un peu de violence, au moins quelquefois ; car, qui ne gourmande jamais ses repugnances, il devient tous-jours plus douillet.

            La pauvre Mere de nostre Visitation est cruellement [341] tourmentee d'un catarrhe qu'elle a sur la bouche ; mais elle s'en res-joüyt et dit que, pourveu qu'elle applique son cœur a Dieu, elle treuve de la douceur en cette cuisante douleur. C'est une bonne fille, et bien resignee, et vous cherit grandement. Si fay-je bien, moy, qui suis tout vostre en Dieu, ma chere Fille. Vivés toute en luy.

FRANCS, E. de Geneve.

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MCCLXXVIII. Aux Chanoines de la Collégiale de Saint-Jacques de Sallanches. L'Evêque promet aux Chanoines de tenir leur doyen en son devoir.

 

Annecy, 2 février 1617.

 

            Messieurs,

 

            Je feray tout l'office qui sera requis pour tenir le sieur Doyen en devoir, affin quil ne mange pas le pain du saint autel, quil ne sert ni n'honnore nullement, ains quil mesprise et deshonnore, en tant quil le peut, extremement. Je vous envoye une lettre d'advis sur un fait [342] auquel je desire que vous metties ordre, puisque c'est de vostre charge, et m'asseurant qu'aussi feres-vous et que vous me feres part a vos prieres, je demeureray,

            Messieurs,

Vostre plus humble, tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 2 febvrier 1617, Annessi.

 

            A Messieurs

Messieurs du Chapitre de Salanche.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Annecy, Archives départementales de la Hte-Savoie, G, Collégiale de Sallanches, art. 19.

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MCCLXXIX. A la Mère de Chantal. On parle à Grenoble de l'établissement d'un monastère de la Visitation. — François de Sales a commencé « heureusement » ses prédications. — Les désirs de son cœur. — Messages paternels

 

Grenoble, 9 février 1617.

 

            Ce billet va dire a ma tres chere Mere que je cheris son cœur comme mon ame propre et son ame comme la mienne propre. On commence fort a parler d'une Visitation, et le passage de nostre bon Pere prædicateur en a grandement reveillé l'appetit, et nous verrons que ce sera. J'ay commencé aujourdhuy, aussi heureusement [343] que jamais je fis, les prædications, hormis que sur le milieu j'ay pensé estre un peu enroué.

            Mon cœur a mille bons desirs de bien servir le divin amour. Que vous puis-je dire davantage, ma tres chere Mere, sinon que vous demeuries toute joyeuse en ce celeste exercice auquel Dieu nous a si souvent et puissamment invités.

            Vous aures la bonne Mme du Chatelard, que je cheris fort dequoy elle a si bien conservé son affection ; ell'aura sans doute besoin de soin et de support. J'escriray a nos Seurs de Moulins, ma tres chere Mere, n'en doutes point.

            Or sus, qu'a jamais le nom de Nostre Seigneur soit sanctifié en nostre unique cœur. Amen.

            Je salue cherement nos Seurs, et si Mme la Comtesse [344] est la, je la salue tres particulierement, et mes cheres filles, qui sont les siennes. Vous sçaves aussi de quelle affection je salue ma fille de la Flechere. Mays ma pauvre chere seur Marie Aymee, je n'en dis rien, cette (sic) ma fille toute aymee ; et madamoyselle de Chantal aussi est ma chere fille.

            Je suis, vous le sçaves vous mesme certes, tout vostre.

            Le 9 febvrier 1617.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Monastère de la Visitation de Rouen.

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MCCLXXX. A Madame des Gouffiers (Inédite). Les vertus qui doivent accompagner le zèle. — Fermeté et délicatesse du saint Directeur. — Raisons de sa persistance à ne pas multiplier les Maisons de sa Congrégation

 

Grenoble, 10 février 1617.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            En ce peu de paroles que je puis vistement vous escrire, je voudrois bien vous faire entendre beaucoup de bonnes pensees que j'ay sur vostre sujet. Je voy que Dieu se sert de vostre courage pour l'establissement de cette Mayson de Moulins ; faites cela fidelement, avec le plus de repos d'esprit que vous pourres. Je voy les petitz ennuys que l'ennemi de ce bon œuvre a suscités ; et que vous puis-je dire, sinon qu'avec le zele, la patience, douceur, support vous est necessaire, et que, comme j'ay souvent dit, il est requis a qui entreprend quelqu'action [345] relevee pour le Sauveur, d'avoir provision de toutes sortes de vertus selon les occasions qui s'en presentent.

            Mays j'impose silence a vostre esprit, ma tres chere Fille, et ne veux pas quil die, non pas mesme, s'il se peut, qu'il pense que ces advis luy soyent donnés avec aucun degoust, comme si je craignois que vous oubliassies ces choses. Non, ma Fille, je dis ainsy ce que je croys estre a propos, sans autre prætention que de vous conforter au bien et vous tesmoigner que je suis tout vostre.

            La dame de Paris dont vous aves escrit sera bien employee avec ses moyens a Moulins ; quand Dieu voudra avoir une de ces Maysons a Paris, il fera naistre les commodités. Pour le present, vous pouves juger sil est expedient de les multiplier, ayans si peu de filles pour exercer la superiorité. Icy, on en desire une, je dis en une ville voysine, et tout est presque prest ; mais on envoyera les filles faire leur noviciat a Nissi, ou estant façonnees, une mediocre Superieure suffira par apres.

            Dieu vous veuille combler de son saint amour, ma tres chere Fille ; je suis en [lui] parfaitement vostre.

            A Grenoble, le 10 febvrier 1617.

 

            A Madame

Madame de Gouffiez.

            Moulins, pour Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Moulins. [346]

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MCCLXXXI. A la Mère de Bréchard Supérieure de la Visitation de Moulins. Le vrai chemin du Ciel

 

Grenoble, [10 ou 11 février 1617.]

 

            J'ay receu tous vos pacquetz, ma tres chere Fille. Haussés vostre teste dans le Ciel ; voyes que pas un des mortelz qui y sont immortelz n'y est allé que par des troubles et des afflictions continuelles. Dites souvent entre vos contradictions : C'est icy le chemin du Ciel ; je voy le port et suis asseuree que les tempestes ne peuvent empescher d'y aller.

            Dieu vous console et benisse mille fois. Je suis plus parfaitement qu'il ne se peut dire, ma tres chere Fille,

Vostre tres humble et tout fidele serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCCLXXXII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'Evêque de Genève demande à son prince l'autorisation de revenir prêcher le Carême suivant à Grenoble

 

Grenoble, 18 février 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Comme l'annee passee, sur la demande que le Parlement de cette ville me fit de mes prædications, je pris la resolution et response dans le commandement de Vostre [347] Altesse, de mesme maintenant, estant de rechef prié par cette mesme cour, de revenir encor prescher le Caresme suivant, je n'ay voulu rien dire en attendant que Vostre Altesse me face pour cela le commandement qu'il luy plaira, estant, comme je doy,

            Monseigneur,

Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANCS , E. de Geneve.

            XVIII febvrier 1617, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCLXXXIII. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Prétendantes grenobloises pour la Visitation. — Le saint Fondateur attend les nouvelles de Rome avant de leur donner une réponse. — Mme Le Blanc et sa famille

 

Annecy, 28 février 1617.

 

            Et faut il ainsy au moins en courant vous escrire, ma tres chere Fille. Il y a icy quatre ou cinq filles qui me parlent fort asseurement d'estre de la Visitation, et me semblent propres et dignes d'y estre receues ; mais je [348] ne sçai presque comme vous les envoyer, tandis que l'on est la en doute si elles pourront estre establies. Je les renvoye a la fin du Caresme, esperant que nous pourrons avoir, entre ci et la, quelques nouvelles de Rome. Or, en tout evenement, nostre Congregation est grandement estimee en tiltre de Congregation et sera fort favorisee ; mays puisque nous sommes en poursuite de la reduire en Religion, il faut avoir encor un peu de patience jusqu'a ce que nous sçachions ce qu'on en resoudra.

            Ce pendant, ma tres chere Fille, tenes bien vostre cœur debout et courageux, et Dieu vous comblera de benedictions, et vous consolera du bonheur qu'il donne aux ames desquelles il veut se servir pour l'avancement des autres.

            Je salue cette chere seur Marie Barbe, et je verray monsieur le President au premier jour, Dieu aydant. Elle a ici une seur toute d'or, a mon gré.

            Dieu soit a jamais vostre force et soustien, ma tres chere Fille, et je suis en luy tres fidelement vostre.

            Le 28 febvrier 1617. [349]

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MCCLXXXIV. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère (Inédite). Affaires ecclésiastiques du diocèse de Genève. — Au sujet d'une excommunication. — Les armes du duc de Savoie victorieuses

 

Grenoble, 2 mars 1617.

 

            Je m'estonne que vous n'ayes receu que le billet que j'escrivis par M. Charbonnet, car je vous ay certes escrit a toutes occasions, mon tres cher Frere, et fait response a tout ce que vous m'aves proposé.

            De la cure de Sernex, je vous laissoys faire comme vous jugeries plus a propos. Pour M. Vittoz, si les meurs et la renommee ne font point d'obstacle, l'habit quil porte ne luy en fait point, car cet Ordre-la est de Clercz reguliers qui, ayans licence de leurs Superieurs, peuvent servir de curés, ainsy que j'ay declaré par un escrit que je luy en ay fait.

            Quant a l'excommunication sur les entrees des femmes es monasteres des hommes, il faut avant toutes choses voir si il y en a, car jamais je ne l'ay veüe. Et sil y en a une, il faut bien considerer en quelz termes ell'est conceüe, et par apres on pourra la promulger (sic), [350] n'estant pas besoin d'autre (sic) monitions pour la promulgation des excommunications a jure. Mays il faut bien voir ce qui se pourra faire. Quant a y mettre l'excommunication par nostre authorité, la difficulté seroit grande, par ce quil y auroit lieu a l'appel ; et c'est une grande besoigne d'avoir a faire a des Religieux qui remueront toutes choses par apres pour empescher les effectz de nostre intention, quoy que juste et sainte. Nous avons l'exemple de Monseigneur de Tarentayse, plus fort, plus habile et plus hardi que nous, et qui n'avoit a faire qu'a un seul convent.

            Et pour conclure, sil y a quelque Canon ou Bulle papale qui porte cette excommunication, je suis content qu'avec bon advis on la promulge (sic) ; sil ny en a point de telle, je suis d'advis que nous facions une simple defence, laquelle nous irons fortifiant, par reservation du cas, ou par excommunication, selon que le tems nous enseignera devoir estre fait.

            Voyla tout ; et estant pressé, dautant que je n'ay que ce loysir d'entre le chapelet et l'Office, je vous salue mille et mille fois, mon tres cher Frere, et prie Dieu quil vous comble de bonheur, avec tous nos freres et confreres, demeurant tout vostre sans fin.

            A Grenoble, le 2 mars 1617. [351]

            M. de Crequi arriva hier, que j'ay veu ce soir et m'a dit que Albe estoit assiegee quand il partit, et tenoit qu'elle estoit prise des avanthier ; que l'on traittoit fort la paix en Espagne, et y avoit diverses opinions si elle se feroit ou non.

            Je salue de tout mon cœur messieurs les Collateraux et suis leur serviteur fidele, et mesdames leurs cheres espouses, avec la plus que toutes (sic), de madame de Quoex, ma seur.

 

            A Monsieur

Monsieur de Boysi,

Chanoyne et chantre de l'Eglise cathedle,

            Vicaire general au diocæse de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Bibliothèque de Besançon. [352]

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MCCLXXXV. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. L'Evêque de Genève sollicite la confirmation de M. de Charmoisy dans une charge.

 

Grenoble, 3 mars 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Vostre Altesse ayant fait lhonneur a monsieur de Charmoysi de non seulement l'employer, mays aussi aggreer son service, jusques a luy vouloir asseurer la charge qu'il avoit exercee, je supplie tres humblement vostre bonté, Monseigneur, de luy faire jouir du fruit de cette grace. En quoy, bien que je sois son parent, je ne me relascherois pas de le recommander si librement, si je ne voyois que cet honneur ne luy peut meshuy manquer sinon avec beaucoup de perte de sa reputation aupres de monsieur le Grand de France, monsieur d'Alincourt et plusieurs autres seigneurs du voysinage, qui, ayans sceu et luy ayans tesmoigné de se res-jouïr que Vostre Altesse l'en vouloit gratifier, attribueroyent le manquement a quelque degoust qu'il eut donné despuis en l'exercice de cet office, lequel au reste je m'asseure quil fera dignement et au gré de Son Altesse et de la Vostre, Monseigneur, si elle l'y establit. [353]

            Je prie Dieu qu'il accroisse de plus en plus ses benedictions sur Vostre Altesse, a laquelle je fay tres humblement la reverence, et suis infiniment,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            III mars 1617, a Grenoble.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCLXXXVI. Au même. Le sieur Gillette en Piémont. — Prière au prince de lui accorder sa protection

 

Grenoble, 5 mars 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Les affaires de la Sainte Mayson de Thonon appellans le sieur Gilette par dela, je supplie tres humblement Vostre Altesse de proteger et favoriser sa poursuite, qui ne peut aussi reuscir sinon par cet appuy, auquel nous recourons d'autant plus asseurement, que Vostre Altesse nous l'a ainsy commandé l'hors que nous avions le bonheur de sa presence. [354]

            Dieu, par sa bonté, veuille combler Vostre Altesse de ses benedictions ; souhait continuel,          Monseigneur, de

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            5 mars 1617, a Grenoble.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCLXXXVII. Au même. Un ecclésiastique qui porte les armes et extorque des lettres de faveur au duc de Savoie. — Comment faire cesser un pareil abus

 

Grenoble, 5 mars 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Il y a long tems que le doyen de Choysi, prestre, fait profession de conduire des soldatz et suivre l'armee, voulant neanmoins tirer les fruitz de son decanat sur le Chapitre et eglise de Salanche, comme sil faysoit la residence a laquelle il est obligé. Et par ce qu'il sçait que ledit Chapitre ne peut en conscience les luy distribuer, ni moy permettre qu'il en jouisse de la sorte, il obtient de tems en tems des lettres par lesquelles Son Altesse Serenissime commande audit Chapitre de delivrer lesditz fruitz. Mays je suis asseuré, Monseigneur, que si Son Altesse sçavoit la qualité de l'homme, elle le renvoyeroit a son devoir, et ne voudroit pas que l'Ordre ecclesiastique fut violé a son occasion, puisque mesme il n'a rien de si recommandable en la profession militaire que Son Altesse en puisse attendre aucun notable service.

            Et d'autant que j'en parlay a Vostre Altesse l'ors que nous avions le bonheur de sa presence de deça, et qu'elle [355] tesmoigna de treuver mes remonstrances dignes d'estre protegees, je la supplie tres humblement de me commander ce que j'auray a respondre, avec ce Chapitre-la, aux lettres reiterees de Son Altesse que ce mauvais prestre obtient, et par lesquelles il presse plus ce Chapitre qu'il ne sçauroit faire par aucune autre voye, la seule ombre de la volonté de saditte Altesse nous estant en extreme reverence.

            Je prie Dieu quil la conserve, et la Vostre,

            Monseigneur, delaquelle je suis

Tres humble et tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            5 mars 1617, a Grenoble.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCLXXXVIII. A la Mère de Chantal. Eloge du peuple de Grenoble. — La part que les hommes laissent aux femmes. — Projet d'établissement d'une Maison de la Visitation : sentiment du Saint à cet égard

 

Grenoble, 12 mars 1617.

 

            Ce ne sera qu'un billet, ma tres chere Mere, que vous recevres aujourd'huy de moy ; Dieu me partage a mille choses et ne laisse pas de me tenir dans la sainte unité que sa main a faite en nous.

            Je ne vis jamais un peuple plus docile que celuy ci, ni plus porté a la pieté ; sur tout les dames y sont tres devotes, car icy, comme par tout ailleurs, les hommes laissent aux femmes le soin du mesnage et de la devotion. Douze des premieres de la ville se sont rendues mes filles, et travaillent pour establir icy une Mayson de [356] nostre petite Visitation. Monseigneur l'Evesque et MM. du Parlement n'y tesmoignent aucune repugnance, ni moy aucun empressement, quoy que, a vous dire le vray, je desire cette Mayson, parce que j'espere que Dieu en sera glorifié. Je voy en sa Providence les moyens propres a l'execution de ce projet, et neanmoins je n'ay point encor le mouvement interieur d'en faire l'ouverture. Il faut attendre, prier et esperer, et sur tout nous bien humilier devant la divine Majesté.

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Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. de l'Année Sainte,

conservé à la Visitation d'Annecy. [357]

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MCCLXXXIX. A Madame de Grandmaison. Remplacer le jeûne corporel par la mortification du cœur. — Moisson de belles âmes

 

Grenoble, fin mars 1617.

 

            Je suis sur mon despart, ma tres chere Fille, et pressé pour cela ; vous mettres, s'il vous plaist, en consideration ces quatre lignes comme s'il y en avoit beaucoup. Croyes, je vous supplie, que jamais vostre tres chere ame ne sera plus aymee qu'elle l'est de la mienne.

            Mais, que me dit on ? On me dit qu'estant grosse vous jeusnes, et frustres vostre fruit de l'aliment qui est requis a sa mere pour luy donner celuy qui luy est deu. Ne le faites plus, je vous supplie, et vous humiliant sous l'advis des docteurs, nourrisses sans scrupule vostre cors en consideration de celuy que vous portes. Vous ne manqueres pas de mortification pour le cœur, qui est le seul holocauste que Dieu desire de vous.

            O mon Dieu, ma tres chere Fille, que j'ay treuvé icy force grandes ames au service de Dieu ! Que sa Bonté en soit benite. Et vous estes unie avec elles, puisque vous aves les mesmes desirs.

            Vives toute en Dieu, ma tres chere Fille, et perseveres a prier pour

Vostre tres humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [358]

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MCCXC. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon. Grande erreur de croire que l'oraison perfectionne sans l'obéissance. — Suivre Notre-Seigneur crucifié, et non son humeur et sa présomption. — Sentence de saint Bernard. — Que faire des gens qui veulent se gouverner à leur guise. — La sainte imprévoyance de la vraie servante de Dieu

 

Mars ou avril 1617.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous diray, sur la difficulté qu'a cette bonne fille, qu'elle se trompe grandement si elle croit que l'orayson la perfectionne sans l'obeissance, laquelle est la chere vertu de l'Espoux, en laquelle, par laquelle et pour laquelle il a voulu mourir. Nous sçavons par les Histoires et par experience, que plusieurs Religieux et autres ont esté saintz sans l'orayson mentale, mais sans l'obeissance, nul.

            C'est bien fait, ma tres chere Fille, il ne faut point de reserve ni de condition ; car, qui recevroit des ames en cette sorte, la Congregation se verroit toute pleine du plus fin, et par consequent du plus dangereux amour propre qui soit au monde. L'une mettroit en condition de [359] communier tous les jours ; l'autre, d'ouÿr trois Messes ; l'autre, de faire quatre heures d'orayson ; l'autre, de servir tous-jours les malades, et par ce moyen, chacune suivroit son humeur ou sa presomption, en lieu de suivre Nostre Seigneur crucifié. Il faut que celles qui entreront sçachent que la Congregation n'est faite que pour servir d'escole et de conduitte a la perfection, et que l'on y acheminera toutes les filles par les moyens plus convenables, et que les plus convenables seront ceux qu'elles ne choisiront point. « Qui se gouverne soy mesme, » dit saint Bernard, « il a un grand fol pour gouverneur. »

            Qu'elle demeure donq en paix entre les bras de sa Mere, qui la portera et menera par le bon chemin. Il faut aymer l'orayson, mays il la faut aymer pour l'amour de Dieu. Or, qui l'ayme pour l'amour de Dieu, n'en veut qu'autant que Dieu luy en veut donner, et Dieu n'en veut donner qu'autant que l'obeissance permet. Si donq cette fille (que j'ayme neanmoins bien fort pour le bien que vous m'en dites) se veut perfectionner a sa guise, il la faut remettre a elle mesme ; mais je ne croy pas, si elle est bien devote et qu'elle ayt le vray esprit d'orayson, qu'elle ne se sousmette a la pure obeissance.

            Elle est trop prevoyante de dire que, pour un peu de tems, elle s'accommodera a ne faire que demi heure d'orayson ; mais pour tous-jours, qu'il luy fascheroit. La vraye servante de Dieu n'est point soigneuse du lendemain ; elle fait fidelement ce qu'il desire aujourd'huy, demain elle fera ce qu'il desirera, et passé demain ce qu'il desirera, sans dire ni cecy, ni cela. C'est ainsy qu'il faut unir sa volonté, non au moyen de servir Dieu, mais a son service et a son bon playsir. Ne soyes point soigneux du lendemain, et ne dites point : Que mangerons nous, ni dequoy nous vestirons nous, ni dequoy vivrons nous ? Vostre Pere celeste sçait que vous aves besoin de tout cela. Cherches seulement le regne de Dieu, et toutes choses vous seront donnees. Cela s'entend du spirituel comme du temporel. Que donq cette fille prenne un cœur d'enfant, une volonté de cire et un esprit nu et despouillé de toute sorte d'affections, hormis [360] de celle d'aymer Dieu, et quant aux moyens de l'aymer, ilz luy doivent estre indifferens.

            Vivés doucement et saintement entre les peynes que vous aves sous vostre charge, ma tres chere Fille toute bienaymee, et je prie Dieu qu'il soit la vie de vostre ame. Amen.

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MCCXCI. A Madame de Vellepesle de Villeneuve. Le Saint promet de s'entremettre entre le marquis d'Aix et la destinataire.

 

Chambéry, 1er avril 1617.

 

            Madame,

 

            Passant par cette ville avec beaucoup de presse, j'ay receu vostre lettre et les memoires de vos prætentions ; dont je suis bien ayse, puisque monsieur le Marquis d'Aix m'a escrit que je luy fisse sçavoir ce que vous prœtendies, et que, revenant en ce païs, il seroit tous-jours bien content de voir tous les differens quil pourroit avoir avec vous, avec le plus de douceur et d'amitié que vous pourries desirer. Il est vray, disoit-il, [361] qu'apres son arrest de Paris, il pensoit estre exempt d'affaires pour vostre regard.

            Je luy feray donq part du memoire qui m'est laissé et, sur ses responses, je vous tiendray avertie, desireux que je seray toute ma vie de vous tesmoigner par effet que je suis,

            Madame,

Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            1er avril 1617.

 

            A Madame

Madame de Vallespelles

            et de Villeneufve.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Daniel de Vauguyon,

château de Monthéard (Sarthe).

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MCCXCII. A Madame de Blanieu. Se préparer à rendre compte à Notre-Seigneur. — Comment guider sa barque au milieu des vents.

 

Rumilly, 3 avril 1617.

 

            Vous aures, je m'asseure, receu ce que vous desiries de monsieur le premier Præsident de Savoye, car il [362] le despescha soudain ; et maintenant, ma tres chere Fille, vous recevrés, sil vous plait, en ce billet, un' asseurance nouvelle que je ne cesseray jamais de vous souhaiter mille et mille benedictions.

            Tenes bon, ma chere Fille, et soyes immobile es resolutions que vous aves prises pour le salut de vostre ame, affin que vous puissies rendre bon compte de vous mesme a Nostre Seigneur au jour de vostre trespas, lequel, a mesure quil s'approche, nous invite a nous præparer soigneusement.

            Soyes bien douce et gracieuse parmi les affaires que vous avés, car tout le monde attend ce bon exemple de vous. Il est aysé de conduire la barque quand elle n'est point pressee des vens et de passer une vie qui est exempte d'affaires ; mais parmi le tracas des proces, comme parmi les vens, il est difficile de tenir le chemin. C'est pourquoy il faut avoir grand soin de soymesme, de ses actions et de ses intentions, et faire tous-jours voir que le cœur est bon et juste, doux et humble et genereux.

            Vives toute a Nostre Seigneur, conserves bien vostre ame, et aymes la mienne, la recommandant souvent a la misericorde divine, puisque je suis,

            Madame,

Vostre plus humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            III avril 1617.

 

            A Madame

Madame de Blanieu.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Longin, à Lyon. [363]

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MCCXCIII. Aux Peres Barnabites réunis en chapitre général a Milan. Le Saint présente aux Pères capitulaires un Mémoire concernant l'extension des Barnabites en Savoie.

 

Annecy, 6 avril 1617.

 

            Molto Reverendi Padri in Christo osservandissimi,

 

            Habbiamo spesse volte, li RR. Padri della Congregazione vostra di questi collegii di Annessi et Thonone, trattato insieme et di concerto del modo col quale si potrebbe amplificare detta Congregatione in questi paesi di qua dei monti ; et in somma, non troviamo strada megliore di quella che si rappresenta nel Memoriale qui allegato, conforme al quale trattai col Serenissimo Signor [364] Prencipe di Piemonte, acciò si potessero anche amplificare l'entrate et havere in Rumigli alcuni beneficii per il Noviciato : et Sua Altezza mi promise ogni sorte di assistentia dal canto suo.

            Hora, resta che le Paternità Loro abbracino le propositioni nostre con amorevolezza et le faciano riuscir dal canto loro, come io dal canto mio m'adoprarò con tutto il cuore dove vederò l'opra mia poter esser utile. Le Vostre Riverentie giudicaranno facilmente che la dilatatione de la Religion sua sia per far buonissimo progresso a gloria d'Iddio in questi (sic) regioni, et che questa dilatatione non si può fare se non col tempo et methodo conveniente, secondo il beneplacito della Providentia divina ; la quale io supplico che conservi, accresca et perfettioni nella sua gratia le Riverentie Loro et la loro divotissima Congregatione, alle orationi [365] et Sacrificii del (sic) quale humilissimamente mi raccommando, restando con tutto il cuore,

            Delle Paternità Vostre molto Reverende,

Humile et affettionatissimo, come fratello et servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            VI di Aprile 1617, in Annessi.

 

Alli molto Rdi Padri del Ven. Capitolo Generale della Congregatione de Chierici regolari di S. Paolo.

            Milano.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives des RR. PP. Barnabites.

 

 

 

            Très Révérends et très honorés Pères dans le Christ,

 

            Bien des fois, avec les Révérends Pères de votre Congrégation des collèges d'Annecy et de Thonon, nous avons étudié de concert le moyen d'étendre ladite Congrégation en ces pays d'en deça les monts. En somme, nous ne trouvons de meilleure voie que celle indiquée dans le Mémoire ci-joint, conformément auquel j'ai [364] traité avec le Sérénissime Prince de Piémont, afin de pouvoir augmenter encore les revenus et avoir à Rumilly certains bénéfices pour le Noviciat. Son Altesse me promit, pour sa part, toute sorte d'assistance.

            Reste maintenant que Vos Paternités daignent embrasser avec bienveillance nos propositions et que, de leur côté, elles les fassent aboutir ; quant à moi, je m'emploierai de tout cœur là où je verrai que mon concours pourra être utile. Vos Révérences jugeront aisément que l'extension de leur Ordre est en voie de faire d'excellents progrès à la gloire de Dieu en ces régions, mais que, d'ailleurs, cette extension ne peut s'obtenir qu'avec le temps et une méthode convenable, suivant le bon plaisir de la divine Providence. Je la supplie de conserver, faire grandir et perfectionner dans sa grâce Vos Révérences et leur très pieuse Congrégation, aux prières et Sacrifices de [365] laquelle je me recommande très humblement, restant de tout cœur,

            De Vos très Révérendes Paternités,

Humble et très affectionné, comme frère et serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            6 avril 1617, à Annecy.

 

            Aux très Révérends Pères du vénérable Chapitre général de la Congrégation des Clercs réguliers de Saint-Paul.

            Milan.

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MCCXCIV. A la Présidente le Blanc de Mions. Conseils pour l'oraison. — Comment « accommoder cet exercice » avec la promptitude de l'esprit. — Les larmes de dévotion et l'usage qu'il en faut faire. — La douceur et la tranquillité n'empêchent pas l'action, mais la font réussir. — Contre les tentations au sujet de l'état de vie où l'on est embarqué. — L'extérieur d'une fille de Dieu.

 

Annecy, vers le 7 avril 1617.

 

            Je proteste, ma tres chere Fille, que voyci mon premier loysir. Je [le] desrobe encor parmi mille sortes d'affaires, [366] pour vous escrire un peu amplement sur le sujet duquel vous me parles pour vostre chere ame, a laquelle je vous conjure de dire cordialement ce que mon cœur desire estre dit au sien.

            O que vous estes heureuse, ma chere Fille, de vous estre desprise du monde et de ses vanités aussi ! Certes, a ce que j'ay peu reconnoistre en ce peu de tems que je vous ay consideree, vostre ame estoit faite tres particulierement pour le divin amour et non pour le terrestre.

             [1.] Immolés donq souvent toutes vos affections a Dieu par le renouvellement de la resolution que vous aves faite, de ne vouloir pas employer un seul moment de vostre vie que pour le service de la sacree dilection de l'Espoux celeste.

            2. Faites soigneusement l'exercice du matin qui est marqué au livre de l'Introduction ; et bien que la vistesse de vostre esprit comprenne en un seul regard tous les pointz de cet exercice, ne laissés pas de vous y entretenir autant de tems comme il en faut pour dire deux fois le Pater, et apres cela, prononcés de bouche [367] cinq ou six paroles d'adoration, et ensuite vous dirés le Pater avec le Credo.

            3. Vous prepareres apres vostre orayson : un mistere de la Vie ou Passion de Nostre Seigneur, que vous vous proposeres de mediter, si tel est le bon playsir de Dieu. Mays si, estant en l'orayson, vostre cœur se sent attaché a la simple presence du Bienaymé, vous ne passeres point plus outre, ains vous vous arresteres a cette presence ; que si, au contraire, vous ne vous sentes pas attachee a cette presence, bien que toutefois vous y soyes, vous mediteres doucement le point que vous aures disposé.

            4. Or, vous feres tous les jours l'orayson, sinon que quelque violente occupation vous en empesche ; puisque, comme vous m'aves dit, lhors que vous continues en ce saint exercice, vous ressentes un grand avancement de recueillement, duquel vous estes privee quand vous l'abandonnes.

            5. Mays affin d'accommoder cet exercice si utile a la vistesse et incomparable promptitude de vostre esprit, il suffira que vous y employes une petite demi heure chaque jour, ou un quart d'heure ; car cela, avec les eslans d'esprit, retraittes du cœur en la presence de Dieu et oraysons jaculatoires qui se feront parmi les heures du jour, suffira tres abondamment pour tenir vostre cœur serré et joint a vostre divin Object ; et mesme, cette orayson se pourra faire pendant la Messe pour gaigner tems.

            6. Or si, en faysant l'orayson, ou vous arrestant a la sainte presence, le sentiment se faysoit en la teste et qu'il en arrivast du travail et de la douleur en cette partie-la, il faudroit relascher l'exercice et n'appliquer pas l'entendement, ains, par des paroles interieures et affectionnees, appliquer le seul cœur et la volonté. Et c'est pour respondre a ce que vous me dites, qu'au commencement, le sentiment de la presence de Dieu se faysoit en la teste, qui parfois vous travailloit fort.

            7. S'il vient des larmes, vous les respandres ; mais si elles viennent souvent et avec trop de tendreté, vous releveres vostre esprit, si vous pouves, a gouster plus [368] paysiblement et tranquillement les misteres en la partie superieure de l'ame ; non pas contraignant et serrant les souspirs ou sanglotz, ou les larmes, mays divertissant d'une heureuse diversion vostre cœur, en le relevant petit a petit a l'amour pur du Bienaymé par des doux eslans : O que vous estes aymable, mon Bienaymé ! O que vous estes relevé en bonté et que mon cœur vous ayme ! ou autrement, selon que Dieu vous tirera.

            8. Et parce que vous me dites que vous n'aves fait que fort peu d'orayson pendant que vous aves esté chez vous, vostre esprit estant si actif et mouvant qu'il ne se peut arrester, je vous dis qu'il faut pourtant l'arrester, et allentir petit a petit ses mouvemens, affin qu'il face ses œuvres doucement et tranquillement, selon les occurrences. Et ne vous imagines pas que la douceur et tranquillité empesche la promptitude et l'œuvre, car au contraire, elle la fait plus heureusement reuscir.

            Or, ceci se peut faire en cette sorte. Par exemple : vous aves besoin de manger, selon la misere de cette vie ; il faut que vous vous assoyes tout bellement, et que vous demeuries assise jusques a ce que vous ayes honnestement refectionné vostre cors. Vous vous voules coucher ; despouilles vous tranquillement. Vous vous deves lever ; faites le paysiblement, sans mouvement desreglé, sans crier et presser celles qui vous servent. Et qu'en cela vous allies trompant vostre naturel et le reduisant petit a petit a la sainte mediocrité et moderation ; car a celles qui ont le naturel mol et paresseux, nous dirions : Hastes vous, d'autant que le tems est cher ; mays a vous, nous vous disons : Ne vous hastes pas tant, d'autant que la paix, la tranquillité, la douceur d'esprit est pretieuse, et que le tems s'employe plus utilement quand on l'employe paysiblement.

            9. Je vous dis, mays, ma chere Fille, je vous le dis fermement, que vous servies fidelement la volonté de Dieu et sa providence sur le sujet de vostre ancienne tentation, acquiesçant en toute humilité et sincerité au bon playsir celeste, par lequel vous vous treuves en l'estat auquel vous estes. Il faut que l'on demeure en la [369] barque en laquelle on est, pour faire le trajet de cette vie a l'autre, et que l'on y demeure volontier et amiablement ; parce qu'encor que quelquefois nous n'y ayons pas esté mis de la main de Dieu, ains de la main des hommes, apres neanmoins que nous y sommes, Dieu veut que nous y soyons, et partant il faut donq y estre doucement et volontier. O combien d'ecclesiastiques sont embarqués par des mauvaises considerations et par la force que les parens ont employé pour les faire entrer en cette vocation, qui font de necessité vertu et qui demeurent par amour ou ilz sont entrés par force ! autrement, que deviendroyent ilz ? Ou il y a moins de nostre choix, il y a plus de sousmission a la volonté celeste.

            Que ma chere fille donq, acquiesçant a la volonté divine, die souvent de tout son cœur : Ouy, Pere eternel, je veux estre ainsy, parce qu'ainsy il vous a esté aggreable que je fusse. Et la dessus, ma tres chere Fille, je vous conjure d'estre bien fidele a la prattique de cet acquiescement et dependance de l'estat auquel vous estes ; et partant, ma chere Fille, il faut que vous nommies quelquefois, es occurrences, les personnes que vous sçaves, du nom auquel vous aves aversion ; et quand vous parleres a la principale d'icelles, que quelquefois vous employies parmi vos remonstrances des paroles de respect. Ce point est de telle importance pour la perfection de vostre ame, que je l'escrirois volontier de mon sang.

            En quoy voulons nous tesmoigner nostre amour envers Celuy qui a tant souffert pour nous, si ce n'est entre les aversions, repugnances et contradictions ? Il faut fourrer nostre cervelle entre les espines des difficultés et laisser transpercer nostre cœur de la lance de la contradiction ; boire le fiel et avaler le vinaigre, et en somme, manger l'absinthe et le chicotin, puisque c'est Dieu qui le veut. En somme, ma chere Fille, puisqu'autrefois vous aves nourri et favorisé de tout vostre cœur la tentation, maintenant, de tout vostre cœur, vous deves nourrir et favoriser cet acquiescement. Que s'il vous arrivoit quelque [370] notable difficulté sur ce sujet par le defaut de cette personne, ne remues rien neanmoins qu'apres avoir regardé l'eternité, vous estre mise en l'indifference et avoir pris l'advis de quelque digne serviteur de Dieu, si la chose presse, ou mesme de moy, puisque je suis vostre Pere, si le tems le permet ; car l'ennemi, nous voyant vainqueur de cette tentation par nostre acquiescement au bon playsir divin, remuera, je pense, toutes sortes d'inventions pour nous troubler.

            10. Au reste, que la tressainte et divine humilité vive et regne en tout et par tout : les habitz, simples, mais selon la propre bienseance et convenance de nostre condition, en sorte que nous n'espouvantions pas, ains allechions les jeunes dames a nostre imitation ; nos paroles, simples, courtoises, et neanmoins douces ; nos gestes et nostre conversation, ni trop resserree et contrainte, ni trop relaschee et molle ; nostre face, nette et decrassee ; et en un mot, qu'en toutes choses la suavité et modestie regne, comme il est convenable a une fille de Dieu.

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MCCXCV. A Madame de Veyssilieu. La crainte excessive de la mort empêche l'âme de s'unir à Dieu par amour. Dix remèdes indiqués pour s'en affranchir.

 

Annecy, 7 avril 1617.

 

            Madame,

 

            A cette premiere commodité que j'ay de vous escrire, je tiens ma promesse, et vous presente quelques moyens [371] par lesquelz vous pourres addoucir la crainte de la mort, qui vous donne de si grans effroys en vos maladies et enfantemens : en quoy, bien qu'il n'y ayt aucun peché, si est ce qu'il y a du dommage pour vostre cœur, lequel, troublé de cette passion, ne peut pas si bien se joindre par amour avec son Dieu, comme il feroit s'il n'estoit pas si fort tourmenté.

            Premierement donq, je vous asseure que si vous perseverés a l'exercice de devotion, comme je voy que vous faites, vous vous treuveres petit a petit grandement allegee de ce tourment ; d'autant que vostre ame, se tenant ainsy exempte des mauvaises affections et s'unissant de plus en plus a Dieu, elle se treuvera moins attachee a cette vie mortelle et aux vaines complaysances que l'on y prend. Continués donq en la vie devote selon que vous aves commencé, et alles tous-jours de bien en mieux au chemin dans lequel vous estes ; et vous verres que, dans quelque tems, ces terreurs s'affoibliront et ne vous inquieteront plus si fort. [372]

            Secondement, exerces vous souvent es pensees de la grande douceur et misericorde avec laquelle Dieu nostre Sauveur reçoit les ames en leur trespas, quand elles se sont confiees en luy pendant leur vie et qu'elles se sont essayees de le servir et aymer, chacune en sa vocation. O que vous estes bon, Seigneur, a ceux qui ont le cœur droit !

            Tiercement, relevés souvent vostre cœur par une sainte confiance meslee d'une profonde humilité envers nostre Redempteur ; comme disant : Je suis miserable, Seigneur, et vous recevres ma misere dans le sein de vostre misericorde, et vous me tireres de vostre main paternelle a la jouissance de vostre heritage. Je suis chetifve, et vile, et abjecte ; mays vous m'aymeres en ce jour, parce que j'ay esperé en vous et ay desiré d'estre vostre.

            Quatriesmement, excités en vous, le plus que vous pourres, l'amour du Paradis et de la vie celeste, et faites plusieurs considerations sur ce sujet, lesquelles vous treuveres suffisamment marquees au livre de l'Introduction a la Vie devote, en la Meditation de la gloire du Ciel, et au choix du Paradis ; car, a mesure que vous estimeres et aymeres la felicité eternelle, vous aures moins d'apprehension de quitter la vie mortelle et perissable.

            Cinquiesmement, ne lises point les livres ou les endroitz des livres esquelz il est parlé de la mort, du jugement et de l'enfer ; car, graces a Dieu, vous aves bien resolu de vivre chrestiennement et n'aves point besoin d'y estre poussee par les motifs de la frayeur et de l'espouvantement.

            Sixiesmement, faites souvent des actes d'amour envers Nostre Dame, les Saintz et Anges celestes ; apprivoysés vous avec eux, leur addressant souvent des paroles de louange et de dilection ; car ayant beaucoup d'acces avec les citoyens de la divine Hierusalem celeste, il vous faschera moins de quitter ceux de la terrestre ou basse cité du monde.

            Septiesmement, adorés souvent, loués et benissés la tres sainte Mort de Nostre Seigneur crucifié, et mettés toute vostre confiance en son merite, par lequel vostre mort [373] sera rendue heureuse ; et dites souvent : O divine mort de mon doux Jesus, vous benires la mienne, et elle sera benite ; je vous benis, et vous me benires, o mort plus aymable que la vie ! Ainsy saint Charles, en la maladie de laquelle il mourut, fit mettre a sa veuë l'image de la sepulture de Nostre Seigneur et celle de l'orayson qu'il fit au mont des Olives, pour se consoler en cet article, sur la Mort et Passion de son Redempteur.

            Huitiesmement, faites quelquefois reflexion sur ce que vous estes fille de l'Eglise catholique, et vous res-jouisses de cela ; car les enfans de cette Mere qui desirent de vivre selon ses loix, meurent tous-jours bienheureux, et, comme dit la bienheureuse Mere Therese, c'est une grande consolation a l'heure de la mort d'estre « fille de la sainte Eglise. »

            Neufviesmement, finisses toutes vos oraysons en confiance, comme disant : Seigneur, vous estes mon esperance ; en vous j'ay jetté ma fiance. O Dieu, qui espera jamais en vous, lequel ayt esté confondu ? J'espere en vous, o Seigneur, et je ne seray point confondu eternellement. En vos oraysons jaculatoires parmi la journee, et en la reception du tressaint Sacrement, usés tous-jours de paroles d'amour et d'esperance envers Nostre Seigneur, comme : Vous estes mon Pere, o Seigneur ! O Dieu, vous estes l'Espoux de mon ame ; vous estes le Roy de mon amour et le Bienaymé de mon ame ! O doux Jesus, vous estes mon cher Maistre, mon secours, mon refuge !

            Dixiesmement, consideres souvent les personnes que vous aymes le plus et desquelles il vous fascheroit d'estre separee, comme des personnes avec lesquelles vous seres eternellement au Ciel : par exemple, vostre mary, vostre [374] petit Jean, monsieur vostre pere. O ce petit garçon, qui sera, Dieu aydant, un jour bienheureux en cette vie eternelle, en laquelle il jouira de ma felicité et s'en res-jouira, et je jouiray de la sienne et m'en res-jouyray sans jamais plus nous separer. Ainsy du mary, ainsy du pere et des autres : en quoy vous aures d'autant plus de facilité, que tous vos plus chers servent Dieu et le craignent. Et parce que vous estes un peu melancholique, voyes au livre de l'Introduction a la Vie devote ce que je dis de la tristesse et des remedes contre icelle.

            Voyla, ma chere Dame, ce que pour le present je vous puis dire sur ce sujet, que je vous dis avec un cœur grandement affectionné au vostre, lequel je conjure de m'aymer et recommander souvent a la misericorde divine, comme reciproquement je ne cesseray jamais de la supplier qu'elle vous benisse.

            Vivés heureuse et joyeuse en la dilection celeste, et je suis

Vostre plus humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 7 avril 1617. [375]

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MCCXCVI. A Madame Cottin (Inédite). Assurance de paternelle affection. — « Se mortifier et faire toutes choses selon la volonté de Dieu. »

 

Annecy, 8 avril 1617.

 

            Par ces quatre lignes je vous asseure, ma chere Fille, que je vous cheris tous-jours sans varier et vous souhaite toute benediction, et a monsieur le Maistre et a toute [376] vostre famille. Ne permettes pas a vostre esprit d'entrer en ces defiances qui le rendent amer et triste. Tenes vostre cœur doux et bon envers le prochain, et ainsy Dieu vous benira de ses grandes benedictions, comme de tout mon cœur je l'en supplie, et suis sans fin,

            Vostre plus humble, tres affectionné, et a M. le Maistre que je salue icy avec vous de tout mon cœur.

            Annessi, le VIII avril 1617.

            Je salue encor Mlle Baro, et luy recommande de tenir son ame en devotion.

            Pour plusieurs bonnes raysons, je desire que vous ne venies point cett'annee, ou du moins pas si tost, puisqu'aussi bien, quant a Marie, elle ne peut en façon quelcomque estre receue avant l'aage. Il faut se mortifier, et faire toutes choses selon la volonté de Dieu. Il ny a rien qui presse, ni rien a faire en vostre ame que de la rendre douce et amiable es contradictions.

 

            A Madamoyselle

            Madamoyselle Cottin.

            A Grenoble.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Laval, chez les Dames du Sacré-Cœur. [377]

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MCCXCVII. Au Président Antoine Favre (Inédite). Une aspirante à la Visitation. — Mortalité à Chambéry.

 

Annecy, 10 avril 1617.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Avec mille remercimens de la faveur de vos lettres, je vous donne le bonjour, et vous asseure que j'ay escrit pour la niece de monsieur Chanal, non seulement a nostre fille, dont il n'estoit pas besoin, mays aussi a Monseigneur l'Archevesque duquel tout depend.

            On me fait peur par le bruit qui court qu'a Chamberi il y a des maladies si dangereuses, et que monsieur d'Avise s'en va mort, qui est le sujet du voyage de ce porteur. Nous sommes icy sans nouvelles. [378]

            Je prie Dieu quil vous conserve, avec madame ma chere seur, et suis sans fin, Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble et obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            X avril 1617.

 

            A Monsieur

Monsieur Favre, Baron de Peroges,

Conseiller d'Estat de S. A., premier President de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine Collonges, aumônier de la Visitation de Chambéry.

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MCCXCVIII. A M. Benigne Milletot. Le Saint prie son ami d'appuyer une requête fondée « sur la pieté et la justice. » — M. de Charmoisy grand maître de l'artillerie. — Engagement pour le prochain Carême à Grenoble.

 

Annecy, 12 avril 1617.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            C'est maintenant pour mon Eglise (et que puis-je dire de plus affectionné ?) que j'implore vostre fraternelle faveur, et croy qu'elle me sera facilement accordee, sur tout quand vous aures ouy la remonstrance que ce porteur vous fera, par laquelle vous verres que le brevet dont il s'agit est non seulement fondé sur la pieté, mais encor, si je ne me trompe, sur la justice. Je vous supplie donq tres humblement, Monsieur mon Frere, de nous estre ardemment propice.

            Vous me demandies l'autre jour, par la derniere lettre que j'ay eu le bien de recevoir de vous, des nouvelles de [379] monsieur de Charmoysi, mon parent ; en quoy vous tesmoignes vostre bon et beau naturel, et cet honneste chevalier vous en sera grandement obligé quand il le sçaura ; ce qui sera dans peu de jours, que luy et sa femme viendront en cette ville, puisque Monseigneur le Prince de Piemont ayant reconneu en cette derniere occasion sa valeur et suffisance es choses de la guerre, l'a creé grand maistre de l'artillerie de cet Estat, et despuis a esté embrassé et caressé sans mesure par Monsieur le Duc de Nemours, qui l'invitâ de venir en cette ville et le traitta tres honnorablement. En fin, il n'est que d'estre gens de bien.

            Je suis engagé encor pour l'annee suivante a Grenoble, monsieur le Mareschal Desdiguieres l'ayant demandé a Son Altesse, qui l'a volontier accordé. Veuille la Bonté divine m'y rendre fructueux ! Et il failloit bien rendre ce conte de moy mesme a monsieur mon Frere, que j'honnore de tout mon cœur et auquel je suis

Tres humble frere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            Annessi, le XII avril 1617.

 

            A Monsieur

             [Monsieur] Milletot, seigr de Villy,

Conseiller du Roy au Parlement de Bourgoigne.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Rouen. [380]

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MCCXCIX. Au Père Général des Barnabites. Prière instante de renvoyer le P. Fulgence Chioccari en Savoie.

 

Annecy, 12 avril 1617.

 

            Reverendissimo Padre in Christo osservandissimo,

 

            Andando il P. D. Fulgentio costì per le cose le quali io con l'ultima mia raccomandai a V. P. Rma , non è necessario che adesso dica altra cosa, se non che se per sorte occorresse qualche tentatione ad esso Padre [381] di restar là, per amor d'Iddio V. P. non consenta ; perche in questo principio è necessaria la perseverantia et stabilità de' Padri li quali han già imparata la lingua et fatta la santa amicitia necessaria al maneggio delle Case.

            Et con questo, implorando le orationi sue, resto,

            Di V. P. Rma,

Humile et divoto, come fratello et servitore in Christo,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            XII Aprile 1617, in Annessi.

 

            Al Rmo Padre in Christo osservandissimo,

Il Padre Generale della Congrne de' Chierici regolari di S. Paulo.

            Milano.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [382]

 

 

 

            Révérendissime et très honoré Pere dans le Christ,

 

            Puisque le P. D. Fulgence se rend auprès de vous pour les affaires que je recommandai à Votre Paternité Révérendissime par la mienne dernière, il n'est pas besoin que j'ajoute autre chose. Si toutefois ce Père avait par hasard la tentation de rester là-bas, je [381] supplie Votre Paternité, pour l'amour de Dieu, de n'y pas consentir ; car, en ce commencement, la persévérance et la stabilité des Pères qui ont déjà appris la langue et contracté la sainte amitié requise au maniement des Maisons, sont absolument nécessaires.

            Sur ce, implorant vos prières, je demeure,

            De Votre Paternité Révérendissime,

Humble et dévoué, comme frère et serviteur dans le Christ,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            12 avril 1617, à Annecy.

 

            Au Révérendissime et très honoré Père dans le Christ,

Le Père Général de la Congrégation des Clercs réguliers de Saint-Paul.

            Milan. [382]

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MCCC. A la Comtesse de San Secondo. A quelles âmes François de Sales dédiait volontiers son service. — Envoi des Règles de la Visitation. — Une instance en Cour de Rome. — Assurance de prières pour la Maison de Savoie.

 

Annecy, 25 avril 1617.

 

            Madame,

 

            Bien que je n'aye pas le bonheur d'estre conneu de vous, si est ce que je ne laisse pas de reconnoistre en vous les qualités par lesquelles vous merites d'estre honnoree de tous ceux qui font profession de l'honneur ; dequoy madame la Baronne de Giez, ma cousine, se rendra, je m'asseure bien, ma caution. Mays, laissons cela a part.

            Le sujet de vostre lettre, qu'il vous a pleu de m'escrire, me tesmoigne asses que vous aves dedié vostre amour a Dieu ; et que faut-il davantage pour m'obliger a vous dedier mon service ? Je le fay donq certes de tout mon cœur, et a madame la signora Donna Genevra, benissant la bonté souveraine de Nostre Seigneur qui, par ses celestes attraitz, vous a donné de si desirables affections.

            Or, voyla les Regles de la Visitation, esquelles neanmoins [383] on n'a pas estendu les derniers articles, par ce qu'ilz comprennent des formulaires asses longs et qui ne regardent pas tant les actions communes des Seurs, comme les particulieres des formes et ceremonies dont on use en leurs receptions seulement. Mays si vous les desirés encores, je vous les envoyeray au premier advis que vous m'en feres donner, comm'encor les prattiques des Regles, qui est une besoigne a part ; bien qu'apres tout cela, il faut que vous sachies que les Regles sont a Rome, ou l'on sollicite pour reduire cette Congregation en Religion. Et peut estre que Sa Sainteté y fera adjouster quelque chose ; ce que je ne pense toutefois pas devoir estre chose d'importance, puisque, comme nous escrit celuy qui a l'affaire en main, il ny a point d'autre difficulté sinon pour le regard de l'Office, que les messieurs qui ont l'intendance de cela veulent estre le grand Office du Breviaire ; et nous desirerions que cette Congregation ne fut obligee qu'au petit Office, affin qu'elle continuast a le chanter avec la gravité, distinction, tranquillité et, pour le dire en un mot, avec la sainteté que ces ames le prononcent maintenant. Et pour obtenir cette grace, nous employons la faveur de monsieur l'Ambassadeur qui, avec le nom de Madame la Serenissime Infante, fera a mon advis reuscir heureusement l'affaire ; en quoy la signora Donna Genevra n'a pas peu de credit.

            Cependant, vivés et l'une et l'autre toutes en Dieu, hors lequel la vie est une mort, et auquel la mort est une heureuse vie. Que si vous me faites la faveur de demander a sa divine Majesté une pareille grace pour [384] moy, ce sera m'obliger de plus en plus a vouloir estre pour jamais, Madame,

Vostre plus humble, tres affectionné serviteur

en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le XXV avril 1617.

            Quand il en sera tems, Madame, j'escriray a Monseigneur le Prince, pour la prosperité duquel, et de toute la Mayson, nous faysons des speciales et continuelles prieres, tant publiques que particulieres : en quoy nous obeissons avec anticipation de sousmission aux desirs des Serenissimes Infantes.

            Madame de Bressieu, qui est la, m'a fait grandement presser d'envoyer ces Regles ; c'est pourquoy je n'ay pas pris le loysir de les faire mieux escrire, dont je vous supplie de m'excuser.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Pignerol. [385]

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MCCCI. A la Présidente le Blanc de Mions. Agir et parler sans regard sur le qu'en dira-t-on. — Est-ce hypocrisie « de ne pas faire si bien que l'on parle ? » — Marcher « par le milieu des belles vertus, » et non « par les extremités » des subtilités. — Différents conseils sur quelques points particuliers et sur l'oraison. — La vocation de Mlle de Gérard. — Pourquoi les livres du Saint « ont treuvé de l'acces » en l'esprit de la Présidente. — Salutations à plusieurs dames de Grenoble. — Une triste affaire. — Folie des enfants du monde

 

Annecy, 26 avril 1617.

 

            Je respons a vostre lettre du 14, ma tres chere Fille. 1. Dites a cette chere Barbe Marie, qui m'ayme tant et que j'ayme encor plus, qu'elle parle librement de Dieu par tout ou elle pensera que cela soit utile, renonçant de bon cœur a tout ce que ceux qui l'escoutent peuvent penser ou dire d'elle. En un mot, je luy ay des-ja dit quil ne faut rien faire ni rien dire pour en estre loué, ni laisser aussi de rien faire ou rien dire crainte d'estre loué. Et ce n'est pas estre hipocrite de ne faire pas si bien que l'on parle, car, Seigneur Dieu ! a quoy en serions nous ? Il faudroit donq que je me teusse, de peur d'estre hipocrite, puisque si je parlois de la perfection il s'ensuivroit que je penserois estre parfait. Non certes, ma tres chere Fille, je ne pense pas estre parfait parlant de la perfection, non plus que je ne pense pas estre Italien parlant italien ; mais je pense sçavoir le langage de la perfection, l'ayant appris de ceux avec qui j'ay conversé qui le parloyent.

            2. Dites luy qu'elle poudre ses cheveux, puisque son intention est droite ; car les cogitations qui viennent sur cela ne sont nullement considerables. Il ne faut pas entortiller vostre esprit parmi ces toiles d'araignee. Les [386] cheveux de l'esprit de cette fille sont encor plus deliés que ceux de sa teste, et c'est pourquoy elle s'en embarasse. Il ne faut pas estre si pointilleuse, ni s'amuser a tant de repliques ausquelles Nostre Seigneur n'a point d'egard. Dites luy donq qu'elle marche a la bonne foy, par le milieu des belles vertus de la simplicité et humilité, et non par les extremités de tant de subtilités de discours et de considerations. Qu'elle poudre hardiment sa teste, car les faysans gentilz poudrent bien leurs pennages, de peur que les poux ne s'y engendrent.

            3. Qu'elle ne perde pas le sermon ou quelque bonne œuvre faute de dire : Despechés ! mais qu'elle le die doucement et tranquillement. Si ell' est a table et le Saint Sacrement passe, qu'elle l'accompaigne en esprit, si il y a d'autres gens a table avec elle. Sil ny a personne, qu'elle l'accompaigne, si, sans s'empresser, elle peut y estre asses tost ; et puis, qu'elle retourne doucement prendre sa refection, car Nostre Seigneur ne vouloit pas mesme que Marthe le servit avec empressement.

            4. Je luy ay dit qu'elle pouvoit parler fortement et rrsolument, es occasions ou il est requis, pour retenir en devoir la personne qu'elle sçait ; mays que la force estoit plus forte quand ell'estoit tranquille et qu'on la faysoit naistre de la rayson, sans meslange de passion.

            5. La Socirté des Douze ne sçauroit estre mauvaise, car l'exercice duquel elle se sert est bon ; mays il faut que cette Barbe Marie, qui ne veut point de peut estre, soufre celuy ci : que, peut estre, cette Societé est veritable, car n'estant nullement tesmoignee par aucun Prælat, ni aucune personne digne de foy, nous ne sçaurions estre asseuree (sic) qu'elle ayt esté instituee, le livret qui le dit n'alleguant ni autheur, ni tesmoin qui en asseure. Ce qui ne peut nuire et peut proffiter est neanmoins bon.

            6. Qu'elle marche en l'orayson, ou par pointz, comme nous avions dit, ou selon son accoustumee, il importe peu ; [387] ains nous nous souvenons bien que nous luy dismes que seulement elle praeparast les pointz et s'essayat, au commencement de l'orayson, de les savourer ; et si elle les savoure, c'est signe que Dieu veut qu'elle suive cette methode, au moins alhors. Que si neanmoins la douce presence accoustumee l'occupoit par apres, elle s'y laissast aller, et aux colloques aussi qu'elle fait par Dieu mesme, qui sont bons en la sorte qu'elle me les represente en vostre lettre ; mays pourtant, il faut aussi quelquefois parler a ce grand Tout, comme voulant que nostre rien face quelque chose. Or, puisque vous lises nos livres, je n'adjousteray rien, sinon que vous aillies simplement, rondement, franchement, et avec la naifveté des enfans, tantost entre les bras du Pere celeste, tantost tenue par sa main.

            7. Quant a Mlle de Gerard ou Reautier, sil y a apparence qu'on puisse eriger une Mayson par dela, il la faut faire venir icy, car il y aura plus de facilité de la renvoyer ; si moins, je persevere qu'elle suive sa premiere visee. Mais au premier cas, je vous laisseray mesnager l'affaire pour Lyon, non pas envers ma Seur Favre, qui sera tous-jours contente de ce que nous [388] ferons, estant si grandement nostre fille et seur comme ell'est ; mais ailleurs, a Lion, ou vous sçaves. Or, de ceci faites en la responce a Mme de Boqueron, sil vous plait, en cas que je ne puisse pas luy escrire, car je suis fort pressé, certes, et par consequent ne sçaurois escrire a Mme de Saint André pour ce coup. Si vous luy faites voir la copie de ce que j'escrivoys a Mme de Vicillieu, cela suffiroit pour un tems.

            Je suis bien ayse que mes livres ont treuvé de l'acces en vostre esprit, qui estoit si brave que de croire quil se suffisoit a soymesme ; mays ce sont les livres du Pere, et du cœur duquel vous estes la chere fille, puisque ainsy a-il pleu a Dieu, auquel soit a jamais honneur et gloire.

            Je n'escris donq a personne qu'a vous, mais je desire bien pourtant que, par vostre entremise, je puisse saluer madame de Saint André et madame de Virieu, que vous cherisses si ardemment. Et puis, madame Odeyer, qui m'a bien escrit une lettre fort devote, dont je suis bien consolé, car je luy souhaite beaucoup de bonheur spirituel ; et madame de Boqueron, et puis en fin la bonne [389] mere, et nostre bon M. d'Urme, que mon ame honnore et ayme parfaitement.

            J'envoyeray les Regles de la Visitation au premier jour ; je les avoys fait des-ja transcrire, mais il les faut envoyer a Thurin, ou l'on pense a l'erection d'une Mayson puissamment.

            Le President qui a tué sa femme estoit un bon homme, mais cholere ; l'Abbé qui a esté blessé n'estoit pas prestre, ni ordonné es Ordres sacrés, mais possedoit le benefice de son abaye, pour estre de grande mayson. On dispute qui avoit le tort ; helas ! je les regrette tous, car je pense quil l'avoit (sic) tous. O que les enfans du monde sont sages ! ce dit on. O quilz sont folz ! ce dit Dieu. Bienheureux sont les enfans de Dieu, car ilz l'ayment et sont aymés de luy.

            Annessi, le XXVI avril 1617.

 

            A Madame

Madame la Presidente de Mions.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry. [390]

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MCCCII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Nouvelles plaintes au sujet du doyen de Sallanches.

 

Annecy, 26 avril 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Vostre Altesse est protectrice de la discipline ecclesiastique, et la regardant en cette qualité, je luy remonstre que le Doyen de Salanche, nommé Choysi, vient parmi ce pais faire des levees de gens de guerre et, tant de deça comme dela les montz, profane furieusement sa profession ecclesiastique et l'Ordre de prestrise qu'il a, par mille mauvais et scandaleux deportemens, indignes mesme d'un soldat desbauché.

            Mays le bon est, qu'avec cela il obtient subrepticement et par surprise des lettres de Son Altesse, par lesquelles elle commande au Chapitre de Salanche de le faire jouir des fruitz de sa præbende comme s'il estoit resident ; ce que Vostre Altesse sçait trop mieux estre contraire au droit divin, ecclesiastique et civil. Et neanmoins, il ne laisse pas de presser et molester ledit Chapitre, abusant ainsy du nom et de l'authorité de Son Altesse, laquelle sans doute n'a point de telle intention, puisque mesme cet homme ne la sert nullement a ses despens, et n'est pas capable de luy faire aucun service qui merite aucune consideration speciale, n'estant non plus bon soldat que bon prestre. Qui me fait recourir a la providence de Vostre Altesse, affin qu'il luy playse de renvoyer ledit Choysi a sa residence pour y rendre son devoir, et declarer que, sans cela, il ne peut recevoir ni demander les fruitz [391] de sa præbende, et que ce n'est pas la volonté de Son Altesse qu'on se departe des loix et constitutions ecclesiastiques. Il importe que cette insolence en cette sorte de personnes soit reprimee.

            Cependant, je ne cesseray jamais de souhaiter toute sorte de parfaite prosperité a Vostre Altesse, demeurant a jamais,

            Monseigneur,

Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVI avril 1617, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Morrison, à Londres.

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MCCCIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Indifférence de l'Evêque de Genève pour le choix de la ville où il doit prêcher. — Le bon plaisir de son souverain décidera entre Paris et Grenoble

 

Annecy, 30 avril 1617.

 

            Monseigneur,

 

            J'ay receu maintenant le commandement que Vostre Altesse me fait de me preparer pour aller prescher l'Advent et Caresme suivant a Paris ; et neanmoins, par lettres de M. le Baron de Marcieu, j'ay sceu que [392] Vostre Altesse m'avoit accordé pour le mesme Advent et Caresme a la cour du Parlement de Grenoble : qui me fait supplier tres humblement Vostre Altesse de me faire sçavoir auquel des deux lieux je m'attendray d'aller, m'estant, pour moy, chose asses indifferente, pourveu que, ou que je sois, ce soit selon le bon playsir de Vostre Altesse, a laquelle je suis, et a laquelle je souhaite toute sainte prosperité, comme doit,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres fidele et tres obeissant

orateur et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            Annessi, 30 avril 1617.

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MCCCIV. A Madame de la Fléchère. La grâce d'un trépas. — Difficultés au sujet d'un mariage. — Une pénitente du Saint. — Messages et nouvelles

 

Annecy, 30 avril 1617.

 

            Il faut bien pourtant, ma tres chere Fille, vous respondre un mot. J'ay dit louange en mon cœur a la Providence celeste sur le trespas de la pauvre Gavent ; ce luy a esté une grace speciale de partir de ce monde, puisqu'elle y couroit tant de hasard de s'y perdre.

            Vous aves fort bien traitté avec madame la Comtesse pour le cousin et pour moy. Certes, je ne pense pas [393] que le cousin ne se soit fort bien comporté en cette occasion, ainsy quil en rendra bon compte si l'on veut. Pour moy, vous le sçavés ; mays il faut avoir un peu de patience. Le cousin auroit grand'envie de sçavoir si c'est Son Excellence qui a dit quii ne s'estoit pas voulu engager d'escrire a M. de Saint Damian pour ce mariage ; par ce que si c'estoit elle, il faudroit en parler plus reservement, quoy qu'il n'en soit rien. Si vous le pouvés sçavoir, vous le me pourres escrire, et je le mesnageray.

            Hier nous fismes une bonne confession, Mme de Tornon et moy, et nous nous sommes rendus grans cousins, et croy qu'elle fera merveilles en la devotion.

            Le P. Commissaire vous dira que je n'ay eu nul loysir de luy parler, sinon presque de M. le Prieur, pour un affaire quil a avec les exacteurs de la decime. Je salue infiniment madamoyselle de Beaufort, que je cheris parfaitement ; mays je n'ay pas du tems asses pour luy escrire.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, pour le benir de ses plus cheres benedictions, ma tres chere Fille. 5

 

            M. de Torens n'est pas icy. Nostre Mere est toute malade de sa defluxion et a pris medecine.

            Dieu vous benisse, ma tres chere Fille. Amen.

            XXX avril 1617.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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MCCCV. A Madame de Granieu. Ce que François de Sales aimait « passionnement » dans l'âme de la destinataire. — Une vérité connue des enfants de Dieu avant la dernière heure. — Le repos dans la patrie

 

Annecy, [avril 1617.]

 

            C'est la verité, Madame ma tres chere Fille, qu'entre les souvenirs que j'ay des ames que Dieu m'a fait aymer, [395] celuy de la vostre m'est de tres grande consolation ; car j'ay veu un certain despouillement des creatures et de leurs vanités, qu'il m'est impossible de n'aymer pas passionnement.

            Tenes bien, je vous supplie, vostre cœur haut eslevé comme cela, ma tres chere Fille ; qu'il ayt tout a fait son soin attaché a la belle eternité qui vous attend. Les enfans du monde confessent ordinairement en mourant que cette vie n'est pas considerable que pour l'eternelle ; mais les enfans de Dieu touchent toute leur vie cette verité.

            Vivés comme cela parmi toute cette multitude de fascheuses occupations que vostre condition vous oblige de voir et d'avoir ; et comme ceux qui s'acheminent a leurs patries n'esperent le repos qu'apres y estre arrivés, ainsy pretendés tous-jours a cette paix perdurable a laquelle vous alles et ardes, travailles et marches.

            Je suis consolé dequoy petit a petit vous faites vostre chemin tres aysé. Dieu soit a jamais au milieu de nos espritz, qui est le souhait continuel,

            Madame, de

Vostre tres humble et plus obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [396]

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MCCCVI. Au Cardinal Robert Bellarmin (Minute inédite). Désirs et démarches du saint Evêque pour l'érection d'un Séminaire

 

Annecy, [1615-1617.]

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor Padron colendissimo,

 

            Fra le cose che potrebbono aiutar questa misera et afflitta diocaesi di Genevra, l'una delle principali sarebbe l'erettione d'un Seminario, laquale fù già tentata dalla buona memoria del Signor Vescovo mio predecessore ; ma coll' incontro di tante contradittioni, che non fù [397] possibile tirarla inanzi, perchè egli procedeva per via dell'applicatione de' beneficii, delli quali gl'huomini sono tanto bramosi, che, quanto possono, impediscono che a' collegii et simili opere pie si uniscano, acciò loro in particolare li possino godere.

            Per il che, con altro mezzo desiderarci ripigliar quel dissegno, se però Sua Santità si degnarà favorirci in quel modo che dal R. P. Benedetto Giustiniano sarà proposto a V. S. Illma et Rma, laquale perciò supplico humilissimamente che appresso Nostro Signore si degni adoprare la charità et zelo suo et ajutarci in questo negotio ; non dubitando che il zelo il quale riluce nelli suoi Fontes, li quali di tanto aiuto ci sono contro gli [398] heretici, non la spinga ancora a favorirci in questa occasione, laquale alla destruttione dell' heresia calviniana nel suo capo, che è Genevra, giovarà molto.

            Et così, bascio humilissimamente le mani a V. S. Illma et Rma et le pregho dal Signor Iddio ogni vera felicità.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Autun. [399]

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très vénéré Seigneur,

 

            Entre les choses qui pourraient aider ce pauvre et affligé diocèse de Genève, l'une des principales serait l'érection d'un Séminaire. Déjà, des tentatives furent faites par Mgr l'Evêque mon prédécesseur, de pieuse mémoire ; mais il y rencontra tant de contradictions, [397] qu'il ne fut pas possible de les poursuivre, car il procédait par voie d'application des bénéfices, dont les hommes sont si avides que, pour en jouir en leur particulier, ils en empêchent de tout leur pouvoir l'union aux collèges et à telles autres œuvres de piété.

            C'est pourquoi je désirerais reprendre ce dessein par un autre biais, si toutefois Sa Sainteté daigne nous favoriser en la façon qui sera proposée à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime par le R. P. Benoît Giustiniani. Je vous supplie donc très humblement d'employer votre charité et votre zèle auprès du Saint-Père et de nous aider en cette affaire. Ce zèle qui reluit en vos écrits, lesquels nous sont d'un si grand secours contre les hérétiques, vous pressera [398] aussi, je n'en doute point, de nous favoriser en cette occasion, qui contribuera beaucoup à la destruction de l'hérésie de Calvin dans son siège même, la ville de Genève.

            Sur ce, je baise très humblement les mains de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, en implorant pour elle, de Dieu notre Seigneur, tout vrai bonheur. [399]

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MCCCVII. A la Mère de Chantal, a Lyon (Fragments inédits)

 

Annecy, 21 septembre 1615.

 

            Ce garçon me vient dire q[u'il part demain à]… heures. Ma tres chere Mere, … quel moyen de vous escrire… ?

            Or bien, me voyci de retour [de Chablais, où il n'y a plus de] danger, sinon comme… [trois] ou quatre jours. Je re… [avec] intention de passer a [La Roche] … pporte …

            Certes, j'ay esté fa… bonne fille. Vraye[ment] … en sa perte, si elle… l'absence de… reparee… … [Monseigneur l'Ar]chevesque. J'ay receu vos [lettres] : et je dis quil sera bon… vous deves venir, qui… la mi octobre, et je tascheray [400] … a l'avantage. Si vous… en litiere : c'est une… façon de faire chemin… celle [de] monsieur… et de sa… … possible a… Recteur. J'escris apres [souper, et ne puis] escrire a Monseigneur l'Archevesque, ni a vous, ma tres chere Mere, plus longuement.

            Je vous tiendray advertie du succes de la maladie de la pauvre Seur Jeanne Charlotte, bien digne de compassion. Ma Seur de la Roche la sert et preside de bonne sorte. Ne vous faschés point, car nous avons encor de l'esperance ; et M. Grandis, avec lequel… m'a dit… occurren[ces] … Seur M. … Amen. Vive Jesus… tout vostre, vous mesme. V… Mere. — Le XXI septembre] …

 

            A Madame

[Madame de Chantal]

A Ste Marie de la Visitation.

            A Lion.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Gonthier, à Lyon. [401]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les notes marginales indiquent la corrélation des pièces de l'Appendice avec le texte des Lettres de saint François de Sales. [402]

 

Appendice

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I. Lettres adressées a Saint François de Sales par quelques correspondants

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A. Lettre de Mgr Denis-Simon de Marquemont, Archevêque de Lyon

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            Monseigneur,

 

            Je viens d'apprendre que nous aurons aujourd'huy l'honneur de vous veoir en cete ville, et ne fauldray point de monter an carosse pour vous aller rendre mes premiers devoirs si tost que nos Vespres seront dittes. Cependant, avec ce peu de motz, fideles interpretes de mon allegresse, je commence a vous rendre graces tres humbles du bonheur et des benedictions qu'attirera sur ce pais vostre arrivee, et vous supplie tres humblement d'honorer de vostre sejour cete maison, qui desireroit, an cete heureuse conjoncture, avoir encor les plus grands et plus illustres Prelatz qui l'ont autresfois regie, afin que plus dignement elle peust recevoir vous, Monseigneur, qui estes l'honneur et la coronne des Prelatz. Elle retiendra, s'il vous plaist, ses anciens merites, bien que possedee par un successeur indigne qui vous en supplie, avec toutes les affections de son ame, et est,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres affectionné confrere

et serviteur,

DENYS, Archev. De Lyon.

            Ce dimanche, 28e juin [1615].

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le IId Procès de Canonisation. [403]

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B. Lettre de Mgr Pierre-François Costa, Nonce Apostolique a Turin

 

            Molto Illustre et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Diedi conto à Roma, con mandar anco copia del capitolo della lettera di V. S. Rma, della speranza che si haveva della conversione alla santa fede cattolica del R. Claudio Boucard, già della Compagnia di Giesù, relasso nell'heresie, et delle difficoltà che haveriano potuto impedire tal buon opera. Sopra di che ne ricevo la risposta che V. S. Rma vedrà per l'annesso foglio, contentandosi la Santità di Nostro Signore non solo di conceder facoltà à lei di assolverlo et reconciliarlo alla santa Chiesa Cattolica, mà pensando anco di sovvenirlo nelle necessità accennate. Dò però parte di tutto à V. S. Rma conforme al commandamento della Sacra Congregatione, à fine che persistendo il suddetto nel medesimo proposito, lo assolvi, havuto risguardo à quel che scrive il Signor Cardinal Verallo per accertar il modo. Intorno à che, se mi par superfluo di mandar à V. S. Rma altra instruttione, contuttociò, per obedire à superiori, le invio l'altro alligato foglio per quel più che m'è sovvenuto e par che soglia praticarsi in simili occasioni.

            Scrissi anco nell'istesso tempo à Monsignor Vescovo di Padova, dal quale mi fumo rimessi li 50 ducatoni che presento haver poi V. S. Rma havuti per servitio del R. signor D. Lodovico Desplano, che me n'hà inviati venticinque altri, come vedrà per l'alligate, che le saranno pagati in vigore dell'annessa poliza di cambio. Si come di questi et de primi, mi sarà caro esser avvisato da V. S. Rma della ricevuta.

            Et non occorrendomi di vantaggio che annunciarle per molti [404] anni le buone feste del santo vicino Natale in abbondanza delle divine gratie, resto, baciandole le mani,

            Di V. S. molto Illustre et Rma,

Affezionatissimo servitor,

PIER FRANCO, Vescovo di Savona.

            Di Turino, li XXI di Decembre 1615.

 

Monsr Vescovo di Geneva.

 

Revu sur l'original inédit, appartenant à M. le comte de Roussy de Sales, Archives de Thorens-Sales (Annecy).

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C. Lettre de Mgr Denis-Simon de Marquemont, Archevêque de Lyon

 

            Monseigneur,

 

            Puisque jamais plus il n'y doibt avoir entre nous de ceremonies, je vous direy tout naifvement que j'ay diferé si longtemps de vous escrire, pour ce que j'avois honte que vous vissies mes lettres sans veoir par mesme moyen l'advis que je vous avois promis sur les Regles de la Visitation. Je n'ay jamais eu ou le loisir ou le courage de m'applicquer serieusement a le dresser. C'est pourquoy, cognoissant quil me seroit malaysé de faire mieulx, et gehenné d'autre part de tout plein de considerations qui me pressent de me resouldre, j'ay employé deux soirées, hier et avant hier, a brouillasser ce que je vous envoye presentement. Je creins bien fort que vous ayes grand' peine a le lire, tant il est mal escript, et encor plus a l'entendre, tant il est mal digeré. Il est en sa pureté naturelle, tel quil s'est presenté a mon esprit et a ma plume. C'est un escholier qui parle a son maistre, un fils a son pere ; il n'y fault pas plus de mystere.

            Vous devineres un peu et les motz et le sens, mais aussy seres vous asseuré que cet escript n'ha point passé par les mains des copistes et que personne ne l'ha veu sinon celuy qui l'ha escript. Si quelqu'un l'eust deu veoir, il y a dedans des libertés qui n'y seroyent pas. Si vous trouves bon que madame de Chantal le voye, je m'an [405] remetz a vostre jugement ; mais bien vous supplie je que personne autre ne le voye et quil vous plaise, dans quelques jours, me le renvoyer, pour ce que je fais dessein de m'an servir comme d'un Memoire qui, sur le sujet de cet Institut, me fournira diverses choses qui ont passé par mon esprit, mais ne s'arrestent point fidelement en ma memoire ; et j'an ay besoing pourtant, tant que cet affaire soit terminé entierement.

            Je n'userey point icy de compliment ; j'ay mis au commencement de cet escript, en peu de parolles, ce que j'ay deub dire, et que de nouveau je confirme et par ces lignes et par toute l'affection de mon cœur. Je ne touche sinon l'institut : car pour la disposition des exercices de cet Institut, j'y ay de la complaisance et de la passion, et n'ay point a an faire autre jugement, sinon les estimer et admirer infiniment. Selon que nous demeurerons d'accord de l'estoffe, sili y a quelques motz ou quelques periodes a changer en l'ouvrage, il n'y aura pas a travailler pour plus d'un jour. Il est necessaire quil vous plaise faire deux reflexions : l'une, aulx incommodités communes a vostre diocese et au mien ; l'autre, a celles qui sont particulieres au mien. J'ay touché les unes et les autres, mais a la haste, et pourtant confusement ; qui m'oblige de vous supplier, comme je fais tres humblement, d'y prendre garde.

            Certes, mon premier souhet seroyt que nous peussions l'un et l'autre changer nos Congregations en Religions formelles. Si cela ne se peult, je desire au moins que nous puissions convenir de Regles qui soyent uniformes pour les deux Congregations. Enquoy, si vous approuves l'ouverture que je fais d'allunger le noviciat des veufves et de deffendre les sorties aulx professes, on peult reserver celles qui ont desja fait profession, lesquelles ayantz encor des affaires, pourront sortir, et le reglement aura lieu seulement pour celles qui entreront desormais ; et cete reserve pourra estre expresse, ou mentale, comme vous le jugeres a propos. Il sera malaysé que sans cet article ou sans un autre de pareille teneur nous puissions convenir ; car jamais je ne pourrey bien establir icy la Congregation si je n'y metz la closture. C'est l'advis de touts les Religieux et casuistes qui an entendent parler ; mais c'est ce que me dient ouvertement les plus honorables et qualifiés (sic) personnes de cete ville. Encor desireroyent ils bien fort que ce fust une Religion formelle, et ont grand' peine a permettre autrement que leurs filles y entrent.

            Que sil m'arrivoyt ce malheur que nous ne peussions convenir de cet article, je vous supplie de tout mon cœur quil vous plaise en ce cas me donner vos bons et charitables advis, si je debvrey ou continuer ma Congregation sur le modelle et les Constitutions de la vostre, y changeant ce que je jugerey necessaire en mon diocese, [406] comme nous voyons qu'ont fait diversement les Evesques de la province de Milan, ou bien si je changerey tout a fait ma Congregation en une Religion formelle, en la maniere portée par mon escript. Mais ce dont je vous supplie plus cordialement que de tout le reste, est quil vous plaise, apres avoir pezé meurement toutes choses, me mander ce que vous juges selon Dieu que je doibs faire ; car, si apres avoir recommendé l'affaire a Nostre Seigneur, vous voules que je laisse les sorties et que je me conforme a vous entierement, et quil vous plaise an respondre a Dieu pour moy, je vous declare qu'avec cete condition, et soubs la confiance que j'ay en vostre vertu, je mettrey soubs les pieds mon sentiment et tout ce que le monde pourra dire ou faire, et establirey la Congregation, et an ferey publier et imprimer les Constitutions de mot a mot, telles que vous ordonneres, sans y changer rien du tout.

Et au bon augure de ces motz je ferey fin, vous baisant en toute humilité les mains et recommendant a vos prieres et Sacrifices mes infinies miseres. Je salue cordialement Messieurs vos freres et madame de Chantal et toutes ses filles, et suis,

            Monseigneur,

Vostre tres humble fils et tres affectionné serviteur,

DENYS, Archev. de Lyon.

            De Lyon, ce 20 janvier 1616.

            Monseigneur, je ne vous renvoye point encor les Constitutions, pour ce quil ne semble pas que vous an ayes besoing pour vous resouldre sur l'Institut, lequel estant arresté, je vous renvoirey les dittes Constitutions afin que vous y metties la derniere main pour les faire imprimer.

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evesque de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [407]

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D. Lettres de la Mère de Chantal

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I

 

VIVE JESUS

 

            Comme vous portez-vous, mon pauvre très unique Père ? Tou jours mieux, moyennant la grâce de Dieu, non pas ? Hé Dieu ! oui, s'il vous plaît, mon bon Sauveur, et pour longtemps, je vous prie, que cette chère santé de mon Père soit bien établie. Or bien, nous en parlerons de cela.

            Mais cependant, me pourrez-vous dire oui ou non, simplement et courtement, de ce que je vous vais demander ? Mes quatre jours sont passés, auxquels vous m'aviez marqué ce que je ferais ; et je vous rends compte en ces deux derniers petits feuillets de ce qui s'est passé, car les deux premiers, c'est ma confession en laquelle vous n'entendrez rien. Pourrai-je encore demeurer quelques jours en ma chère solitude, y continuant cette dernière affection ? j'y aurais bien de l'inclination, pour un peu bien accoiser mon esprit en Dieu ; car vraiment, j'ai été un peu distraite ces jours passés, et si bien votre mal ne m'a pas donné de l'inquiétude, il m'a donné de la douleur et de la distraction ; à trois diverses fois, l'on en parla assez pour me toucher jusqu'au fond. Quand l'on me disait enfin qu'il était dangereux, pensez, mon très cher Père, où cela allait. Oh bien ! Notre-Seigneur m'a assistée ; il soit béni !

            Mon tres cher Père, un mot de vos nouvelles, et si je demeurerai ou non en ma petite retraite ; car pour le reste, il se fera à loisir. Je demande ce mot, pourvu qu'il n'incommode rien ; autrement ma Sœur Marie-Jacqueline me le dirait bien. Bonjour, mon pauvre très cher Père, le doux Jésus soit notre tout !

             [Annecy, 18 mai 1616, matin.]

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [408]

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II

 

VIVE Jésus

 

            Hélas ! mon unique Père, que cette chère lettre me fait de bien ! Béni soit Celui qui vous l'inspira, et que béni soit aussi le cœur de mon Père au siècle des siècles !

            Certes, j'ai un extrême désir, et, ce me semble, une ferme résolution de demeurer en ma nudité, moyennant la grâce de mon Dieu, et j'espère qu'il m'aidera. Je sens mon esprit tout libre, et avec je ne sais quelle infinie et profonde consolation de se voir ainsi entre les mains de Dieu. Il est vrai que tout le reste demeure fort étonné ; mais faisant bien ce que vous me dites, mon unique Père, comme je ferai sans doute, Dieu m'aidant, tout ira toujours mieux.

            Il faut que je vous die ceci : mon cœur chercherait, si je le voulais laisser faire, de se revêtir des affections et prétentions qu'il lui semble que Notre-Seigneur lui donnera ; mais je ne le lui permets nullement, de sorte que ces propositions ne se voient que de loin ; car enfin, il me semble que je ne dois plus rien penser, désirer ni prétendre que ce que Notre-Seigneur me fera penser, aimer et vouloir, ainsi que la nourrice qu'il me donnera me l'ordonnera ; car je suis exacte à ne la point regarder.

            Mon Dieu nous veuille fortifier par sa douce bonté, et nous faire accomplir parfaitement ce qu'il désire de nous, mon très cher Père. Que Jésus vous fasse un grand saint ; et je le crois ainsi. Bénite soit sa bonté de votre guérison et bon repos !

            Bonjour, mon vrai Père. Ce soir je vous manderai de mes nouvelles.

             [Annecy, 18 mai 1616, après-midi.]

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III

 

VIVE † JESUS

 

            Mon unique Père,

 

            M. Grandis m'a dit aujourd'hui que nous eussions encore bien soin de vous, que vous ne deviez plus faire une si grande diète, qu'il fallait vous bien tenir et contregarder, à cause de la fluxion qu'il faut craindre. Je suis bien aise de toutes ces ordonnances, et que vous gardiez votre solitude, puisqu'elle sera encore employée au service de votre cher esprit. Je n'ai pu dire nôtre, car il me semble [409] n'y avoir plus de part, tant je me vois nue et dépouillée de tout ce qui m'était le plus précieux.

            Mon Dieu ! mon vrai Père, que le rasoir a pénétré avant ! pourrai-je demeurer longuement dans ce sentiment ? Au moins notre bon Dieu me tiendra dans les résolutions, s'il lui plaît, comme je le désire. Hé ! que vos paroles ont donné une grande force à mon âme ! que celles-ci m'ont touchée et consolée quand vous me dites : « Que de bénédictions et de consolations » votre âme a reçues, de me « savoir toute dénuée devant Dieu ! » Oh ! Jésus vous veuille continuer cette consolation, et à moi ce bonheur.

            Je suis pleine de bonne espérance et de courage, bien paisible et bien tranquille. Dieu grâce, je ne suis pas pressée de regarder ce que j'ai dévêtu ; je demeure assez simple, je le vois comme une chose éloignée, mais il ne laisse pas de me venir toucher ; soudain je me détourne. Que béni soit Celui qui m'a dépouillée ! Que sa bonté me confirme et fortifie à l'exécution quand il la voudra. Quand Notre-Seigneur me donna cette douce pensée que je vous mandai mardi, de me laisser à lui, hélas ! je ne pensais point qu'il commencerait à me dépouiller par moi-même, me faisant ainsi mettre la main à l'œuvre. Qu'il soit béni de tout et me veuille fortifier !

            Je ne vous disais pas que je suis avec peu de lumière et de consolation intérieure ; je suis seulement paisible partout, et semble même que Notre-Seigneur, tous ces jours passés, avait un peu retiré cette petite douceur et suavité que donne le sentiment de sa chère présence. Aujourd'hui encore, plus ou moins, il me reste fort peu pour appuyer et reposer mon esprit ; peut-être que ce bon Seigneur veut mettre sa sainte main par tous les endroits de mon cœur pour y prendre et le dépouiller de tout : sa très sainte volonté soit faite !

            Hélas ! mon unique Père, il m'est venu aujourd'hui en la mémoire qu'un jour vous me commandiez de me dépouiller ; je dis : « Je ne sais plus de quoi. » Et vous me dites : « Ne vous l'avais-je pas bien dit, ma Fille, que je vous dépouillerais de tout ? » O Dieu ! qu'il est aisé de quitter ce qui est autour de nous ! mais quitter sa peau, sa chair, ses os, et pénétrer dans l'intime de la moëlle, qui est, ce me semble, ce que nous avons fait, c'est chose grande, difficile et impossible, sinon à la grâce de Dieu. La seule gloire donc lui est due et lui soit rendue à jamais.

            Mon vrai Père, ne me revêts-je point sans votre congé de cette consolation que je prends à vous entretenir ? Il me semble que je ne dois plus rien faire, ni avoir pensée, ni affection, ni volonté qu'ainsi qu'elles me seront commandées. Je finis donc en vous donnant [410] mille bonsoirs, et vous disant ce qui me vient en vue : il me semble que je vois les deux portions de notre esprit n'être qu'une, uniquement abandonnée et remise à Dieu. Ainsi soit-il, mon très cher Père, et que Jésus vive et règne à jamais ! Amen.

            Ne vous avancez point de vous lever trop tôt ; je crains que cette sainte fête, ne vous fasse faire un excès. Dieu vous conduise en tout.

             [Annecy, 21 mai 1616.]

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E. Lettre du Maréchal de Saint-Géran

 

            Monseigneur,

 

            Ayant esté adverty que pour la perfection du bon œuvre que nous avons commancé en ceste ville, capitale de mon gouvernement, qui est le nouvel establissement d'une Maison de Sainte Marie, il failloit recourir a vous pour avoir vostre permission, afin de faire venir les Dames qui doivent perfectionner ceste entreprise, j'ay creu que vous m'accorderiez la tres humble requeste que je vous en fais, comme Monseigneur de Lion m'a liberalement octroyé sa permission pour l'establissement.

            Nous avons desja une maison propre, un fort bel oratoire, ou la benediction pontificale a esté faicte par procuration expresse de Monseigneur l'Archevesque de Lion, lequel, pour me favoriser, y fust venu luy mesme planter la croix, s'il n'heust esté retenu pour affaires pressez. Il ne reste donc plus que vostre permission, afin que ces devotes Dames viennent ; dont je vous supplie derechef tres humblement, vous asseurant que je fais gloire que, du temps de mon gouvernement, le Bourbonnois soit des premieres provinces a recepvoir les Religieuses de vostre Ordre, n'ignorant pas quelle est [411] vostre reputation et le renom de vostre sainte vie et merite parmi la France ; ce qui me faict desirer de donner une de mes filles a vos Religieuses, quand elles seront icy. Et outre l'asseurance que madame des Goufier vous pourra donner qu'elles seront bien et honorablement receues, je vous jure que je veux employer a leur service toute l'authorité que le Roy m'a donnee en cette province, estant a vous, et a elles a vostre consideration,

Tres humble et passionné serviteur,

SAINT GERAN.

            Du chasteau de Moulins, 3 juillet 1616.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation de la Visitation de Moulins, conservée au 1er Monastère d'Annecy.

 

F. Lettre du Père Aignan Moreau, de la Compagnie de Jésus

 

            Monseigneur,

 

            Vostre Illustrissime Seigneurie sera suppliee par tant d'autres de nous envoyer de voz cheres Filles, que j'ay douté si je devois adjouster ma priere a celle de sy puissans intercesseurs. Toutesfois, sçachant que vous recepvez les grands et les petitz, j'envoye ces lignes vous pourter ma suplication, vous asseurant que je reçois une joye singuliere en l'espoir de son interinement, car l'odeur de voz fleurs naissantes commence a donner jusques a nous ; de noz plaines, dis je, nous|commençons a descouvrir l'excellence de vostre ouvrage.

            Ce n'est pas merveille, Monseigneur, que ce qui est sur les montagnes soit visible a tous ; au contraire, je m'esbaÿs de l'admirable voile dont vostre humilité a sy longtemps couvert son ouvrage. Or, Monseigneur, tirez le rideau, sil vous plaist, et nous communiqués ce que vous aves faict pour la gloire de nostre commun Maistre. Ce que madame de Chantal a faict a Lyon, et encores plus [412] ce qu'elle est, la faict extremement desirer icy. Pour mon particulier, j'ambitionerois puissamment le bonheur qu'elle y vint au moins pour quelques mois ; mais d'autant que c'est au maistre de famille de sçavoir sy la mere de la famille peut quicter la principale Maison pour aller travailler ailleurs, je me remetz et soubmetz a vostre jugement et disposition, vous asseurant que, quelles que ce soient de voz Filles qui viennent, nous les recevrons, cherirons et servirons avec la mesme sincerité, respect et dilection non feinte que je suis, du Pere de ces vertueuses Filles,

Tres humble, tres obeissant serviteur,

AIGNAN MOREAU, Jesuite.

            De Moulins, 4 juillet 1616.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation de la Visitation de Moulins, conservée au 1er Monastère d'Annecy.

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G. Lettre du Maire et des Échevins de Moulins

 

            Monseigneur,

 

            Madame des Goufier ayant pris desir, avec bonne compagnie, de quitter l'Egipte du monde pour se ranger en ceste ville en une Maison de vostre Ordre de la Visitation Saincte Marie, comme en la terre de promission en laquelle elle espere jouyr des delices de son celeste Espoux ; apres y avoir aporté les ceremonies necessaires en la benediction du lieu faicte par monsieur le Doyen de Nostre Dame, en la presence de Monseigneur nostre Gouverneur, reste a present la favorable assistance de vos graces, pour envoyer des ouvrieres en sy copieuse moisson que celle de la vie contemplative, lesquelles, recuillans le pain des Anges en leurs ordinaires exercices [413] et s'acquerans les faveurs du Ciel, puissent rendre nostre ville participante des benedictions qui se reçoipvent par le merite de sy sainctes hostesses, lesquelles venant de vostre part nous apporteront un esprit celeste et nous seront autant cherès comme asseurement, et a Vostre Seigneurie et a leur pieté, nous demeurons a jamais,

Voz tres humbles et tres obeissans serviteurs,

LES MAIRE et ESCHEVINS DE MOULIN,

FEYDEAU, BEAUCOUSIN, HEROYS, ROUSSEL.

            De Moulins, ce 4 juillet 1616.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans l'Histoire de la Fondation de la Visitation de Moulins, conservée au 1er Monastère d'Annecy.

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H. Lettre de Mgr Denis-Simon de Marquemont, Archevêque de Lyon

 

            Monseigneur,

 

            Passant par cete ville pour m'en aller a Paris, j'ay veu les commencemens que madame des Goufier a donné a une maison de la Visitation. Il est necessaire d'envoyer icy promptement madame de Chantal ou, si sa santé ne le peut permettre, quelque autre Dame qui puisse donner l'habit et l'esprit aulx filles et veufves qui veullent servir a Nostre Seigneur dans ce sainct Institut.

            Les commencemens que je veoy icy sont si heureux, qu'il fault, Monseigneur, que je vous die ce que j'ay apris d'un bon medecin : qu'encor que l'on veuille faire nourrir les enfans par d'autres que par leur mere, il seroit a souheter, pour le proffit de l'enfant, que la vraye mere luy donnast le premier laict, par un secret de nature qui, donnant et faisant produire l'enfant, ne manque pas a fournir ce qui est pour son mieulx. Vous entendes ce que je veulx dire : si madame de Chantal, vraye Mere de vostre Congregation, pouvoit venir icy donner le premier laict aulx filles commençantes, je prevoyrey autant de bonheur a cete institution et fondation que de celle de nostre Lyon, qui donne tousjours plus de contentement et d'esperance que Dieu y sera glorifié (fidelis sermo est) ; car c'est ce que nous [414] pretandons. Il y aura encor icy, comme je prevoy, quelques petites difficultés, qui se dissiperont des que l'on verra des Religieuses et que l'Office se fera.

            Envoyes en donc au plus tost, Monseigneur, je vous supplie, et me donnes la benediction de vos sainctes prieres, que je vous demande du bon de mon cœur, qui se proteste

Vostre tres humble et tres affectionné frere,

DENYS, Archev. de Lyon.

            A Moulins, 6 juillet 1616.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation de la Visitation de Moulins, conservée au 1er Monastère d'Annecy.

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I. Lettre de M. Claude Boucard

 

            Mon Seigneur Reverendissime,

 

            Il faut en fin que Dieu soit victorieux ; la chair a beau regimber contre l'esguillon, et le diable à redoubler ses tentations ; quant il plaist au S. Esprit de convertir une ame, il faut en fin que sa vocation soit efficace. J'en sens les mouvements et l'experience en moi mesmes.

            Quant je fus dernierement a Tonon, plusieurs considerations humaines et les troubles causées (sic) par l'ennemy de mon salut m'empescherent de passer outre, mais non toutefois en sorte que mon dessein fut aucunement changé, ni ma bonne volonté diminuee en façon quelconque. Au contraire, Dieu par sa bonté infinie, qui avec la tentation faict accroissement de grace, m'a depuis mon retour eslargy nouvelle force et vertu, voire jusques à surmonter et vaincre toutes les puissances adverses.

            Et afin, Monseigneur, quil soit evident que ce ne sont pas parolles seulement et que vous en aiez pleine asseurance, outre l'obligation que j'y ay desja, j'ay faict vœu a Dieu, et le faicts encor maintenant en vostre presence, de quitter et abandonner tout pour me rendre à la sainte Eglise Catholicque ; et ce, dedans brief temps et sans beaucoup temporiser par negligence. Si j'avois la cognoissance [415] des temps et des moments que le Pere Celeste retient en sa puissance, j'apposerois quelque terme prefix a ce mien vœu ; mais au moins, incontinent apres la S. Martin prochaine, sil plaist a Dieu me prester santé, toutes mes pensees, touts mes efforts et desseins se banderont à effectuer ma promesse ; et ay ferme esperance en Dieu, qui ne me confondra point, puis que l'entreprinse est pour son service, honneur et gloire, que par sa grace il me suppeditera touts moiens a ce necessaires, et ostera touts empeschements invincibles : Erunt prava in directa, et aspera in vias planas. Ce sera donc au plus tost, Monseigneur, que j'iray vers vous pour recevoir voz commandements et faire tout ce que vous jugerez expedient pour la gloire de Dieu, à quoy je me dispose de bon cœur.

            Si donc quelqu'un estoit entré en doute de ma constance, je prie (et c'est icy presque la principale fin pourquoy j'escry la presente) que telle deffiance soit levee, car jamais je ne fus mieux resolu. Je hay infiniment l'heresie et l'ay en telle abhomination que, par force, il faut que je quitte le lieu ou elle regne, nonobstant toutes affections naturelles vers les miens. Je suis du tout dedié à l'Eglise Catholicque. Oblivioni detur dextera mea si non meminero tui Hierusalem. C'est a elle que je vouë le service de tout le reste de ma vie, et si les forces estoint pareilles au courage, ce ne seroit pas pour petites choses mais pour grandes ; toutefois, j'attendray la vocation de Dieu. C'est pourquoy je desire d'estre tousjours recommandé a la benignité et grace de ladicte saincte Eglise, et de ressentir son indulgence, laquelle j'espere et m'y confie.

            Le commun bruit est par deça que l'alliance entre Son Altesse et Messieurs de Berne est si fort avancee qu'elle s en va comme conclue. Je tiens pour certain de bon lieu que Messieurs de Berne, entre autres conditions, ont demandé que l'Interim soit remis aux bailliages de Chablais esquels il a esté autrefois ; quod Deus avertat. Il est vray que je ne sçay pas a quoy penche et incline cest affaire la, mais selon mon petit advis, c'est chose qu'il ne faut pas negliger.

            Je vous prie d'avoir assiduellement memoire de moy en voz saincts Sacrifices et oraisons ; je suis,

Monseigneur Reverendissime,

Vostre tres humble et dedié serviteur,

C. BOUCART.

            De Lausanne, ce 4 octobre 1616.

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque de Geneve.

            A Nissy.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à la Visitation d'Annecy. [416]

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J. Lettre de M. René Gros de Saint-Joyre

 

            Monsieur,

 

            En response de la vostre tres-aggreable du 28 septembre, que j'ay receüe le 10 du present, je vous diray non seulement que je voy vos Œuvres de l'oeil favorable que je dois, et fais en icelles le profit que je peux ; mais de plus, je vous confesseray de bouche que,

de vostre plenitude

Je me suis tout remply, et qu'estes mon estude.

            La Mire de vie a l'amour parfaict, que j'ay faicte au nom et sur le nom de madame Marie de Levi, tres-digne Abbesse du monastere Royal de S. Pierre de Lyon, vous en fera foy, et à tout le monde, si elle s'imprime. ainsi que desirent plusieurs de mes amis, à la volonté desquels j'acquiesceray, si vostre approbation m'en donne le courage.

            J'attends avec avidité d'estudier en ces beaux traictez que vous me faites esperer par la vostre susdicte, afin, nous les donnant, qu'à moy et à ceux qui mieux que moy y feront leur profit, vous nous disiez le dire du Poëte :

Vous estes mes ruisseaux, je suis vostre fonteine,

Et plus vous m'espuisez, plus ma fertile veine

Repoussant le sablon, jette une source d'eaux

D'un surgeon eternel pour vous autres ruisseaux.

            En cette qualité et toute autre, je me diray toujours, Monsieur,

Vostre tres humble serviteur,

RENÉ GROS DE S. JOYRE.

            A Belmont, ce 13 novembre 1616.

 

A Monsieur le Reverendissime Evesque de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans La Mire de vie, etc.

(Bibliothèque de Lyon, 317, 181.) [417]

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K. Lettre du Cardinal Robert Bellarmin

 

            Admodum Illustrissime et Reverendissime Domine,

 

            Etsi fortasse non multis in Urbe Reverendissima Amplitudo Vestra nota sit, mihi tamen a multis annis virtutes vestræ, multæ et magnæ, notissima ; sunt ; neque mihi tantum, sed etiam Sanctissimo Patri Nostro nota est vigilantia pastoralis et charitas in gregem proprium Reverendissimæ Dominationis Vestræ.

            Sed quod attinet ad negotium virginum et viduarum quod mihi Amplitudo Vestra commendat, non scio prorsus quid agam ; tum quia nemo hic est, quod sciam, qui causam sollicitet, tum quia certum est cum illis tribus conditionibus obtineri non posse ab Apostolica Sede, ut confirmetur vera monastica professio. Ego quidem paratus sum pro viribus adjuvare propositum Reverendissimæ Dominationis Vestræ, si quis sit qui ad me veniat et negotium urgeat ; hactenus enim neminem vidi, nec satis scio cui litteras tradam quas nunc scribo.

            Sed tamen, interim consilium dabo, quod mihi ipse acciperem, si res mea ageretur. Ego igitur retinerem virgines et viduas istas in statu in quo sunt, nec mutarem quod bene se habet ; nam ante tempora Bonifacii VIII, erant in Ecclesia Sanctimoniales, tum in Oriente, tum in Occidente, quarum sæpe mentionem faciunt sancti Patres : ex Latinis, Cyprianus, Ambrosius, Hieronymus, Augustinus ; et ex Græcis, Athanasius, Basilius, Chrysostomus et alii, sed illæ non erant ita clausæ in monasteriis, ut non exirent quando opus erat. Nec ignorat Amplitudo Vestra, coram Deo vota simplicia non minus obligare, nec minoris meriti esse quam solemnia ; solemnitas enim, ut etiam clausura, inchoata est ecclesiastico instituto ab eodem Bonifacio VIII. Et nunc, etiam Romæ, floret valde Monasterium nobilium fœminarum a Sancta Francisca Romana institutum, in quo tamen, neque clausura est, nec solemnis illa professio.

            Proinde si in ista regione, sine clausura et sine professione virgines et viduæ tam sancte vivunt, ut audio, et simul prodesse possunt sæcularibus, non video cur ista ratio vivendi mutari debeat. Hoc tamen consilium meum meliori judicio libenter submitto. [418]

            Accepi, dum hanc epistolam scriberem, alias litteras Reverendissimæ Dominationis Vestræ pro negotio Avenionensi, pro quo laborabo quantum potero.

            His bene valeat Reverendissima Dominatio Vestra, mei memor in sanctis precibus suis.

            Admodum lllustrissimæ et Reverendissimæ Dominationis Vestræ,

Addictissimus atque ad obsequendum promptissimus,

ROBERTUS, Cardinalis BELLARMINUS.

            Romæ, die 29 Decembris 1616.

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L. Lettre de Henri de Savoie, duc de Nemours

 

            Monseigneur,

 

            Le desplaisir que je reseus de ne vous avoir encores trouvé a Nissy quant j'y arrivé, ne fut pas moindre que seluy que vous tesmoignes en avoir eu, car j'avois une estreme envie de vous voir et entretenir ; mais je me consolle avec l'esperanse que j'ay d'avoir bien tost se contantement, que je desire passionnement, pour estre un des plus grans que je puisse recevoir. Ce qu'attendant, je vous prie de vous asseurer tousjours de mon affection et du desir que j'ay de la vous faire congnoistre aus occasions, lesquelles ne s'offriront jamais aussy souvent que je les souhaite, pour l'envie que j'ay que vous croies quil ny a personne qui vous soit plus aquis que moy.

            Quant a se que vous m'escrivés pour le regard du bastiment de l'eglise des Peres Bernabites, je contriburay tousjours tout se qui me sera possible pour ung si bon œuvre, estant bien marry que je ne puis des a present leur faire congnoistre la volonté que j'en ay ; mais parse que les occasions passees m'ont un peu mis en arriere, cela ne me peult permettre de faire tout se que je voudrois bien. Neantmoins, je satisferay au desir de ses Peres le plus tost que je [419] pourray, voulant en toute occasion leur tesmoigner l'affection que j'ay a tout se qui leur touche, et a vous combien je suis, Monsieur,

Vostre plus affectionné a vous faire servisse,

HENRY DE SAVOYE.

            Ce 26me janvier, a Lagnieu, 1617.

 

            A Monsieur

Monsieur l'Evesque de Genefve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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M. Lettres de la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Lyon

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I

 

VIVE JESUS

 

            Monseigneur,

 

            Nous avons reçu aujourd'hui votre dernière lettre, où vous nous parlez de M. l'Aumônier. Il a quitté la condition que l'on lui voulait donner, parce qu'il n'a pas eu le courage de nous quitter. C'est un bon homme tout à fait ; il est nôtre pour longtemps.

            Pour Mme du Puits-d'Orbe, elle est revenue à son abbaye, là où on ne la voulait pas recevoir, et lui a-t-on fait la correction bien sèchement. Elle était allée voir certaine damoiselle. Pour leur confesseur, il est de delà Paris, à ce que son frère même a dit ; et à même temps que ces Dames et lui sortirent, M. l'Evêque Dangre (de Langres) a donné une sentence contre lui, que s'il retournait en Bourgogne, il n'y irait que de la vie. Nous n'en savons pas la raison. Enfin, il s'en est parlé fort mal à propos ; Dieu veuille qu'il y ait plus d'innocence que le monde ne pense ! Mon Dieu, mon très honoré Père, que de malheurs qui sont parmi le monde ! Bienheureux qui vit en crainte ! Pour moi, je ne puis mal penser de cette Dame, je la crois trop vertueuse.

            Monseigneur, notre chère Mère s'est trouvée mal ; nous vous supplions très humblement de mettre bon ordre, avant que partir de [420] Nicy, que l'on la fasse conserver ce Carême ; autrement elle se gâtera et se ruinera de santé tout à fait. O Dieu ! mon très cher et honoré Père, c'est la douleur la plus sensible au cœur que l'on puisse avoir ; toutes les contradictions ne sont rien, au prix de savoir du mal à cette chère Mère.

            L'affliction de madame de Thorens nous a touchée vivement ; il faudra qu'elle ait recours à saint François de Paule, sans doute elle y trouvera du bonheur. Monseigneur, nous vous envoyons des lettres de nos chères Sœurs de Moulins ; nous n'écrivons point séparément à notre chère Mère, faute de temps.

            La sortie de ma bonne Sœur Marie-Jeanne s'achemine assez doucement ; nous en avons écrit amplement au R. Père Coton, son confesseur, qui est celui qui nous l'a remise ; il nous a conseillé de la mettre dehors, et le Père Remont, Jésuite, et tous ceux à qui nous en parlons et qui la connaissent.

            Hélas ! Monseigneur, demandez bien cette force pour votre pauvre grande fille ; elle en a bien besoin, il se présente plusieurs'occasions à la bien employer. Nous vous supplions d'agréer que nous saluions mille fois en toute humilité notre chère Mère. Toutes nos Sœurs vous saluent très humblement, Monseigneur ; nous supplions Notre-Seigneur vous continuer ses plus chères grâces. Après vous avoir salué en toute révérence, je me dis, Monseigneur,

Votre très humble et plus obéissante fille et servante

en Notre-Seigneur,

M. J. FAVRE, de la Visitation.

Dieu soit béni.

            De Lyon, ce 26 janvier [1617].

            Ma sœur Le Blanc vous salue très humblement ; elle est auprès de nous, elle vous prie de ne la point nommer dame, mais Sœur Barbe Marie.

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Rmo Evêque et Prince de Genève.

            A Nicy.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à la Visitation d'Annecy. [421]

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II

 

VIVE JESUS

 

            Monseigneur,

 

            Nous supplions Notre-Seigneur vous continuer abondamment l'assistance de son Saint-Esprit et faire réussir votre travail à sa plus grande gloire.

            Nous avons reçu les lettres que vous écrivîtes la veille de Noël, environ cinq semaines après. Nous avons donné à Monseigneur de Lyon celle qui s'adressait à lui ; nous ne l'avons pas vu du depuis.

            Nous louons Notre-Seigneur, mon très honoré Père, de ce que vous trouvez des âmes si fort disposées au bien, et de quoi vous trouvez la nièce de M. de Bouqueron propre. A la vérité, Monseigneur, son infirmité nous met un peu en peine, car elle est grande, bien que l'on dise que ce soit un mal qui n'ira pas en empirant, parce que ce n'est pas une défluxion, ains une incommodité que la vérole lui a laissée. Je trouve son cœur et son esprit, pour le peu de connaissance que nous en avons, bien à notre gré. Oh ! Dieu fera bien tout réussir selon sa sainte volonté, s'il lui plaît.

            Nous avons reçu une fille à l'essai, de la main de Mme Le Blanc, qu'on espère qui fera bien ; elle a eu une étrange persévérance à vouloir être toute à Dieu.

            Monseigneur l'Archevêque dit qu'il ne veut pas que l'on en reçoive davantage que l'on ne sache la fin des affaires de Rome. Nous vivons avec des incertitudes et des irrésolutions et humiliations si grandes, que je ne sais quelquefois où nous en sommes. Mon Dieu, Monseigneur, que nous avons bon besoin de l'assistance de sa divine Majesté et qu'il nous fortifie ! Avec toutes ces rencontres journalières, qui sont assez pleines de mortification, je n'ai nul sentiment de confiance, ni quasi de courage, bien que, grâces à Dieu, nous ressentons toujours, à la pointe de l'esprit, de l'amour à tout ce qui arrive, parce que nous le voyons partir comme des choses que Dieu permet et qu'il nous donne pour nous humilier. Il faut avouer, Monseigneur, que tout ce qui se passe ici conduit fort à l'humilité, à qui en voudra faire profit. Il nous semble que le fruit que Notre-Seigneur nous [422] fait tirer de cela est un dénuement de toutes choses créées et l'affection de ne tenir qu'à Dieu seul. Nous avons quelquefois ces vues avec quelque sentiment, et quelquefois non. Eh ! Dieu nous rende telle que sa Bonté nous désire. Nous implorons l'assistance de vos prières, mon très cher Père, pour ce sujet et pour cette petite Maison tant remplie de traverses.

            Monseigneur, nous vous envoyons une Valentine. Toutes nos chères Sœurs vous saluent très humblement : elles sont bonnes filles, Dieu merci. Sa Bonté nous fasse la grâce de les imiter, et de nous rendre digne de l'heureuse qualité que je possède à me nommer,

            Monseigneur,

Votre très humble et plus obéissante fille et servante

en Notre-Seigneur,

M. J. FAVRE, de la Visitation.

Dieu soit béni.

            De Lyon, ce 12 février 1617.

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evêque et Prince de Genève.

            A Grenoble.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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III

 

VIVE Jésus

 

            Monseigneur,

 

            Nous supplions Notre-Seigneur vous donner et continuer de plus en plus son saint amour.

            Nous avons reçu vos lettres avec toujours une particulière consolation : c'est le remède à tous les maux qui nous pourraient arriver ; je veux dire que, quelle sorte de peine ou d'abattement d'esprit que nous ayons, vos nouvelles nous remettent en courage et en vigueur. Le livre de l'Amour de Dieu nous sert et nous aide grandement à être un peu courageuse aux contradictions dont cette vie est remplie. Plaise à la divine Majesté conserver longuement et heureusement l'auteur, pour sa gloire. [423]

            Mon Dieu, mon très honoré Père, nous sommes un peu en peine de notre digne Mère qui reprend si fréquemment ces accidents si fâcheux et dangereux ; elle en a eu un depuis que vous êtes à Grenoble, à ce que nous écrit monsieur de Boisy, force d'avoir trop parlé à nos Sœurs au Chapitre. Si vous ne lui faites des commandements bien exprès, Monseigneur, de se conserver, elle demeurera un jour en ces convulsions. Nous vous demandons très humblement pardon si nous parlons de la sorte ; nous savons bien le soin que votre bonté en a, mais mon affection s'échappe toujours un peu, et nous espérons que vous ne le trouverez pas mauvais.

……………………………………………………………………………………………………..

            Monseigneur l'Archevêque nous a remises tout à fait à M. de Saint-Nizier et l'a fait le Père spirituel de la Maison. Nous vous envoyons les Règles des Ursulines de Paris, avec les Bulles qu'elles ont obtenues de Sa Sainteté ; Monsieur de Chenevoux nous les a envoyées, nous avons pensé que vous seriez peut-être bien aise de les voir.

            Nous louons Notre-Seigneur de ce que cette chère Sœur de la Valbonne fait tous les jours mieux ; elle nous fait grande honte, elle avance, et nous croyons que nous allons en arrière. Nous sommes toujours la moindre de vos filles, mon très honoré Père, mais de celles qui ont plus de désir de vous obéir et de plaire à Dieu.

            Nous ne vous disons rien de ma Sœur Barbe-Marie ; nous croyons qu'elle vous écrira et qu'elle aura l'honneur de vous voir bientôt. C'est une bonne âme, et à laquelle cette Maison est fort obligée.

            Toutes nos chères Sœurs vous saluent très humblement en toute révérence, mais plus que toutes, celle qui a l'honneur de se dire,

            Monseigneur,

Votre très humble et plus obéissante fille et servante

en Notre-Seigneur,

M. J. FAVRE, de la Visitation.

Dieu soit bèni.

            De Lyon, ce 21 février 1617.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [424]

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IV

 

VIVE JESUS

 

            Monseigneur,

 

            Nous supplions notre Sauveur vous continuer l'abondance de ses grâces.

            Nous vous remercions très humblement du soin que vous avez de nous faire savoir de vos nouvelles, bien qu'à même temps nous vous supplions de n'en point prendre la peine, vous avez assez d'autres occupations ; il suffira que M. Michel nous fasse savoir quelquefois comme vous vous portez.

            Nous venons de recevoir à l'essai cette damoiselle pour laquelle vous prîtes la peine de nous écrire. Nous ne la connaissons point ; néanmoins son premier abord nous agrée assez, et nous espérons qu'elle sera propre pour notre sorte de vie : Dieu lui en fasse la grâce ! Ce sera le plus grand bonheur qu'elle puisse avoir, que de se rendre digne de la grâce que sa divine Majesté lui a faite, et à nous aussi.

            Monseigneur et mon très digne Père, nous louons notre bon Dieu et vous remercions très humblement de la bonne nouvelle que vous nous dites de nos affaires de Rome ; nous espérons qu'à (sic) la seule difficulté qui reste sera bientôt éclaircie, s'il plaît à Notre-Seigneur.

            Nos Sœurs sont toujours là, en attendant de faire profession. Nous aurons bon courage, s'il plaît à Dieu, Monseigneur, puisque vous nous le commandez. J'ai toujours des grands désirs d'être telle que vous nous désirez et que Dieu nous veut ; mais il faut que tout vienne de lui, par l'intercession de vos saintes prières.

            Monseigneur, nous serons bien aise que la nièce de M. de Bouqueron vienne ; nous avons une grande bonne opinion que ce sera une bonne servante de Dieu. Nous espérons que, avant que vous sortiez de Grenoble, que nous vous écrirons que nous sommes logées ; au moins, l'on est fort après. [425]

            Nous avons eu nouvelles de Nicy. Notre chère et digne Mère se porte bien ; Mme Colin l'est allée voir et y sera quelques jours. Vous avez ma Sœur Le Blanc à Grenoble, nous en sommes extrêmement aise ; cela la rendra toute brave, d'avoir le bonheur de vous communiquer de son âme.

            Nous supplions Notre-Seigneur qu'il vous conserve longuement et heureusement pour la gloire de son saint Nom. Nous nous disons en toute humilité,

            Monseigneur,

Votre très humble et plus obéissante fille et servante

en Notre-Seigneur,

M. J. FAVRE, de la Visitation.

Dieu soit béni.

            Toutes nos chères Sœurs vous saluent très humblement et en toute révérence, et tout à part, nos Sœurs professes, mais plus que toutes, votre chétive grande fille. Ma Sœur Marie-Aimée a bien reçu la lettre que vous dites avoir pris la peine de lui écrire.

            A Lyon, ce 7 mars 1617.

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evêque et Prince de Genève.

            A Grenoble.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à la Visitation d'Annecy. [426]

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N. Lettre du P. Louis de la Rivière, minime (Fragment)

 

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            J'ay veu, passant a Lyon, ceste grande et admirable Fille de vostre cœur, devuider ses affaires avec un si profond jugement, accompagné d'un recueillement si religieux et d'une douceur si atrayante et sans alteration, que si je n'eus pas sceu qui elle estoit, je n'aurois pas laissé de juger, par une consequence indubitable : Voyla la grande Fille de nostre tres debonnaire Pere, Monseigneur de Geneve.

……………………………………………………………………………………………………..

             [Avril-mai 1616 ou 1617.]

 

Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mère Favre, par la Mère de Chaugy, conservée à la Visitation d'Annecy. [427]

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O. Lettre d'une dame

 

            Monsieur,

 

            J'ay leu six fois depuis un an vostre Philothée ; je ne sçay si sa conversation m'a rendue meilleure, mais au moins je voudrois bien luy ressembler. J'ay leu aussi depuis un mois tout vostre Theotime, où j'ay appris que l'amour de nostre bon Dieu n'est pas de la nature de ceux du monde et de la Cour. Je m'en vais donc tascher de mouler ma vie sur celle de vostre Philothée, et n'aimer avec Theotime rien que Dieu, ou pour luy, et selon sa tres aimable volonté.

            Je vous prie donc, Monsieur, de m'assister de vos prieres et de me donner quelques conseils particuliers. Au reste, je ne vous ferois pas cette demande, si je n'estois tres-assurée que Dieu vous a ouvert le livre des consciences, et qu'en vous declarant mon nom je vous découvre qui je suis et tout ce qui se passe dedans mon interieur. De plus, je trouve vos pratiques et vostre devotion si ajustée à mon humeur et à la foiblesse de mon sexe, que je ne croy pas que vous me puissiés rien commander que je ne puisse tres-facilement accomplir. Je connois aussi plusieurs dames qui ont le bien de vivre dessous vostre saincte conduite, et qui m'ont assuré que Dieu vous avoit fait naistre en ce siecle pour nous apprendre la vertu, et qu'il ne tiendra qu'à nous d'estre sainctes, si nous voulons suivre les douces loix de vostre saincteté. Pour moy, je vous choisis pour mon bon Pere et mon bon Directeur, et je vous jure que, voulant estre toute à Dieu, je me resous d'estre vostre tres-chere fille selon Dieu.

            Adieu, Monsieur et tres-cher Pere, et continués de faire, comme vous commencés, autant de sainctes comme il y a de femmes dans le monde. [428]

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II. René Gros de Saint-Joyre aux amans de l'amour parfaict (Extrait des pièces préliminaires de la Mire de vie, etc.)

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            L'oracle de cet Escript est desployé à chascun. Il est loisible à tout le monde de consulter son trepied, qui est le Traitté de l'Amour de Dieu de Monsieur de Sales, Evesque de Geneve. J'ay emprunté ses richesses, sans en rien diminuer le fonds, de ce tres-docte Gentilhomme et tres-devot Prelat, lequel je n'ay l'honneur de cognoistre que par lettres, mais que je recognois avec tous, particulierement en ce parfaict amour,

Estre un parfaict miracle apparu de nos jours.

Car celuy qui, ravy du son de ses discours,

Oit et void tout ensemble une telle merveille,

Douteux de ce que plus il y faut admirer,

Ne sçait lequel des deux il devroit desirer :

De se voir devenir tout oeil ou tout oreille.

            Quant a la tissure et l'ordre que j'ay donné à ce petit ouvrage, je croy que Celle au nom de qui il vient en lumiere, m'obtiendra de son Amour parfaict, la grace particuliere de mourir de l'amour qu'obtint l'amoureux Chevalier sur le mont des Olives [429] …




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